jeudi 31 janvier 2013

Bibliothèque idéale

Enfant, je jouais presque tous les soirs à un jeu apaisant, dans mon lit, avant de m'endormir. Le jeu consistait à imaginer un endroit où j'aimerais habiter, tout en le dessinant avec mon doigt sur le drap. C'était toujours le même endroit: une seule pièce rectangulaire, pas très grande, avec toutes les fonctions indispensables à ma vie. Il y aurait donc mini-cuisine, salle de bains, toilettes et les murs tapissés de livres. Une porte épaisse me séparant du monde et du bruit. Je n'en sortirais pas ou peu, j'y serais très tranquille, imaginais-je. Je me sentais protégée dans cette bibliothèque idéale, pouvais alors doucement m'endormir en serrant mon doudou. Parfois, par temps chaud, je dessinais en plus une piscine.
Il m'arrive encore de jouer à ce jeu. Mes goûts sont devenus plus sophistiqués, les magazines déco sont passés par là. Pourtant, l'esprit reste le même. Ce serait une pièce avec des canapés et des fauteuils profonds, pourquoi pas en cuir usé comme dans les clubs anglais, du café (et le droit de fumer).  Les murs seraient couverts d'étagères bien rangées, par ordre alphabétique d'auteur ou par collection. L'éclairage serait tamisé, les tapis soyeux, les parquets craquants. Un chat passerait, jamais où on croit mais jamais parti non plus.
On y trouverait mes livres et mes disques préférés. Un abécédaire d'auteurs où il y aurait forcément Nancy Huston, Siri Hustvedt, John Irving de mes jeunes années, Eliot Perlman, en VO aussi si on veut pour une Anglophone touch. Léonard Cohen, Barbara, Brassens et Linda Lemay dans la discothèque. Des goûts Télérama, un genre de résumé des aspirations et des rêves de la classe moyenne au XXIème siècle. On pourrait en faire une sociologie bourdieusienne: "Léonard Cohen, un art moyen". Ou bien dans cinquante ans, une histoire culturelle à la Thompson, The Making of the French Middle Class,  qui mentionnerait Paul Auster ou Annie Ernaux comme tellement représentatifs des lectures stéréotypées de cette catégorie (dans le genre littérature classe moyenne, j'écrirai un jour sur J.G Ballard). Ou pourquoi pas une belle théorie adornienne sur le conditionnement des individus par l'industrie culturelle, car je suis terriblement aliénée à l'industrie culturelle, comme tout le monde, sauf que moi je le sais.
Cette bibliothèque serait également numérique, puisqu'il faut vivre avec son temps... mais j'ai beaucoup de mal à m'imaginer glisser dans le sommeil avec une tablette...

mercredi 30 janvier 2013

Enduring Love (érotomanie)


Encore un titre mal traduit, par Délire d'amour, roman de Ian McEwan. Il ne s'agit pas de ça, enfin si, mais enduring, ça n'a rien de marrant ou de charmant, pas comme quand mes ados se tapent un délire (sic) entre copines. Enduring, endurer, c'est une somme de souffrances, l'histoire d'un amour qui fait endurer le pire au héros du roman... et aussi à son amoureux, qui endure son amour presque autant qu'il le répand. Un amour qui dure aussi, beaucoup trop longtemps, le héros ne sait plus du tout comment s'en dépêtrer. Le héros, c'est un type normal, vie normale, couple normal. Rien d'héroïque. Il est témoin d'un grave accident de montgolfière. A cette occasion tragique, il croise un autre type, un fou mystique, qui est convaincu que leur rencontre était écrite et que c'est Dieu lui-même qui veut qu'ils soient ensemble. Le fou harcèle le héros, s'immisce dans sa vie, la femme du héros le quitte (lâchement), persuadée que son mari est en train de sombrer dans de graves troubles neurologiques. Le héros en effet est désorienté, perd son boulot, s'enferme chez lui, on se sait plus lequel est le plus fou des deux. Il ne sera délivré que par la disparition de celui qui lui avait fait endurer tout ça...
C'est un  roman qui laisse un sentiment de malaise tant il est grinçant. Le héros n'a aucune compassion pour celui qui le poursuit. Le fou érotomane quant à lui ne se rend compte de rien, omnubilé par son tas de projections mystico-affectives qu'il appelle amour. Il n'y a pas de rencontre et encore moins de pacification possible, on veut juste en finir, en refermant la dernière page on se dit ouf, la paix maintenant (pour ma part, j'ai même perdu ce livre, disparu de ma bibliothèque; peut-être alors que l'histoire n'est pas exactement celle-là, je ne peux pas vérifier).
Parfois pourtant, j'y repense, à ce livre. Surtout au titre. Je me demande si je fais endurer mes folies mystico-affectives aux autres. Il m'arrive de de trop m'approcher de quelqu'un, ayant franchi involontairement une frontière d'intimité. Je me sens terriblement coupable alors, plus vraiment digne d'entrer en relation. Et puis, d'autres fois, c'est l'inverse, je me demande si je réponds assez à la demande de l'autre, si je ne suis pas trop distante... L'enfer, c'est les autres, le rapport de soi aux autres. Mon enfer, en tout cas. Je ne sais pas faire abstraction.

mardi 22 janvier 2013

Pondichéry

Un endroit qui fait rêver, Pondichéry. Je regarde le planisphère affiché dans ma cuisine. Il y a ce petit point de l'océan indien, ce lieu mythique, Pondichéry. Pondy, comme disent les familiers. Pondy-chéri. On imagine l'amoureuse: "rendez-vous à Pondy, chéri". Pondichéry, un petit point de rien du tout pour dire les vagues, l'ashram de Sri Aurobindo, les maisons coloniales, le nom toujours français de quelques rues du centre-ville... et un peu plus loin, Auroville la magnifique (ou serait-ce Auroville la maléfique...). Un petit point qui donne envie de marcher le long de la jetée, humer l'air épicé, dormir les fenêtres ouvertes par 40 degrés dehors, avec le bruit du ventilateur et les klaxons des scooters en fond sonore. De commander un thali dans un café pour finir par se dire qu'on aurait préféré une baguette beurrée, tout compte fait. Pondy, le goût du thali, voilà, ce que ça dit. 
Lire une carte est une activité puissamment évocatrice. Imaginer la réalité sensible que le point cartographique représente et réduit dans un même mouvement.  En regardant la mappemonde, je me transporte dans des lieux connus ou inconnus, en voyage. New-York autrefois m'a beaucoup fait rêver,  Sydney aussi, maintenant c'est peut-être davantage Jerusalem, Tokyo, Oran, les falaises irlandaises. Des images viennent à l'esprit juste en posant les yeux sur l'étendue bleue plastique de l'Atlantique ou les rivages coloriés en jaune de l'Algérie. Ca ne date pas d'hier... Dès le XVème - XVIème siècles, les cartes du monde, du Nouveau monde en particulier, étaient illustrées de multiples éléments visant à renforcer l'évocation. Vers 1520, des dessins de rhinocéros ou de populations indiennes y ont été intégrés, car les cartographes avaient eu connaissance des grandes découvertes africaine puis américaine à travers les récits de voyageurs.
 
La carte reflète aussi les perceptions et connaissances de l'époque. Le continent américain par exemple a d'abord été représenté trop étalé, les cartes modifiées au fur et à mesure que s'établissaient des relevés topographiques plus exacts et que la longitude était inventée. Sans carte, et maintenant sans GPS, tout serait différent. On se recroquevillerait sur du connu, comme les Grecs de l'Antiquité qui ne s'éloignaient guère des côtes de la Méditerranée... et y vivaient pourtant une odyssée. Parfois, dans un lieu nouveau, ça me prend des heures, ou plutôt de longues minutes, pour repérer où je suis. Je me perds facilement. Je n'ai pas le sens de l'orientation.  Alors, j'essaie maladroitement de faire correspondre le plan ou la carte au réel. Quand enfin, par miracle, ou avec l'aide d'un passant, j'y arrive, il y a comme un soulagement. Cela me fait tout drôle de penser que déjà mes enfants, et tous ceux qui viendront après nous, ne connaitront pas ce soulagement de la compréhension de la carte, ni l'angoisse qui précède, tout équipés qu'ils seront d'assistants électroniques à la navigation...

jeudi 17 janvier 2013

Marre de lire

Marre de lire. Ras-le-bol. Que m'importe de savoir si l'héroïne du roman Freedom (excellent du reste, cela n'a rien à voir) va finir par sortir d'une vie qui lui déplaît ? Que la population de la région où j'habite décroît, du fait d'un solde migratoire négatif ? Sans parler des centaines de livres ou articles passionnants sur le Moyen-Orient, les études de genre, les guerres et les révolutions, la démocratie grecque, qui tous ont l'air de valoir la peine de les connaître...  Je me sens ensevelie sous un déluge d'informations dont je ne sais que faire. Disons même de plus en plus ensevelie et de moins en moins en mesure de surnager. Incapable de produire des balises de repérage car l'océan est trop grand et qu'il n'y a plus jamais de crique ou de plage où se poser pour réfléchir tranquillement. Plus de cartographe, non plus, les experts et les intellectuels universels et même spécifiques ont disparu, emportés eux aussi dans le flot. La géographie a été remplacée par des algorithmes qui prélèvent une cuillère de mélange aqueux à partir de l'ingrédient qu'on leur indique : sel, poivre, érotisme, randonnée, astronomie ; et qui vous font miroiter que ça y est, vous naviguez sur des mers et des fleuves, comme ça, sans navire ni boussole. Les informations donnent un bref instant l'illusion de savoir, de maîtriser quelque chose ; peut-être donneront-elles même l'impression d'exister, quand se formalisera une opinion bien sentie qu'on pourra afficher à l'extérieur. On se plonge dans cet océan, c'est toujours nouveau, différent, ça réchauffe, ça rafraîchit, ça rend séduisant, ça gratte parfois. Connaissances fragmentées, miettes de savoir d'autrefois. Et puis quoi ? Ca ne nourrit pas, ça noie.  Elles seront vite balayées, les informations, oubliées, remplacées par d'autres, vite vite un autre bain, une nouvelle soupe... Mais ça ne change rien, rien d'essentiel. Ni à qui on est, ni surtout au sort du monde, et cela me gêne profondément. Je suis prise, comme mes contemporains malades de lecture et encore plus de lecture numérique, dans une sorte de mouvement historique qui ne s'arrête pas, qui nous vide, même avec toute la bonne volonté du monde. Ca donne envie de tout plaquer, rendre son tablier de lectrice, se retirer dans un ashram ; ou relire Saint-Simon, ou Marx, peut-être, lentement, paragraphe après paragraphe.