
Je n'ai pas compati avec mon collègue, au début ; je me disais qu'il s'en sortirait toujours, qu'il avait pris sa décision, qu'il s'y tiendrait. Que c'était un mec et que les mecs choisissent généralement la légitime et se tiennent à leur décision, c'est ainsi.
Je me souviens de la gêne qui m'avait envahie. Etre dépositaire d'une souffrance que je n'aurais jamais dû entendre, à cause de mes indiscrétions de lectrice. Ce sentiment d'impuissance que j'avais ressenti : que pouvais-je faire ? Rien. Enterrer le document.
La compassion pour le protagoniste principal n'a surgi que plus tard. Quand j'ai pensé que cet oubli d'un mail dans un dossier était peut-être un acte manqué. L'acte manqué d'un type qui ne s'en sortait pas si bien que ça et qui aurait pu avoir besoin de parler de ce qui lui arrivait. On ne saura jamais parce qu'au moment où le cri m'est parvenu, le collègue comme la maîtresse avaient depuis longtemps quitté l'endroit.
L'histoire me revient en mémoire après avoir vu titré, dans Le Monde daté du samedi 9 mars 2013, "le cri d'un fils". A un procès pour pédophilie, un père lit une lettre de son fils, une lettre poignante qui n'est qu'un cri de douleur, qui demande : "Parents, où étiez-vous ?". C'est la même gêne et la même impuissance, pour le lecteur, tandis que résonne à distance le cri immense, des années après.