dimanche 29 juin 2014

Dormir longtemps

Dormir
J'ai dormi longtemps. Rêvé semi-éveillée qu'un homme me tenait dans ses bras et me caressait les cheveux, c'était doux. Je ressens moins de désir sexuel et plus de désir de tendresse, je vieillis, ai-je pensé dans un demi-sommeil. Avant de faire une liste mentale de courses, ne pas oublier le shampoing et le chocolat. M'est revenu aussi que je n'avais pas encore répondu à des mails de boulot. Il vaudrait mieux décliner cette responsabilité qu'on me propose. Savoir dire non. Depuis combien de temps n'ai-je pas passé une journée entière sans allumer l'ordinateur ni consulter mon téléphone portable ? Des siècles... serais-je capable de ne pas travailler, d'oublier tout ça ? Faire un test, aux prochaines vacances, pour voir ? Mais alors, il ne restera plus rien.

Le rayon de soleil passant dans la lucarne doucement se posait sur le lit et j'avais envie de me rendormir. J'ai somnolé, un peu, laissé vagabonder mes pensées vers mon compagnon dont je sentais l'absence avec ma main gauche, déjà levé comment il fait, quelle énergie, mes enfants qui dormaient, les embrasser longuement ce matin c'est le week-end, maman, papa,  Sensei je me demande comment il va, Venus à qui je devrais porter des framboises s'il en reste, Minerva et Origami mes copines, l'ancien amant, toi aussi tu as vieilli, Darling, peut-être ressens-tu moins de désir sexuel et plus de désir de tendresse... Je vais cuisiner un filet mignon aujourd'hui. J'aime bien la dame qui encaisse les fruits et légumes au magasin, toujours le mot pour rire. Ca fera une chouette ratatouille.


J'ai dormi longtemps pour mieux me replonger dans ma discothèque intime, car on a chacun ses vieux disques rayés qu'on écoute tout le temps et qu'on fait subir aux autres, comme dit mon correspondant, artisan habile de métaphores à qui je pense aussi, bien tranquille dans mon lit. Misanthropie, n'importe quoi, je ne fais que penser à des gens (des Jean), ne peux m'en abstraire. De ceux que j'ai choisis.
Aujourd'hui je mettrai mon pantalon bleu et mon t-shirt orange, refaire le vernis à ongles des pieds en mandarine, ce sera plus joli. Aller courir, pourquoi pas.

Ou ne rien faire, rester là, sourire. Je sens mes rides se plisser quand je souris, plus le temps va passer plus je serai comme ma grand-mère, une vieille pomme ridée.


Jouer avec le drap. Prendre un livre. En attrapant le premier roman de Jérôme Ferrari, Aleph Zéro, je me rends compte qu'il m'échappe sans cesse, pas seulement des mains. Je n'arrive pas à m'y accrocher, malgré plusieurs tentatives ces derniers jours. C'est trop décousu, alambiqué, intello qui se la pète. Qu'il mentionne  Clément Rosset et Jorge Luis Borges ne change rien à l'affaire, même si on y trouve déjà l'idée, tellement bien exploitée dans Le sermon sur la chute de Rome, des mondes qu'on se construit puis auxquels on ne comprend plus rien. Là, c'est un monde étrange que celui du personnage principal, un mix de physique quantique et de salle des profs, dans lequel on s'ennuie terriblement. Je soupçonne comme une arnaque d'éditeur, pour une fois qu'ils ont un Goncourt, chez Actes Sud.

mardi 24 juin 2014

Au dîner


Keep calm
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Au dîner des copines j'ai pu glisser deux phrases sur Confiteor et Le sermon sur la chute de Rome. Une fille a parlé d'Eldorado et ça m'a donné envie de le lire, mais  on est très vite passées à autre chose, ça n'intéresse plus personne, lire c'est tellement old fashioned. A la limite, discuter liseuse, Kindle contre Kobo.

Par contre traiter un type de vieux gaucho, raconter que sa femme l'a quittée pour une autre, si si c'est confirmé une autre femme, on me l'a dit à la sortie de l'école ; ou s'extasier sur une magnifique maison à 350 000 euros, pas chère parce qu'éloignée de la ville, là, c'est bien, les commentaires pleuvent. Après, se raconter qu'on risque de se faire agresser, il ne faut pas prendre de risques inutiles, les violeurs courent les rues c'est bien connu, elle ne fait plus son footing seule (moi, si, mais je n'ai pas osé le dire car quelques instants plus tôt, j'étais déjà passée pour une cinglée d'avoir mentionné ma fille rentrant seule en vélo l'autre soir, récolté un : "je ne le ferais pas"). Se plaindre des cambriolages. Se plaindre des jeunes qui fument et qui boivent, sauf bien sûr leurs enfants tellement parfaits. Faire en sorte qu'ils ne succombent pas aux jeux vidéos ou réseaux sociaux, limitons internet ce démon. Se plaindre de la qualité des soins, même en clinique rendez vous compte.  Des gens qui ne sont plus solidaires, et que tout le monde est tellement individualiste bla bla bla. Disent-elles en pensant à leurs expatriations, à leurs vacances de luxe et à moins payer d'impôts.



J'écoute mes amies, j'entends la connerie et la peur qui suintent, je ne reconnais plus rien de cette ville. Je ne combats même plus.



Je me revois, écoutant des vieux quand j'étais jeune, ressentant la même impuissance devant la connerie. Me taisant et souriant. C'est comme ça que je me fais une réputation de fille très sympa.  Keep calm. Je reprendrais bien un verre de vin.

vendredi 20 juin 2014

Le sermon sur la chute de Rome

Ferrari
Le titre n'a que très peu à voir avec le récit. Le récit est celui d'une amitié entre deux garçons autour d'un village corse où s'enracinent, comme malgré elles, des familles, au fil des générations. Et d'un café dans un village corse. Et d'un grand père dont la biographie s'entremêle aux garçons, au café et aux familles. Un grand-père qui regarde une photo. Il y est question du XXème siècle, de la première guerre mondiale, des colonies, des liens fraternels. Tant de choses.

Il vaut mieux ne pas raconter, lire plutôt, se plonger dedans comme on lézarderait au jardin un après-midi, dans la moiteur des conversations familiales, des anecdotes entendues mille fois et des potins du moment... "Tu te souviens, le champ où  la jument m'avait mordue ?  Comme on avait eu la trouille, comme on avait couru. Eh bien figure toi que les untels habitent là maintenant, ils se sont fait construire une maison. Y'en a qui ont de la chance, hein... Moi aussi, y'a des moments ça me travaille de revenir habiter là, tu vois... Une résidence secondaire, c'est trop cher. Au moins, être enterrée au cimetière du village, j'ai toujours adoré ce cimetière, les chrysanthèmes, la Toussaint... Ca m'arrive même d'avoir envie de retourner à la messe, pour te dire, quand ça prend la nostalgie, comme c'est".

C'est cette moiteur nostalgique et douce qui s'exprime dans Le sermon sur la chute de Rome. Dans un style lent, de longues phrases, de virgules, qui laisse à la moiteur le temps de s'installer et d'exprimer toute son épaisseur. Qui montre comme les personnages sont pris dans les plis du village, même s'ils cherchent à y échapper. Qui montre qu'il n'y a pas de morale, pas de certitude, que des individus perdus qui fuient, reviennent, se cherchent, s'oublient. Que toujours, le vide guette, même quand l'harmonie semble atteinte et même peut-être l'amour, dans un monde où on est bien au chaud. Qu'à la fin, on se sent minable de ce qu'on est devenu, il n'y a pas d'autre issue que la chute de l'Empire, la fin d'un monde.

La sauvagerie de la campagne, de la vie à la ferme s'expriment également, ça me rappelle tant de choses.

Extrait :
"Il y avait deux mondes, peut-être une infinité d'autres, mais pour lui seulement deux. Deux mondes absolument séparés, hiérarchisés, sans frontières communes et il voulait faire sien celui qui lui était le plus étranger, comme s'il avait découvert que la part essentielle de lui-même était précisément celle qui lui était le plus étrangère et qu'il lui fallait maintenant la découvrir et la rejoindre, parce qu'elle lui avait été arrachée, bien avant sa naissance, et on l'avait condamné à vivre une vie d'étranger, sans même qu'il pût s'en rendre compte, une vie dans laquelle tout ce qui lui était familier était devenu haïssable et qui n'était pas même une vie, mais une parodie mécanique de la vie, qu'il voulait oublier, en laissant par exemple le vent froid de la montagne fouetter son visage tandis qu'il montait avec Libero à l'arrière d'un 4X4 cahotant conduit par Sauveur Pintus sur la route défoncée qui menait à sa bergerie. Matthieu avait seize ans et passait maintenant toutes ses vacances d'hiver au village et il évoluait dans l'inextricable fratrie des Pintus avec une aisance d'ethnologue chevronné. Le frère ainé de Libero leur avait proposé de venir passer la journée avec lui et, quand ils arrivèrent à la bergerie, ils trouvèrent Virgile Ordioni occupé à châtrer les jeunes verrats regroupés dans un enclos. Il les attirait avec de la nourriture tout en poussant différents grognements modulés censés sonner agréablement à l'oreille d'un porc et quand l'un d'eux, envoûté par le charme de cette musique ou,  plus prosaïquement, aveuglé par la voracité, s'approchait imprudemment, Virgile lui sautait dessus, le balançait par terre comme un sac de patates, le retournait en l'attrapant par les pattes arrière avant de s'installer à califourchon sur son ventre, enserrant dans l'étau implacable de ses grosses cuisses la bête fourvoyée qui poussait maintenant des hurlements abominables, pressentant sans doute qu'on ne lui voulait rien de bon, et Virgile, couteau en main, incisait le scrotum d'un geste sûr et plongeait les doigts dans l'ouverture pour en extraire un premier testicule dont il tranchait le cordon avant de faire subir le même sort au second et de les jeter ensemble dans une grande bassine à moitié remplie."

Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome, Actes Sud/Babel, 2012, p. 37-38.




Ce roman, c'est aussi une affaire de style. J'ai comme envie de retirer ce que j'ai écrit récemment sur ce blog concernant le style : on ne s'en fout pas, du style, même moi avec mes gros sabots je me rends compte que les choses sont bien différentes, bien plus vivantes, quand il y en a.


Jérôme Ferrari a eu le Goncourt ? Ah. J'ai lu le Goncourt ? Ah. Personne n'est parfait, que voulez-vous.

mercredi 11 juin 2014

The ghost is back (again)

The ghost is back. I just read him in my mail box. I am a reader, used to read, I should be stronger than him. But I'm not. I'm weak, always tempted to reply when he opens his big mouth and whispers my name with his large tongue and his big white teeth.


He's not a ghost, he's a snake charmer. And I'm the fucking snake. The big ugly snake with its eyes wide opened and its glasses and its demanding body. I can't bite him, there's always some kind of charm going on, something that alienates me.


snake



Fucking snake charmer. He has nothing to do with me, for sure. The rest is only in my brain.


Only silence is stronger than him.

dimanche 8 juin 2014

Les moineaux

Bird People
Je viens de voir Bird People, le film de Pascale Ferran dont les radios publiques parlent  beaucoup ces derniers jours. Pascale Ferran m'avait donné envie de voir son film, l'autre soir chez Kathleen Evin. J'y allais pour Gary, l'associé d'une entreprise américaine de technologies, toujours entre deux avions, deux business trips, deux hôtels Hilton semblables, air conditioning, good bed, internet connection et blackberry.  Ultra-connecté, très pro, en apparence d'un calme olympien, Gary me faisait penser à une personne de ma connaissance. Un jour, Gary en a marre, de son boulot, de sa femme et de sa vie. Un vide sidéral le saisit, alors il plaque tout : ses actions, son patron et sa femme par Skype (ce qui est assez savoureux et poignant en même temps). Il se trouve que quand ça lui tombe dessus, Gary est à Paris, précisément à Roissy Charles de Gaulle. Au Hilton.

J'avais également envie de voir le film à cause de Roissy. Certaines scènes mémorables de ma vie s'y sont déroulées, la plupart du temps en solitaire connectée, comme dans le film. Avant un vol transatlantique, prise d'une crise de panique assez similaire à celle de Gary, j'avais écrit mes dernières volontés,  devant mon ordinateur ; à l'arrivée, les envoyer à une amie chère m'avait tranquillisée. De retour de mon dernier voyage à l'étranger, en arpentant les couloirs sans fin, j'ai hurlé au téléphone contre ma fille qui ramenait un mauvais bulletin scolaire, juste avant de m'embarquer dans un road movie surréaliste.  C'est aussi à Roissy qu'il y a des années, j'ai rompu avec Curedan, dans une scène d'un pathétique rare. Larmes et angoisses, perte de repères, on est un peu paumé en voyage. Mais il m'arrive de piquer des fous rires, quand je regarde les touristes étrangers essayer de se dépatouiller de l'achat des tickets de RER, par exemple (après, je les aide, on n'est pas des sauvages, quand même). A Roissy, je lis, rêvasse, téléphone,  travaille rarement, le bruit fait obstacle. De temps en temps, une tasse de thé ou de café, un truc à grignoter. Une petite sortie à l'air libre pour fumer, respirer l'air déconditionné, pollué. Le temps passe jusqu'au départ, ou jusqu'au train du retour.

Je ne crois pas avoir particulièrement aimé le film, il est trop long, trop allusif, ennuyeux par moments. Mais j'y ai vu des instants magiques, poétiques, comme : un dessinateur asiatique qui fait des croquis à l'encre de Chine ; un survol de l'aéroport, la nuit, sur la chanson Space Oddity ; un échange de regards entre Gary et un oiseau, un échange de mots, à la fin... Un peu comme un rêve. Je me surprends aujourd'hui à observer les moineaux.