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jeudi 21 avril 2016

Opération Sweet Tooth

Ian Mc Ewan, Opération Sweet Tooth

Le style de Ian McEwan, remarquable en anglais dans Enduring Love, est aussi plaisant traduit en français. Un mélange d'élégance et d'ambiguïté voire de roublardise, car McEwan est un adepte du mélange des genres et du jeu entre fiction et réalité. Particulièrement ici, dans ce qui semble être le récit autobiographique d'une espionne : Serena Frome (prononcez Frume, comme c'est précisé), fille bien née d'évêque anglican, est embauchée au MI5 à l'issue de sa licence de maths à Cambridge, à la fin des années 1960. Dans une ambiance qui mêle guerre froide et machisme à l'ancienne, elle prend part à une opération de recrutement d'écrivains favorables au camp occidental, fait connaissance dans ce cadre avec un jeune auteur de nouvelles, T.H Haley dit Tom. Et tombe amoureuse, bien sûr. La suite, lisez-la vous-même, ce serait dommage de dévoiler ici la surprise (la supercherie ?) du livre.


J'ai apprécié le personnage de Serena, la fille à la fois inculte, bien élevée, belle et déterminée. Une grande lectrice, Serena. Pas au sens littéraire, au sens quantitatif. Je suppose que bien d'autres lectrices amateures s'y retrouvent.

Extraits

"Je pouvais engloutir un bloc de texte ou tout un paragraphe en une seule gorgée visuelle. Il me suffisait de laisser mes yeux et mes pensées se ramollir comme de la cire pour que les mots s'y impriment aussitôt. Au grand agacement de mon entourage, je tournais les pages toutes les quelques secondes d'un coup de poignet impatient. Mes exigences étaient simples. J'attachais peu d'importance aux thèmes ou aux phrases bien tournées, je sautais les descriptions soignées du temps qu'il faisait, des paysages et des intérieurs. Il me fallait des personnages auxquels je puisse croire, et je voulais que l'on me donne envie de savoir ce qui allait leur arriver. En général, je préférais qu'ils tombent amoureux ou se séparent, mais je ne leur en voulais pas trop s'ils essayaient de faire autre chose. C'était une attente vulgaire, mais j'aimais entendre avant le dénouement quelqu'un demander : "Veux-tu m'épouser ?" Les romans sans héroïnes ressemblaient à un désert aride. Conrad était trop loin de mes préoccupations, comme la plupart des nouvelles de Kipling et de Hemingway. Je ne me laissais pas davantage impressionner par la réputation d'un auteur. Je lisais ce qui me tombait sous la main. Romans de gare, grande littérature, et tout ce qu'il y avait entre les deux : je réservais à chaque livre le même traitement cavalier."

Ian Mc Ewan, Opération Sweet Tooth, p. 20-21


"J'avais soif d'un certain réalisme naïf. Je prêtais une attention particulière, tendais mon cou de lectrice à la moindre mention d'une rue londonienne que je connaissais, de la coupe d'une robe, d'une célébrité de la vie réelle, d'une marque de voiture, même. Là, au moins, je disposais d'une unité de mesure, je pouvais juger la qualité de l'écriture à l'aune de son exactitude, de sa capacité à recouper mes propres impressions ou à les embellir. (...) Je n'étais pas convaincue par ces écrivains (éparpillés à travers les continents sud et nord-américains) qui envahissaient leur propres pages comme s'ils faisaient partie de la distribution, bien décidés à rappeler au malheureux lecteur que tous les personnages, eux-mêmes compris, étaient pure invention et qu'il n'existait aucune différence entre la vie et la fiction. Ou à insister, au contraire, sur le fait que la vie était de toute façon une fiction. Selon moi, seuls les romanciers risquaient de confondre les deux. J'étais une empiriste-née."

Ian Mc Ewan, Opération Sweet Tooth, p. 105


"La misanthropie ou la haine de soi - étaient-elles si éloignées ? - devaient faire partie de sa nature. Je découvrais que l'expérience de la lecture est faussée lorsque l'on connaît l'auteur, ou qu'on s'apprête à le rencontrer. J'avais pénétré dans l'esprit d'un inconnu. Mue par une curiosité grossière, je me demandais si chaque phrase confirmait, niait ou masquait une intention secrète. Je me sentais plus proche de Tom Haley que si je l'avais eu comme collègue au Fichier central ces neuf derniers mois. Mais malgré ce sentiment de proximité, difficile de dire ce que je savais au juste. Il me fallait un outil, un instrument de mesure, l'équivalent narratif d'un compas de navigation pour calculer la distance séparant Haley d'Edmund Alfredus." 

Ian Mc Ewan, Opération Sweet Tooth, p. 164

mercredi 30 janvier 2013

Enduring Love (érotomanie)


Encore un titre mal traduit, par Délire d'amour, roman de Ian McEwan. Il ne s'agit pas de ça, enfin si, mais enduring, ça n'a rien de marrant ou de charmant, pas comme quand mes ados se tapent un délire (sic) entre copines. Enduring, endurer, c'est une somme de souffrances, l'histoire d'un amour qui fait endurer le pire au héros du roman... et aussi à son amoureux, qui endure son amour presque autant qu'il le répand. Un amour qui dure aussi, beaucoup trop longtemps, le héros ne sait plus du tout comment s'en dépêtrer. Le héros, c'est un type normal, vie normale, couple normal. Rien d'héroïque. Il est témoin d'un grave accident de montgolfière. A cette occasion tragique, il croise un autre type, un fou mystique, qui est convaincu que leur rencontre était écrite et que c'est Dieu lui-même qui veut qu'ils soient ensemble. Le fou harcèle le héros, s'immisce dans sa vie, la femme du héros le quitte (lâchement), persuadée que son mari est en train de sombrer dans de graves troubles neurologiques. Le héros en effet est désorienté, perd son boulot, s'enferme chez lui, on se sait plus lequel est le plus fou des deux. Il ne sera délivré que par la disparition de celui qui lui avait fait endurer tout ça...
C'est un  roman qui laisse un sentiment de malaise tant il est grinçant. Le héros n'a aucune compassion pour celui qui le poursuit. Le fou érotomane quant à lui ne se rend compte de rien, omnubilé par son tas de projections mystico-affectives qu'il appelle amour. Il n'y a pas de rencontre et encore moins de pacification possible, on veut juste en finir, en refermant la dernière page on se dit ouf, la paix maintenant (pour ma part, j'ai même perdu ce livre, disparu de ma bibliothèque; peut-être alors que l'histoire n'est pas exactement celle-là, je ne peux pas vérifier).
Parfois pourtant, j'y repense, à ce livre. Surtout au titre. Je me demande si je fais endurer mes folies mystico-affectives aux autres. Il m'arrive de de trop m'approcher de quelqu'un, ayant franchi involontairement une frontière d'intimité. Je me sens terriblement coupable alors, plus vraiment digne d'entrer en relation. Et puis, d'autres fois, c'est l'inverse, je me demande si je réponds assez à la demande de l'autre, si je ne suis pas trop distante... L'enfer, c'est les autres, le rapport de soi aux autres. Mon enfer, en tout cas. Je ne sais pas faire abstraction.