lundi 14 mai 2018

Paris-Opéra, 12 mai 2018

On parle dans les médias de l'assaillant, un "Tchetchène" (on dirait presque l'homme au couteau entre les dents, alors qu'il a quitté la Tchétchénie avant ses 5 ans), pas beaucoup des victimes de l'attaque au couteau du 12 mai à Paris.

Un seul témoignage circule sur Ronan, la victime décédée, Ronan, 29 ans, né au Mans, habitant à Paris. Le témoignage de son voisin, Pierre décrit comment, avec Ronan, ils se sont occupés d'un autre voisin malade et ont organisé ensuite ses obsèques.

Touchant, ce voisinage et cette solidarité.

Putain de terrorisme qui prend tout le monde, le voisin, le voisin du voisin... C'est le principe.

Ca fait mal les principes.


dimanche 25 mars 2018

Ile déserte

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Et toi, tu choisirais quels livres à emporter sur une île déserte ? Trois livres maxi, c'est le jeu.

Autrefois, bardée de certitudes, j'aurais répondu : à coup sûr, un Albert Cohen, probablement Belle du Seigneur ; un Ishiguro, peut-être Un artiste du monde flottant  ; et, en troisième, une Bible, ancien et nouveau testaments, parce que c'est plein d'histoires et de rebondissements. Parfois, on y dégote une parole sage. 

Aujourd'hui, moins bardée de certitudes, et équipée d'internet, je ne sais plus. Trop habituée à me promener avec toute une bibliothèque virtuelle, toujours ouverte, toujours disponible. Il est presque impossible de me figurer une situation où je serais limitée à juste TROIS livres. Mais bon, c'est le jeu.

Côté pratique, j'emporterais sûrement une encyclopédie pour me souvenir du monde (mes neurones meurent, inexorablement, l'oubli s'installe, qu'est-ce que ce serait si je vivais seule sur une île et n'avais personne, ni internet, pour me rafraîchir la mémoire...). Côté romans, je crois que je choisirais toute la série des Rougon-Macquart, pour avoir de quoi lire et relire, longtemps... J'ai adoré ceux que j'ai déjà lus, adolescente, j'aimerais à mon rythme d'adulte lire (et relire) le tout. Ca me rappellerait la beauté de Paris, la ville, la misère que j'aurais quittées pour l'île.
A part ça, peut-être bien Ambiguïtés, d'Elliot Perlman, formidablement construit et qui rappelle quelque chose de très simple et fondamental : la perception de toute chose dépend du point de vue duquel on se place. Et je ne pourrais pas me passer d'un Murakami, La ballade de l'impossible, ou plutôt 1Q84 pour la compagnie des Little People

Au bout d'un moment, je saurais tous les livres par coeur, je réciterais des extraits, seule sur mon île...

Oops, pas de romancière parmi ces choix spontanés... pourtant, Annie Ernaux, Nancy Huston, Siri Hustvedt, Camille Laurens... Alors, en ajouter juste un, pourquoi pas Les années ?

C'est là que je me rends compte que je n'ai pas pensé à la poésie. Alcools, et Paroles, pourrais-je m'en passer ? Hum. Pas prête pour l'île déserte, la fille.

Carcassonne et Trèbes, 23 mars 2018

Résultat de recherche d'images pour "trebes france"Presque plus de réaction sur les réseaux sociaux, plus de Petit Prince ensanglanté, et pourtant ça a eu lieu.
4 morts à Carcassonne et Trèbes.
4 noms d'hommes. 

Tués au Super U ou juste dans leur voiture : Jean Mazières, Hervé Sosna, Christian Medves. Et Arnaud Beltrame, le héros mort pour la patrie. 

L'extrême droite s'en donne à coeur joie, hurlant au laxisme de la France qui donne la nationalité à tout le monde et à l'inefficacité de la lutte antiterroriste...  Pour le reste, silence, très peu de réactions solidaires ou fraternelles. Comme si on s'habituait... 


lundi 26 février 2018

Soumission, Michel Houellebecq

soumission Houellebecq
Je pense avoir lu tous les romans de Michel Houellebecq.
L'extension du domaine de la lutte, ou Les particules élémentaires, j'avais adoré. Lire que nos vies sont régies par les principes du capitalisme, que l'amour est juste une façon de masquer qu'on est des produits sexuels sur un marché. Ou qu'on ne va nulle part, on ne fait que s'agiter en attendant la mort... Ca faisait rire, grincer, et ça faisait du bien.
Plus récemment, La carte et le territoire m'a bien fait voyager et amusée (il y a eu une controverse parce que Houellebecq avait repompé Wikipedia, mais ce n'est pas très important).

Arrivée au bout de la lecture de Soumission cette semaine, je me dis que finalement, un livre de Houellebecq, c'est un cocktail, toujours à peu près le même, grosso modo :

- un anti-héros cynique : un homme (jamais une femme), incapable de sentiments. En général, c'est un intello, ce qui justifie les références de tous ordres (littéraires, scientifiques, artistiques...). Dans Les particules, ils étaient deux frères, mais on suivait surtout le plus cynique des deux.

- une question d'actualité : ici, l'islam politique, après le capitalisme, le tourisme (éventuellement sexuel), ou le monde de l'art, avec des arguments pour discuter cette question qui mobilisent une bonne dose de provoc'. Et toujours, l'idée du déclin de la civilisation européenne.

- un ou des voyages du anti-héros : en France ou à l'étranger, pour résoudre ses questions existentielles, ce qui l'amène à faire des rencontres ou à entériner des ruptures.

- des femmes, du cul, et des pannes sexuelles : un anti-héros, ce n'est jamais un bon coup... Il n'est pas facilement excité, le bougre, et il n'aime que la chair fraîche, disons 20 ans maxi (ce qui se comprend puisque, incapable de sentiments, il ne peut ressentir que des satisfactions esthétiques).

Avec Soumission, une fois encore, j'ai ri, à certains moments... et me suis posé des questions, pas tellement sur l'islam politique, plutôt sur la lâcheté humaine, surtout dans le monde universitaire qui est bien décrit. Le roman montre comment on peut instaurer quelque chose qui ressemble à de la collaboration, mais sans aucune violence, avec juste un peu de stratégie, en flattant les petits egos et les bassesses. 

Comme souvent chez Houellebecq, le cocktail finit par donner un peu mal à la tête. Je ne sais pas pourquoi, cela m'a fatiguée, j'ai eu envie de sauter des passages. Je vieillis, comme Houellebecq. Son cynisme m'épuise, il n'est plus original ou inattendu : le monde entier est cynique, de nos jours.

Quelques extraits qui donnent le ton, j'ai eu du mal  à choisir. Parce que, chez Houellebecq, les extraits sont souvent meilleurs que le roman entier :

"Vêtues pendant la journée d'impénétrables burqas noires, les riches Saoudiennes se transformaient le soir en oiseaux de paradis, se paraient de guêpières, de soutiens-gorge ajourés, de strings ornés de dentelles multicolores et de pierreries ; exactement l'inverse des Occidentales, classe et sexy pendant la journée parce que leur statut social était en jeu, qui s'affaissaient le soir en rentrant chez elles, abdiquant avec épuisement toute tentative de séduction, revêtant des tenues décontractées et informes."

Michel Houellebecq, Soumission, éditions J'ai lu, p. 98 

"A une époque plus ancienne, les gens constituaient des familles, c'est-à-dire qu'après s'être reproduits ils trimaient  encore quelques années, le temps que leurs enfants parviennent à l'âge adulte, puis ils rejoignaient leur Créateur. Mais c'est plutôt vers l'âge de cinquante ou de soixante ans, maintenant, qu'il était raisonnable pour un couple de se mettre en ménage, au moment où les corps endoloris, vieillis, n'éprouvent plus que le besoin d'un contact familier, rassurant et chaste ; au moment aussi où la cuisine de terroir, telle qu'elle est célébrée par exemple dans Les escapades de Petitrenaud, prend définitivement le pas sur les autres plaisirs."

Michel Houellebecq, Soumission, éditions J'ai lu, p. 120-121

"Je mis ensuite de côté les factures et avis de prélèvement, documents faciles, qu'il me suffirait de classer dans des dossiers adéquats, afin d'isoler les correspondances de mes deux interlocuteurs essentiels, ceux qui structurent la vie d'un homme : l'assurance maladie, les services fiscaux."

Michel Houellebecq, Soumission, éditions J'ai lu, p. 183

"Et l'existence d'un débat politique même factice est nécessaire au fonctionnement harmonieux des médias, peut-être même au sein de la population d'un sentiment au moins formel de démocratie."

Michel Houellebecq, Soumission, éditions J'ai lu, p. 211

 "L'humanité ne m'intéressait pas, elle me dégoûtait même, je ne considérais nullement les humains comme mes frères, et c'était encore moins le cas si je considérais une fraction plus restreinte de l'humanité, celle par exemple constituée par mes compatriotes, ou par mes anciens collègues. Pourtant, en un sens déplaisant, je devais bien le reconnaître, ces humains étaient mes semblables, mais c'était justement cette ressemblance qui me faisait les fuir ; il aurait fallu une femme, c'était la solution classique, éprouvée, une femme est certes humaine mais représente un type légèrement différent d'humanité, elle apporte à la vie un certain parfum d'exotisme." 

Michel Houellebecq, Soumission, éditions J'ai lu, p. 217

dimanche 11 février 2018

J'aurai ta Pau, Cesare Battisti

A la faveur d'une pêche improbable dans une boîte à livres, j'ai (re)passé un moment avec Le poulpe, le héros de la série éponyme créée par Jean-Bernard Pouy. Le poulpe, alias Gabriel Lecouvreur, enquêteur improbable, habitué du café au Pied de porc à la Sainte-Scholasse, renifleur  hors pair d'affaires louches, amant de la belle Cheryl et ami à la vie à la mort de Pedro, antifranquiste et imprimeur de talent (pratique pour les faux papiers et les armes de contrebande).

Le poulpe, c'est toute ma jeunesse, je l'ai connu étudiante, à un festival du polar, me suis laissé emprisonner dans ses tentacules parce qu'on ne pouvait pas faire autrement, à l'époque. J'ai une tendresse particulière pour les poulpes de Didier Daenincx, Nazis dans le métro et Ethique en toc (qui porte sur l'incendie de la bibliothèque universitaire de Lyon II). J'avais aussi bien aimé La petite ecuyère a cafté, de Jean-Bernard Pouy, et Les Pis Rennais, de Pascal Dessaint, et ensuite, j'ai décroché.  Je saturais de toute cette noirceur, qui me minait. Et puis ce style lourdingue et ces intrigues compliquées, la répétition des personnages et des situations, ça suffisait. C'est comme ça que j'ai arrêté.

Et puis hop, 20 ans plus tard, je tombe sur J'aurai ta Pau, bien planqué au fond du bac. Vu que c'est Cesare Battisti, ça sent le souffre, et je trouve rigolo de revenir au poulpe après tout ce temps. Et puis, je me demandais ce que devenait Battisti. Je vois sur Wikipedia qu'il n'a toujours pas réglé ses problèmes de statut et de fugitif. A plus de 60 ans, quelle vie.

Mais revenons à la lecture de J'aurai ta Pau, livre court, mais pas très efficace question intrigue. Je trouve que ça a mal vieilli, ces histoires de notables de province qui tiennent tout, de l'usine du coin à la mairie en passant par le commissariat et le trafic de stups. Je n'arrive même plus à y croire un tout petit peu, le tout petit peu nécessaire à une concentration sans faille sur l'intrigue. 

Ca existe sûrement encore, mais on y croit plus, peut-être parce que des intrigues politico-affairistes, on en bouffe toute la journée, et pas que localement, de nos jours.

En plus, dans celui-là, on croise à peine Cheryl et Vlad.

Une déception donc, malgré mon amitié pour la cité de Pau, dont Minerva est originaire. La confirmation qu'il ne faut jamais revenir aux anciennes amours, on est toujours déçu.e.

Petite citation quand même, pour la route, qui est longue jusqu'aux Pyréenées :
"Gabriel regarda l'heure, la Lilly allait exploser dans exactement huit minutes. Il sourit, les dents serrées, parce que, pour quelqu'un qui joue sa vie sur un coup de dé, c'est déjà beaucoup qu'il ne le fasse pas avec des larmes dans les yeux. Il glissa sa main dans sa poche et répandit sur le bureau une poignée de petits éléphants roses. Le tic de Cuomo entra de nouveau en action.
_ La brigade des stups est déjà sur place et si je ne sors pas d'ici il faudra ajouter le meurtre de flics à votre CV.
Cuomo le regarda incrédule, hocha la tête et éclata de rire.
Gabriel sentit quelque chose de froid et de dur contre sa nuque. Au même moment, il vit la silhouette d'une mitraillette passant la porte."

Cesare Battisti, J'aurai ta Pau, Librio noir, 1997, p. 92




jeudi 11 janvier 2018

La fin de l'homme rouge, Svetlana Alexievitch

Livre magistral. Une claque politique pour qui s'intéresse à la fin de l'URSS, qui cherche à comprendre la Russie d'aujourd'hui, Poutine, les oligarques et la guerre en Tchétchénie, ou le conflit du Haut-Karabagh. Une claque émotionnelle pour tous ceux qui sont sensibles aux fins, aux moments de transition d'un monde à l'autre.

Il s'agit moins d'un roman que d'un recueil de témoignages agencé de façon à montrer la réalité soviétique, ses bonheurs et ses horreurs, et l'abîme qu'a représenté la fin de cette réalité. Les illusions perdues. L'impression de se faire avoir à tous les coups, de subir et souffrir. Continuer malgré tout. Continuer parce que les petites gens toujours continuent. Parce que c'est la grandeur et le destin du peuple russe.

Une longue complainte russe, rude, cruelle, dont on ne voit pas la fin... ça dure près de 700 pages, quand même.




Extraits :

"... Dès qu'on a donné un peu de liberté, on a vu surgir de partout le mufle de la bourgeoisie. Pour Akhromeïev, un ascète et un homme désintéressé, cela a été un choc. Un coup en plein coeur. Il n'arrivait pas à croire que le capitalisme pouvait s'installer chez nous. Avec notre histoire soviétique, avec notre peuple soviétique... (Une pause). Je revois encore des scènes... Une jeune fille blonde qui se promène dans la datcha de fonction où il vivait avec sa famille de huit personnes, en criant : "Non, mais regardez ça ! Deux réfrigérateurs et deux téléviseurs ! C'est qui, ce maréchal Akhromeïev, pour avoir deux réfrigérateurs et deux téléviseurs ?" Maintenant, on ne dit plus rien, on ne parle plus de ce genre de choses... Question datchas, appartements, voitures et autres privilèges, tous les anciens records ont été battus depuis longtemps... Des automobiles de luxe, des bureaux meublés à l'occidentale, des vacances non en Crimée, mais en Italie... Nous, dans nos bureaux, nous avions des meubles soviétiques, et nous nous déplacions dans des voitures soviétiques. Nous portions des costumes et des chaussures soviétiques. Khrouchtchev venait d'une famille de mineurs... Kossyguine était d'origine paysanne... Comme je l'ai déjà dit, ils étaient tous issus de la guerre. Leur expérience de la vie était limitée, bien sûr. Il n'y avait pas que le peuple qui vivait derrière un rideau de fer, les dirigeants aussi... Nous étions tous comme dans un aquarium.  (Une pause).  Encore une fois... Peut-être que c'est un petit détail, mais la disgrâce du maréchal Joukov, après la guerre, n'était pas due seulement à la jalousie de Staline pour sa gloire, mais aussi à la quantité de tapis, de meubles et de fusils de chasse qu'il avait rapportés d'Allemagne et qu'il entreposait dans sa datcha. Même si toutes ces richesses auraient pu tenir dans deux camionnettes... Mais un bolchevik ne pouvait pas posséder autant de choses... Cela paraît ridicule, maintenant".

La fin de l'homme rouge, Actes Sud/Babel, p. 191-192



"Le camp, pour eux, c'était un travail ! Ils étaient des fonctionnaires ! Et vous venez me parler de crimes ! De l'âme et du pêché. Ceux qui étaient enfermés, c'était le peuple. Et ceux qui les envoyaient dans les camps et qui les gardaient, c'était aussi le peuple, pas des occupants ni des gens venus d'ailleurs, non. Le même peuple, le nôtre. Notre peuple à nous. Maintenant, tous le monde a enfilé sa tenue de bagnard. Ils sont tous des victimes. Le seul coupable, c'est Staline... mais réfléchissez un peu... C'est une simple question d'arithmétique. Ces millions de zeks, il fallait bien les traquer, les arrêter, les interroger, les transporter, leur tirer dessus s'ils sortaient des rangs. Il y avait bien des gens pour le faire ! On les a bien trouvés, ces millions d'exécutants..."

La fin de l'homme rouge, Actes Sud/Babel, p. 373



Des Tadjiks vivant à Moscou :
"_ C'est bien Moscou, il y a beaucoup de travail ici. Mais on a tout le temps peur. Quand je marche dans la rue tout seul, même pendant la journée, je ne regarde jamais les jeunes dans les yeux, ils seraient capables de me tuer. Il faut prier tous les jours...
_ Dans mon train de banlieue, trois types se sont approchés de moi... Je revenais du travail. "Qu'est-ce que tu fous ici ? _ Je rentre chez moi. _ C'est où, chez toi ? Qui t'a demandé de venir ici ?" Ils ont commencé à me taper dessus. Ils criaient : "la Russie aux Russes ! Vive la Russie"."

La fin de l'homme rouge, Actes Sud/Babel, p. 556