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dimanche 26 juillet 2015

Sans roman

C'était la nuit et j'étais enfermée dans une voiture. J'étouffais. Je voulais ouvrir la vitre pour avoir moins chaud, mais je ne trouvais pas la manette, je n'y arrivais pas. Alors, ça me donnait une furieuse envie de sortir de là, un besoin toujours plus impérieux de respirer, de m'évader. 

J'ai poussé comme une dingue les deux mains plaquées contre la vitre, ça ne s'ouvrait pas. L'angoisse de ne pouvoir sortir étreignait la gorge et faisait battre le cœur. J'ai essayé de me calmer, souffler, ouvrir à nouveau.

J'ai encore poussé. Je me suis dit qu'il fallait taper, casser la vitre. La panique me poussait à agir, vite, vite, il fallait sortir. Comment on casse une vitre déjà, c'est tellement dur.
 
Putain, je suis piégée, j'ai pensé, en poussant de toutes mes forces avec mon épaule.

C'est là que je me suis réveillée, me suis rendu compte que je poussais comme une dingue, debout contre la baie vitrée fermée de la chambre d'hôtel. Le cœur battait toujours autant et l'épaule droite était endolorie. Je ne sais pas comment j'étais arrivée là, sortie du lit, levée, jetée contre la vitre.

Il a fallu un grand moment pour me rendormir, j'avais peur et pas un roman à lire.

Sans roman, rien pour distraire de la peur.  

samedi 2 août 2014

Une journée particulière

Gananoque, Canada, bar-livres
Avec mon vieux téléphone, j'ai pris en photo ce bar dans un village au bord du lac Ontario. Un bar parfait pour une lectrice, constitué de piles de livres, et qu'on l'imagine attenant à une bouquinerie, rétro juste ce qu'il faut, des étagères bien remplies de neuf et d'occasion, des gens qui s'installent un moment pour découvrir, boire un verre, bavarder (en réalité, le bar est attenant à une boutique de vêtements vintage qui fait aussi brocante. Hipster, comme diraient mes ados. Ce qui n'empêche pas les clients de s'installer et bavarder).
Quelques minutes, j'ai rêvé de tenir un tel bar, servir des bières aux passants et des limonades aux enfants. Ai pensé que même les poivrots, je les supporterais stoïquement, si j'avais choisi d'être là (quand j'étais enfant, les samedis à midi, mon père m'emmenait avec lui au café La coupole, où il buvait un pastis avec des connaissances du quartier. J'avais toujours peur des poivrots, malgré la présence rassurante de mon père et le diabolo qu'il commandait pour moi et qui me motivait spécialement à l'accompagner, en plus de la fierté d'être associée à cet événement hebdomadaire). Mais je n'avais pas choisi d'être là, je prenais juste une photo de cet endroit insolite, en rêvassant et pensant à une bibliothécaire.
Un rêve éveillé, un de plus, un pour rien. Je rêve de changer de vie, comme à chaque fois en vacances, d'ouvrir une crêperie, un café, une librairie, un cabinet de voyance extralucide. M'installer dans un endroit que j'aurais vraiment adopté, et pour longtemps, alors que je n'ai choisi aucun des endroits où j'ai vécu jusqu'à présent et que je n'envisage toujours que de partir. Ou bien, dans un immense élan de surprise heureuse, être emportée au loin par un prince charmant, ne plus rien avoir à porter ni supporter, devenir princesse. Comme m'avait dit une fois ma psy, c'est assez contradictoire, de rêver à la fois de poser ses propres choix et d'être totalement prise en charge. Oui, j'avais acquiescé. En même temps, ça a à voir avec l'Autre, ce n'est pas sorcier à comprendre quand même. Ca a aussi avoir avec la bougeotte, bien sûr. Fuir ses responsabilités.
Chaque matin de vacances, j'ouvre les yeux en ayant rêvé une autre vie que la mienne. Me demande comment ce serait, sans compagnon, sans enfant (situation pourtant difficile à imaginer parce que j'ai toujours été incluse (embourbée) dans un schéma familial). Comment ce serait, un autre métier, plus dur physiquement, si je serais moins grosse, plus ridée, plus lasse, moins torturée. Comment ce serait, si à tel ou tel moment, j'avais fait un autre choix. Si, par exemple, j'avais appris à me lever très tôt et m'étais déshabituée de disposer de mes week-ends. Ou si j'avais déjà empoché un paquet d'argent, si j'avais eu le sens du commerce. Je me demande, c'est d'ailleurs pour ça que j'aime autant L'insoutenable légèreté de l'être. Je suis comme Tomas dans L'insoutenable légèreté, je me demande mais laisse le cours des choses, ou l'Autre, décider pour moi. Je ne change pas de vie, tout reste identique, d'ailleurs je ne vais pas tarder à prendre des résolutions de rentrée bien contraignantes, qui me fixeront encore plus à mes rails quotidiens. Adieu, le fugace rêve de bar-livres. En attendant, je regarde la photo. Quand je serais rentrée aussi, je la regarderai, et le lac Ontario, tâche bleue de la mappemonde affichée sur le mur de la cuisine, un rêve de plus. Une journée particulière.

dimanche 29 juin 2014

Dormir longtemps

Dormir
J'ai dormi longtemps. Rêvé semi-éveillée qu'un homme me tenait dans ses bras et me caressait les cheveux, c'était doux. Je ressens moins de désir sexuel et plus de désir de tendresse, je vieillis, ai-je pensé dans un demi-sommeil. Avant de faire une liste mentale de courses, ne pas oublier le shampoing et le chocolat. M'est revenu aussi que je n'avais pas encore répondu à des mails de boulot. Il vaudrait mieux décliner cette responsabilité qu'on me propose. Savoir dire non. Depuis combien de temps n'ai-je pas passé une journée entière sans allumer l'ordinateur ni consulter mon téléphone portable ? Des siècles... serais-je capable de ne pas travailler, d'oublier tout ça ? Faire un test, aux prochaines vacances, pour voir ? Mais alors, il ne restera plus rien.

Le rayon de soleil passant dans la lucarne doucement se posait sur le lit et j'avais envie de me rendormir. J'ai somnolé, un peu, laissé vagabonder mes pensées vers mon compagnon dont je sentais l'absence avec ma main gauche, déjà levé comment il fait, quelle énergie, mes enfants qui dormaient, les embrasser longuement ce matin c'est le week-end, maman, papa,  Sensei je me demande comment il va, Venus à qui je devrais porter des framboises s'il en reste, Minerva et Origami mes copines, l'ancien amant, toi aussi tu as vieilli, Darling, peut-être ressens-tu moins de désir sexuel et plus de désir de tendresse... Je vais cuisiner un filet mignon aujourd'hui. J'aime bien la dame qui encaisse les fruits et légumes au magasin, toujours le mot pour rire. Ca fera une chouette ratatouille.


J'ai dormi longtemps pour mieux me replonger dans ma discothèque intime, car on a chacun ses vieux disques rayés qu'on écoute tout le temps et qu'on fait subir aux autres, comme dit mon correspondant, artisan habile de métaphores à qui je pense aussi, bien tranquille dans mon lit. Misanthropie, n'importe quoi, je ne fais que penser à des gens (des Jean), ne peux m'en abstraire. De ceux que j'ai choisis.
Aujourd'hui je mettrai mon pantalon bleu et mon t-shirt orange, refaire le vernis à ongles des pieds en mandarine, ce sera plus joli. Aller courir, pourquoi pas.

Ou ne rien faire, rester là, sourire. Je sens mes rides se plisser quand je souris, plus le temps va passer plus je serai comme ma grand-mère, une vieille pomme ridée.


Jouer avec le drap. Prendre un livre. En attrapant le premier roman de Jérôme Ferrari, Aleph Zéro, je me rends compte qu'il m'échappe sans cesse, pas seulement des mains. Je n'arrive pas à m'y accrocher, malgré plusieurs tentatives ces derniers jours. C'est trop décousu, alambiqué, intello qui se la pète. Qu'il mentionne  Clément Rosset et Jorge Luis Borges ne change rien à l'affaire, même si on y trouve déjà l'idée, tellement bien exploitée dans Le sermon sur la chute de Rome, des mondes qu'on se construit puis auxquels on ne comprend plus rien. Là, c'est un monde étrange que celui du personnage principal, un mix de physique quantique et de salle des profs, dans lequel on s'ennuie terriblement. Je soupçonne comme une arnaque d'éditeur, pour une fois qu'ils ont un Goncourt, chez Actes Sud.

mercredi 23 avril 2014

Sac


sacJ'ai fait des dizaines de rêves de sacs. Je voudrais les avoir tous consignés, m'en souvenir, les comprendre. Mais ils se dérobent tandis que le signifiant sac remonte impertubablement de mon inconscient. Il en reste des traces dans de vieilles notes éparses. Parfois, c'est un bagage, un cabas, le plus souvent un sac à main... des histoires de vols, de voyages, de peurs...

14 septembre 1998__ Rêve : je suis dans un grand hôtel.  Par inadvertance, je prends un sac de voyage qui n'est pas à moi. Quand je m'en aperçois, je décide de garder ce très beau sac. Je commets un vol. Comme je suis avec ma fille, je ne suis pas découverte comme auteure du vol. Conclusion : c'est mon bébé (ou le fait d'être mère) qui me disculpe d'un vol que j'ai commis.

14 septembre 1998__  Connexion avec un autre rêve que j'ai fait, à un autre moment de mon analyse : je possédais un très beau sac à main. Je rendais visite à mon père. Il "rangeait" (cachait) mon sac et ne voulait pas me le rendre, voulait me l'échanger contre un morceau de viande rouge que je ne voulais pas.

24 mai 2006 __ Rêve : je suis heureuse et amoureuse, je vais rejoindre Curedan. Je dois prendre le train, mais je n'arrive pas à trouver le chemin de la gare. Finalement, j'y arrive, l'horloge indique que le train est sur le point de partir, je cherche le quai, me dépêche. Et puis je réalise que j'ai oublié ma valise, j'hésite, je ne peux pas partir et pourtant je veux partir, il me manque. J'ai peur. Je me réveille.

Il y a deux ou trois nuits, je me promenais, sac à main habituel sous le bras, dans une ville méditerranéenne, espagnole ou italienne. C'était l'après-midi, par beau temps, un soleil éclatant. La pierre orangée des bâtiments anciens me faisait de l'œil.
En levant les yeux pour admirer une de ces façades lumineuses, j'apercevais un collègue,  quinquagénaire séduisant, posté en haut d'un muret ; nous devisions gaiement jusqu'à ce qu'il dise: "viens, grimpe ici, on sera mieux pour bavarder". Alors, j'escaladais le muret, laissant le sac trop lourd au sol, sans m'en préoccuper... Un oubli involontaire dans l'insouciance du moment ? Ou volontaire, laisser derrière soi ce qui pèse ? Pourquoi le choix de l'ascension proposée par un autre plutôt que de continuer mon propre chemin ? La conversation continuait, la recherche, la lutte, la politique ; jusqu'à ce que je me rende compte qu'à mes pieds, bien rangés, bien protégés, se trouvaient ses sacs à lui, l'universitaire soigneux aux deux sacs alignés, prêt à partir, on ne sait jamais, deux précautions valent mieux qu'une, les mandarins le savent.

Alors, dans la panique, je me souvenais du mien, de sac, toute ma vie dedans. Mes clés. Mon ordinateur. Les photos de mes enfants.  Les papiers d'identité qui me permettraient de quitter la ville.  M'y sentais soudain extrêmement attachée, à mon vieux sac rempli de toutes mes affaires si précieuses. Je me précipitais au bas des escaliers devant nous, refaisais le tour du bâtiment, constatais l'emplacement vide  au pied du muret, ne voulait pas qu'il en soit ainsi. Puis, dans un coup d'œil circulaire, j'apercevais le sac s'éloigner dans les bras d'un vieil homme, l'allure pauvre, les cheveux blancs, le regard triste ; j'allais vers lui et violemment reprenais mon bien (probablement en criant). En me sentant gênée et coupable. Effrayée. Demi-sommeil. Me conduire ainsi, de façon barbare, pour rien, une conversation au soleil et l'incapacité à prendre des précautions minimales en présence d'un intellectuel séduisant. Goût de cendres. Réveil.

vendredi 25 octobre 2013

Rêves

Hier, je n'ai pas réalisé un rêve d'enfant. Le rêve d'aller dîner quelque part où règnent l'apparence et la cuisine bourgeoises qui tentaient tellement la petite fille d'autrefois. Une de mes proches amies s'y rendait régulièrement avec ses parents, au retour des vacances, et nous racontait dans la cour de l'école à quel point c'était bien. Moi, je rongeais mon frein, espérant qu'un jour j'irais aussi dans ce restaurant tellement chic de la capitale (chic à mes yeux de gamine de 10 ans jamais sortie de sa ville natale).
Hier donc, je n'ai pas réalisé un rêve d'enfant, me suis contentée d'admirer l'endroit de l'extérieur, ses lampions et ses serveurs en livrée. Ca pouvait rester un rêve, je n'y tenais pas tant. Ca avait l'air bruyant et pressé. Je me suis extirpée de ma ville natale autrement et depuis belle lurette.
 
rêveHier, par hasard, s'est réalisé un autre rêve, un rêve de lectrice. Ce n'était pas un rêve longuement élaboré, rien ou presque n'en avait été pensé ni formulé. Pas un mot, les mots ne venaient pas. Mais tout déjà tourbillonnait dans mes pensées, prêt à s'agglomérer en séquence. Souvent les rêves, les souvenirs et les fantasmes cheminent et voisinent et finissent par se mélanger. C'était comme une hallucination, un songe éveillé, une plongée dans quelque chose d'étrangement familier.
Je me retrouvais dans un décor jusque là seulement idéel. Je reconnaissais le lieu pour l'avoir imaginé et imagé, comme une abstraction assez lointaine. Maintenant, j'y étais, concrètement, entièrement, immergée dans la réalité sensible. Je pouvais regarder, toucher, sentir la présence des personnages qui y étaient passés, leurs histoires.  J'y étais. Et même impliquée dedans, participant. Je regardais un film que j'avais espéré voir dans ce décor là avec cette personne là, lisais des bribes de livre, m'emmitouflais dans une couverture en écoutant des paroles et des musiques. Il faisait chaud mais j'étais bien dans cette couverture. Peut-être même y laissais-je une infime trace de mon passage, qui sait.

Un instant, je vivais dans le livre dont j'avais lu les pages. Je l'entendais vivre. Cela m'intimidait, me rendait muette, comme dissociée de moi-même, car ce n'est pas mon livre et cela me reste étranger malgré la familiarité et c'est peut-être là qu'est le bonheur pour la lectrice, dans cette intimité comme distanciée, dissociée, car le livre qui ouvre un univers et le rend mien fait à la fois obstacle à l'entrée dans le réel, le réel de l'autre et le mien, que je fuis en même temps que j'y aspire et qu'il m'aspire. Un voyage doux et sidéré dans la fiction qui me faisait perdre les pédales et les mots. Heureusement qu'une question bienvenue sur mon programme du lendemain m'en a rappelé le caractère provisoire, sinon j'y serais encore.

J'étais heureuse et je ne le savais pas, ai-je pensé au réveil, quand je suis revenue à la réalité, regardant le ciel et reprenant le cours de ma vie.

mardi 22 janvier 2013

Pondichéry

Un endroit qui fait rêver, Pondichéry. Je regarde le planisphère affiché dans ma cuisine. Il y a ce petit point de l'océan indien, ce lieu mythique, Pondichéry. Pondy, comme disent les familiers. Pondy-chéri. On imagine l'amoureuse: "rendez-vous à Pondy, chéri". Pondichéry, un petit point de rien du tout pour dire les vagues, l'ashram de Sri Aurobindo, les maisons coloniales, le nom toujours français de quelques rues du centre-ville... et un peu plus loin, Auroville la magnifique (ou serait-ce Auroville la maléfique...). Un petit point qui donne envie de marcher le long de la jetée, humer l'air épicé, dormir les fenêtres ouvertes par 40 degrés dehors, avec le bruit du ventilateur et les klaxons des scooters en fond sonore. De commander un thali dans un café pour finir par se dire qu'on aurait préféré une baguette beurrée, tout compte fait. Pondy, le goût du thali, voilà, ce que ça dit. 
Lire une carte est une activité puissamment évocatrice. Imaginer la réalité sensible que le point cartographique représente et réduit dans un même mouvement.  En regardant la mappemonde, je me transporte dans des lieux connus ou inconnus, en voyage. New-York autrefois m'a beaucoup fait rêver,  Sydney aussi, maintenant c'est peut-être davantage Jerusalem, Tokyo, Oran, les falaises irlandaises. Des images viennent à l'esprit juste en posant les yeux sur l'étendue bleue plastique de l'Atlantique ou les rivages coloriés en jaune de l'Algérie. Ca ne date pas d'hier... Dès le XVème - XVIème siècles, les cartes du monde, du Nouveau monde en particulier, étaient illustrées de multiples éléments visant à renforcer l'évocation. Vers 1520, des dessins de rhinocéros ou de populations indiennes y ont été intégrés, car les cartographes avaient eu connaissance des grandes découvertes africaine puis américaine à travers les récits de voyageurs.
 
La carte reflète aussi les perceptions et connaissances de l'époque. Le continent américain par exemple a d'abord été représenté trop étalé, les cartes modifiées au fur et à mesure que s'établissaient des relevés topographiques plus exacts et que la longitude était inventée. Sans carte, et maintenant sans GPS, tout serait différent. On se recroquevillerait sur du connu, comme les Grecs de l'Antiquité qui ne s'éloignaient guère des côtes de la Méditerranée... et y vivaient pourtant une odyssée. Parfois, dans un lieu nouveau, ça me prend des heures, ou plutôt de longues minutes, pour repérer où je suis. Je me perds facilement. Je n'ai pas le sens de l'orientation.  Alors, j'essaie maladroitement de faire correspondre le plan ou la carte au réel. Quand enfin, par miracle, ou avec l'aide d'un passant, j'y arrive, il y a comme un soulagement. Cela me fait tout drôle de penser que déjà mes enfants, et tous ceux qui viendront après nous, ne connaitront pas ce soulagement de la compréhension de la carte, ni l'angoisse qui précède, tout équipés qu'ils seront d'assistants électroniques à la navigation...