dimanche 22 décembre 2013

Les années sandwiches

Les années sandwiches
J'entends dire : c'est une année qu'on va vite oublier, 2013 ! Oui, la crise, la misère, ras-le-bol, vivement la reprise, vivement un changement de gouvernement, vivement, vivement...  Et moi, qu'est-ce que j'en retiendrai, de 2013 ? Comme d'habitude. Pas de désagrément majeur, rien d'extraordinaire non plus. Des moments de boulot intense, des enthousiasmes intellectuels. Un échec professionnel cuisant, encore un. Quelques rencontres marquantes, une dans un aéroport, il y a peu, qui m'a laissé entrevoir une autre vie que la mienne. Des voyages, des TGV, des salles d'attente, des coups de fil, des sms, des tonnes de mails. Les relations épistolaires, qui me sont chères, qui m'accompagnent, me taraudent parfois. Une nostalgie amoureuse inguérissable, comme une maladie honteuse. Une vie de famille un peu chaotique, une vie tout court un peu chaotique, ne plus savoir où je vais, qui je suis, juste rester dans le mouvement... souvent, ça se résume à ça, rester dans le mouvement. Courses, lessives, dialogues quotidiens avec mon compagnon, crier contre les enfants, courir aux réunions, ne rien oublier surtout, ni les dîners entre amis, ni les rendez-vous d'orthodontie. Assurer, gérer, prévoir. Rattraper ce qui doit l'être quand je rentre de voyage. Ensuite je me retourne et je me demande : mais que reste-t-il de toute cette énergie débordante, que reste-t-il de ces levers matinaux et de ces couchers épuisés ? Pas grand chose. Rien du tout. C'est la fin de l'année et je ne peux pas me dire : cette année, j'ai accompli telle ou telle chose. Cette année est comme la précédente, c'est tout.  Ca se maintient. C'est déjà bien, diraient certains. 

Il y a très longtemps, j'avais lu ce roman : Les années sandwiches, de Serge Lentz (je ne me souvenais pas de l'auteur, heureusement que Wikipédia est là pour me rafraîchir la mémoire ; mais l'image de la couverture est celle-là, j'en suis certaine). Je ne me rappelle pas tellement l'histoire, juste d'un échange entre deux personnages, où l'un dit à l'autre quelque chose du genre : de temps en temps, il y a une année où il se passe plein de choses, on grandit, on s'enrichit, c'est l'année sandwich. Le reste du temps, il ne se passe rien, on attend.

Je retrouve même une citation, sur un site : 

« Parce que l’homme ne vit que quatre ou cinq années importantes dans son existence - le reste, c’est du remplissage et de l’attente. Quatre ou cinq années qui viennent s’intercaler dans la vie comme des tranches de pâté entre les morceaux de pain. Des années-sandwiches ! »

Je crois que ça fait bien 10 ans, que j'attends ma prochaine année sandwich... là j'ai des années pain,  avec leur lot de bons moments et de petits tracas. Je ne peux m'empêcher de rêver d'autre chose, dans des tentatives souvent désespérées, parfois pourtant je sens que j'y suis presque, à l'autre chose... Et l'espoir revient du pâté, car une fois qu'on y a goûté, même si c'était il y a 10 ans la dernière fois, et il y a 15 ans celle d'avant, on a envie d'en reprendre. Mais ce n'est que du pain, finalement, ce n'est pas mauvais d'ailleurs, on s'habitue, il y a un certain confort gustatif là-dedans.

Peut-être alors que 2014 sera une année sandwich... j'aimerais y croire, j'aime l'idée de l'espoir dans la nouvelle année, je l'entends dans la voix de mon père qui, à plus de 70 ans et en grand connaisseur de pâté, dit encore avec gourmandise, fort, au téléphone : "et puis, tu vois, une nouvelle année va commencer" !

dimanche 15 décembre 2013

Une année sans Michka

Michka
Cette fois, c'est foutu. L'enfance est finie. L'enfance de mes enfants. "On n'a plus 5 ans, maman", voilà ce que j'ai entendu en déballant les décorations de Noël et en retrouvant l'album du Père Castor au fond du carton. L'album tout vieux, avec mon nom écrit à l'encre bleue à l'intérieur, NOM en majuscules, Prénom en minuscules, une écriture appliquée qui devait être la mienne en ce temps-là.

L'an dernier, j'avais convaincu la plus jeune de lire une ultime fois cet album tout vieux avec moi.  Mais cette fois, c'est fini, Michka est dépassé. Bien sûr que c'était surtout par mimétisme que mes enfants étaient venus à la lecture de Michka. Après, le choix est devenu plus varié, des mangas aux DVD, Michka ne pouvait pas lutter.

Ca représente pourtant comme une tranche de vie qui s'efface. Adieu, petit Michka, adieu les récits allongés sur le canapé avec les petits pieds au chaud sur mon ventre ou les petites têtes au creux de mon épaule. Adieu les questions : mais pourquoi il part de sa maison, Michka ? C'est qui le renne de Noël, pourquoi c'est pas le Père Noël, qu'il rencontre ? Dis maman, tu pleures ? (mais non ma cocotte, j'ai les yeux un peu humides, c'est tout, c'est parce que j'ai baillé...). Noël continue, Apple est le nouvel ami qui remplace Michka. Nous cherchons chez lui des trêves dans le dur combat ; exigences scolaires, conflits sans fin pour les sorties, téléphones portables en non stop. Je déteste l'adolescence, j'ai détesté la mienne, je déteste celle de mes enfants qui n'en sont plus.

Pour la première fois depuis 15 ans je n'ai sorti Michka de sa boîte que pour moi, la maman, la lectrice, la petite fille d'autrefois. Ca m'a serré le cœur, un instant, un grand soupir s'est échappé de ma poitrine. Mais quand Michka s'est élancé dans la neige, levant haut les pattes, enfin libéré de la maison d'Elisabeth, j'ai senti le souffle de la liberté me reprendre. L'envie d'aller voir ailleurs. Comme quand j'avais 5 ans et qu'on me lisait cette histoire. Comme quand je voyage, parfois, tout là-haut dans les pays du Nord et que le vent frais de la Baltique me fouette les joues. Comme à chaque fois, quand je pense : vas-y, Michka. C'est tellement bon de manger du miel dans les bois. De faire la sieste sur un arbre. De rencontrer le renne.

Michka et moi, on va patienter un moment. Attendre la génération suivante pour peut-être entendre à nouveau les petits souffles attentifs et les rires. On s'en fiche, du temps qui passe, on a toute la vie devant nous. Bientôt 40 ans qu'on se fréquente à chaque Noël, pourquoi ça s'arrêterait.

jeudi 5 décembre 2013

Petit éloge de la vie de tous les jours

Franz Bartelt
Dans la série j'essaie de me réconcilier avec la vie, j'avais été attirée par le titre et le prix d'un court recueil de Franz Bartelt, Petit éloge de la vie de tous les jours. 2 euros. Venus m'ayant parlé de cet auteur, j'étais curieuse.
Deux euros, donc. Ca ne vaut pas plus. C'est un recueil de nouvelles sur la vie quotidienne dans les Ardennes, françaises et belges, où, comme le dit l'auteur, il ne se passe jamais rien. C'est supposé être drôle, ironique, auto-dérisionnel (j'invente le mot tellement il se force à être dans l'auto-dérision, l'auteur). Un exemple:

"Là, je viens de passer trois minutes avant de trouver la suite de ce que je disais. Cette suite, c'est ce que je viens d'écrire. Et la suite de cette suite, c'est ce que je viens d'écrire, la suite de la suite de la suite étant ce que j'écris maintenant, en attendant la suite, qui ne saurait tarder car en écrivant "qui ne saurait tarder" j'amorce une suite de la suite qui fait suite à toutes les suites précédemment mises bout à bout pour me conduire jusqu'ici où, de nouveau, se pose le problème sans début ni fin de la suite". p. 55-56
 
Aucun intérêt. Quand l'auteur parle de lui-même il est lourd, et quand il parle des autres sa misanthropie mal camouflée par un pseudo-humour transpire par toutes les lignes. Le style ? Ah le style, parlons-en du style, moi qui d'habitude m'en fous du style, qui ne crois qu'en la sincérité et l'arrachage littéraire des tripes. Aucun style, plat comme les Ardennes. Mais pas un plat qui se laisse oublier, qui est ce que je préfère, non, un style plat qui dit : "regardez, les gens, comme je suis un gros rigolo". Le fait que l'auteur s'auto-qualifie de blaireau, pour nous rendre un peu complices, entre blaireaux on se comprend, ne change rien à l'affaire, c'est toujours aussi plat et égocentrique.
Blaireau, il devrait le reconnaître humblement au lieu de nous infliger ses nouvelles mal fagotées. Le ton avec lequel il écrit "le Belge" ("le Belge est féru de guirlandes lumineuses. Il a aussi l'art d'arranger les boules dans le sapin", p. 10), le "Rémois" ou "la Rémoise" ("La Rémoise n'est plus ce qu'elle était", p. 79) est insupportable de connerie. C'est beauf, c'est tout. Un beauf content d'écrire, qui s'écoute écrire, qui se la joue je suis un blaireau parmi les blaireaux mais moi je sais écrire alors je vais vous expliquer la campagne à vous les gens de la ville. Et voilà, c'est publié en poche, chez Folio, pour deux euros, c'est dire s'il s'en vend des milliers.
 
Désespérant. Il y a mieux pour se remonter le moral.
 
Il faut dire que je n'ai aucun humour.

Et que j'aurais bien aimé aimer ce que Vénus aime.

Poubelle, alors ? Ca m'est tellement difficile, de jeter un livre, même archi-nul. Celui là je lui ai fait traverser l'Europe entière, et arrivée tout là-haut dans les pays du Nord, après m'être prodigieusement ennuyée avec ses nouvelles, je n'ai pas eu le cœur de le balancer. Il est revenu avec moi, le même long voyage, brinquebalé dans mon sac déjà archi-plein. Je ne sais pas me séparer. 

mercredi 4 décembre 2013

Lire (Murakami) dans un aéroport

aéroport
Pas facile, de lire dans un aéroport. Tous ces bruits. En faire une liste. Les avions qui décollent. Les conversations dans plein de langues différentes. Les portiques de sécurité qui font biiiiiiiiiiiiiiiiiip, les bam bam des bacs plastiques du check point. Les annonces: this is the last call for the flight XYZ456 to Mumbai. Passenger Machin et Passenger Truc please go to gate C45. Mon voisin qui regarde un film avec le son à fond.  Sans compter toutes les questions que je me pose sur les achats possibles en duty free (pour finalement ne rien acheter : peur de faire les mauvais choix).
 
C'était peut-être le moment idéal pour rentrer, ou plutôt re-rentrer, dans la lecture de Murakami. Pas mon Murakami habituel, poétique, Haruki; non, son double vénéneux, très sombre, Ryû. Haruki et Ryû pourraient être les jumeaux dissemblables et maudits du roman  Les bébés de la consigne automatique, de Ryû Murakami.  L'histoire longue et complexe de deux garçons abandonnés chacun à la naissance dans un casier de consigne et qui par miracle survivent. L'histoire se déroule chronologiquement, de l'orphelinat à l'âge adulte, et s'achève dans un chaos de sang et de destruction.  Mais ce n'est pas triste, c'est juste l'enchaînement des choses qui veut ça. On voyage dans tout le Japon, on rencontre des personnages assez foutraques comme la magnifique Anémone et son crocodile Gulliver. Elle sait ce qu'elle veut, Anémone, pas l'eau croupie du quotidien, elle préfère mille fois les grains de sable qui grincent entre les dents et déchirent la gorge jusqu'au sang, des mirages, des illusions, qu'il se passe quelque chose. Elle refuse de s'ennuyer ou de se résigner. Elle est jeune.
 
C'est un peu le personnage qui sauve le livre, Anémone. Pour le reste, la violence et la dureté l'emportent, entre Hashi le premier garçon qui à force de conneries diverses comme la tentative d'assassinat de sa femme finit à l'hôpital psychiatrique en camisole et  Kiku le deuxième qui planifie méthodiquement la destruction de Tokyo. C'est sensible, pourtant, tous ces personnages cabossés se rencontrent, s'aiment, se détestent, parfois simplement se croisent ou cohabitent, faute de mieux. De temps en temps, Murakami nous balance une vanne bien sentie sur le monde tel qu'il est, brutal, sauvage.
Tout ça, c'est à cause des battements du cœur des mères, ceux que les bébés entendent dans le ventre ; la perte de ce battement, la solitude qui en résulte, on ne la surmonte jamais complètement.  

jeudi 28 novembre 2013

Chute libre

Chute libre, Mademoiselle Caroline
Je continue à explorer la déprime, les failles narcissiques, la psyché et compagnie. Dans les livres. Un peu pour mettre mes soucis à distance, un peu par peur que ça m'arrive. J'ai ainsi commencé un petit voyage en BD après avoir entendu à la radio parler de Chute libre, Carnets du gouffre,  un excellent album illustré de Mademoiselle Caroline, qui raconte 7 ans de réflexion dépression.
Plombante, triste, sombre, cette histoire ? Pas du tout. C'est drôle, on rigole, y'a de la vie là-dedans. On compatit aussi, surtout quand on voit Mademoiselle Caroline flanquée de psys toujours prêts à dégainer des âneries. Par exemple, un psy qui déclare:"ce qui va être dur avec vous, c'est d'aller en profondeur, car vous tournez tout en dérision". Comme si être au fond du trou imposait en plus de ne pas rire, de se rendre encore plus grave et lugubre qu'on est.
Donc, ça existe, un psy qui n'a pas d'humour... c'est ce qui donne envie de pleurer, bien plus que les crises. A un autre moment, une autre psy lui dit, à propos de son mari qui l'aime : "vous avez le plus important !" comme on dirait : "mais enfin, toi qui as tout pour être heureuse, un mec sympa, des enfants, une maison, un boulot...". Alors Mademoiselle Caroline, elle se demande, pourquoi ça ne va pas, si tout est là réuni pour aller bien ? Et elle s'enfonce en pensant qu'elle n'en sortira jamais...

Les illustrations sont excellentes, des petits croquis comme rapidement réalisés, dans l'instant, peut-être juste avant de s'effondrer ou de penser à autre chose. J'aime bien aussi la relation qu'elle a avec ses enfants, malgré les idées noires et les ras-le-bol. Les petits efforts de look, féminins, légers, pour tromper l'ombre qui ressurgit. "Je ne pourrais pas expliquer pourquoi, mais l'image du bonheur, désormais, c'était moi allant au bureau avec des baskets blanches et un sac "lune" de Vanessa Bruno". Ca me rappelle mes petites stratégies pour me sentir vivante quand tout est gris et froid à l'intérieur de moi : pull familier, parfum, maquillage, sourire devant le miroir.

Le pire, quand même, ce sont les rechutes. On voudrait que ça aille, mais ça pète et repète à chaque fois.  Avec des dessins bien noirs et assez flippants.

"C'est arrivé le 15 février 2009. Vers 5h30. Se réveiller avec la conviction qu'on est morte. Que sa vie est finie.
(...)
J'ai passé le trajet du retour à me persuader que j'allais bien, que ma vie allait bien.
Mais au matin, c'était sur moi.
L'ombre.
Elle m'enveloppait.
Non.
Elle m'assommait. M'étouffait. M'étranglait. Me paralysait.
Elle s'était nourrie entre-temps."
Plus tard, ça finit bien. Grâce aux psys et à leurs thérapies comportementales (celles que je déteste, même si la question n'est pas là), mais aussi aux fleurs, aux chansons, aux montagnes, et à la lecture de Voici.

Ouf, on se dit à la fin. Et qu'on ne regardera plus un dépressif de la même façon. En tout cas, on essaiera de ne pas détourner le regard des malades aux yeux vides et à la bouche sèche. J'essaierai.

samedi 23 novembre 2013

L'écume des jours

L'écume des jours


"Chloé sentait une force opaque dans son corps, dans son thorax, une présence opposée, elle ne savait comment lutter, elle toussait de temps en temps pour déplacer l'adversaire accroché à sa chair profonde. Il lui semblait qu'en respirant à fond elle se fut livrée vive à la rage terne de l'ennemi, à sa malignité insidieuse".
L'écume des jours, chapitre XXXIII

Il y aurait tant à dire et à écrire sur les livres de Boris Vian. Ceux de Vernon Sullivan sont mes préférés, dans leur cruelle crudité mêlée à la fantaisie.
Mais je n'ai pas le courage, je fais ma Chloé.  Non que nous ayons quoi que ce soit en commun. Surtout pas physiquement. Dans L'écume des jours, Chloé est jeune, fraîche, fine, elle a les yeux bleus, les cheveux bruns frisés et brillants. A jamais maintenant, pour beaucoup de gens, et pour moi aussi, Chloé c'est Audrey Tautou, à cause de ce film récent qui prétendait être une adaptation (n'importe quoi mais ça s'est imprimé et je ne me souviens plus comment j'imaginais Chloé avant). Rien de commun, quoi qu'il en soit. Chloé est jeune, je suis vieille. Elle est légère, je suis lourde. Elle est amusante, je suis grave. Etc.
Pourtant je fais ma Chloé. J'ai un nénuphar dans le cœur. Il me bouffe, provoque des palpitations, de gros soupirs. Je ne sais pas comment il est arrivé, je sais seulement qu'il est là depuis très longtemps. Bien installé. Depuis toujours. Parfois j'aime me raconter que c'est lié à des événements, mais non, c'est juste moi qui suis comme ça.  J'ai grandi avec ce nénuphar dans le cœur. J'ai du l'aspirer très jeune, peut-être petite fille, au bord de l'étang où je me promenais dans l'insouciance, regardant les grenouilles que pêcherait mon père pour le déjeuner. Le nénuphar fait rétrécir les murs et voir tout en noir. Quand j'étais petite et que tout devenait noir, je disais à mes parents : pourquoi vous ne m'avez jamais aimée, aimez-moi un peu, s'il vous plaît. Je croyais que l'amour des parents pouvait tuer le nénuphar, si seulement ils étaient un peu plus présents, si seulement ils ne laissaient pas autant le monde être effrayant. Ensuite, plus tard, j'ai espéré que l'amour d'un homme en viendrait à bout. Dans mon cœur il n'y avait plus que lui, plus de place pour le nénuphar alors. Mais, homme resté ou parti, quelques temps après je m'apercevais que le nénuphar était toujours là. Encore maintenant, l'illusion me reprend de temps en temps d'être guérie du nénuphar (surtout quand un rêve d'autrefois se manifeste et que j'espère un instant qu'il se réalise). Au cours d'une nuit d'insomnie, je me purifie, me remplit de bonheur, expulse enfin le nénuphar. Mais ce n'est qu'une illusion, au matin il revient. En psychanalyse, on l'appelle hystérie, faille narcissique, syndrôme d'abandon, c'est selon.
Il fait tout chanceler. Il assombrit l'univers. Il me rend triste et malade. Je fais ma Chloé. Je reste au lit en attendant que ça passe. Je lui donne des fleurs à respirer pour qu'il se calme un peu. Des roses, il aime les roses, c'est le temps que tu as perdu pour ta rose  qui fait ta rose si importante avait dit le renard au Petit prince. Moi c'est le temps que j'ai perdu à apprivoiser mon nénuphar qui le fait si important. Des années à le maîtriser, à essayer de penser à autre chose, moins tousser au moindre petit chagrin, moins appeler à l'aide, ne pas trop extérioriser, bien sûr que l'amour d'autrui ne peut rien, surtout ne pas (trop) ennuyer les amis avec ça, les amours non plus, seulement supporter le nénuphar. Arrêter de penser qu'il pourrait partir aussi, mon sein gauche est bien plus gros que le droit, ce n'est pas par hasard, c'est le nénuphar qui niche à l'intérieur, il pousse dans le cœur. Juste attendre, alors, qu'il se replie. Ne pas trop l'arroser avec des larmes, ça le fait grandir. Lire un peu, peut-être, pour le distraire.  Boire du thé, qui le ramollit. Regarder par la fenêtre l'oiseau grignoter des graines. Il va se calmer, bientôt, jusqu'à la prochaine fois. Je n'en mourrai pas, je ne suis pas Chloé, pas eu cette chance ou cette malchance.

mercredi 13 novembre 2013

Petit Prince

Petit Prince
Dans la vie, il y a toujours un moment où on revient au Petit Prince. A Saint-Ex. Saint-Ex, c'était le nom du collège et j'étais envieuse de ma copine qui habitait en face quand je devais me lever tôt et marcher une bonne demi-heure pour y arriver. C'est là que j'ai fumé ma première cigarette. Là que j'ai fait mon premier footing, sous la contrainte. Là que j'ai été invitée à ma première boum. J'aimais bien, Saint-Ex.

Saint-Ex surtout c'est Le Petit Prince, la rose, l'astéroïde B612, le businessman et l'abruti de roi qui ne connaît rien d'autre que les ordres.  Les dessins de chapeau, de boa ouvert ou fermé et d'éléphant. Les grandes personnes qui ne comprennent rien, il leur faut toujours des explications. L'allumeur de réverbère. Etc.
Dans la galerie des personnages du Petit Prince, j'aime particulièrement le renard. Je l'ai toujours aimé, pas seulement parce qu'on m'avait fait apprendre par cœur sa tirade à l'école primaire. J'aime son ton plaintif et résigné et son besoin d'être apprivoisé. Ses hésitations à voyager, quelque part où il n'y a pas de chasseurs ni de poules. Et sa sagesse. Finalement, il est bien là, dans son champ de blé qui ne lui rappelle rien, dans sa vie monotone, même s'il rêve parfois d'autre chose. Il y a toute une poésie du renard, dans ce champ de blé improbable. Ca va bien au-delà de cette phrase mièvre et trop rabâchée, on ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible pour les yeux.

Il a eu le temps de réfléchir à l'apprivoisement, le renard, à ce qui fait qu'un être devient unique au monde. A ce que signifie créer des liens. Les journées sont longues, quand tous les hommes se ressemblent et toutes les poules se ressemblent. Un peu comme dans la vie. Le Petit Prince, évidemment, il pense à sa rose, pourtant une belle pimbêche. Le renard, lui, est moins exigeant ; un ami survient, l'apprivoise et sa vie monotone s'éclaire. C'est une affaire de patience, prendre son temps, découvrir le prix du bonheur, comme il dit.

Je suis comme le renard. A propos de quelqu'un, il m'arrive de penser fort dans ma tête : si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Et ma vie  parfois s'ensoleille et alors je pense au renard et aux rites et que tout est différent quant on s'est apprivoisé. Il peut même soudain se mettre à faire beau quand le ciel juste avant était gris.

mercredi 30 octobre 2013

La lecture abandonnée

Valloton, La lecture abandonnée Aujourd'hui, je n'ai pas lu.
 
J'ai visité l'atelier. Des violons, des violoncelles, des archets, des morceaux de violes de gambe mélangés à des peintures et des gravures. Les violes de gambe sont fascinantes,  jamais identiques, parfois au sommet il y a une tête de lion. Quelque part à Paris se trouve une viole avec une belle tête de lion, pas n'importe quel lion, un beau lion bien sculpté, un lion en forme,  un lion prêt à rugir. Une viole peut-être oubliée dans un coin, allez savoir ce qu'ils en ont fait.
 
C'est une viole qui manque à son luthier. Il y tenait, le luthier, à son lion bien sculpté. Puis à Jacquemin, les gravures de Jacquemin, je préférais la première, elle était plus simple, plus belle, forte et douce. On est tombé d'accord.
 
Il est passé dans la pièce à côté, a essayé un violoncelle, le son était magnifique, ça vibrait, il a dit : je crois que c'est pas mal, comme ça.

En attendant, je feuilletais sur l'escalier un livre sur Valloton en pensant à son Verdun. Je suis tombée sur une femme pulpeuse, d'une collection privée à Montréal. Puis sur "la lecture abandonnée". Je ne savais pas que Valloton avait peint autant de nus, aussi sensuels. Des femmes qui ont vécu, aux seins lourds, aux ventres ronds. Quand je pense qu'étant jeune je préférais les nus torturés de Schiele,  la raideur géométrique et angoissée, j'étais bête. Il n'y a rien de plus beau que la courbe et la lascivité. L'abandon.

J'ai voulu payer mais je m'appuyais sur un violon, alors il a dit: "hey, touchez pas à mon Vasymarius!" On a ri. On a parlé des clients mauvais payeurs et mauvais loueurs, ils disparaissent mais ne meurent pas, on n'est pas dans un roman, c'est juste qu'ils ne veulent ni payer ni restituer les instruments. Ah bon, mais pourquoi donc. Après on est passés aux jardins, le temps change, il faut mettre les plantes à l'abri. Il a conclu, je vais travailler un peu, et vous, rentrez vos geraniums !

lundi 28 octobre 2013

Un été sans les hommes

Un été sans les hommesComme d'habitude chez Siri Hustvedt, Un été sans les hommes combine ce qui m'apparaît comme des propos plein de sagesse avec des platitudes absolues. Siri fait du puzzle, pour ne pas dire du copié-collé. Elle rend compte avec finesse de ce qui la travaille sur le plan personnel, ses relations, son travail, sa fille, mais elle se fourvoie souvent quand elle cherche à rattacher cela à des travaux plus ou moins savants, scientifiques, philosophiques, essayistes : on n'y croit plus, cela semble plaqué. En même temps, c'est pour ça que je l'aime bien, Siri, pour cela que je l'appelle Siri et pas Hustvedt. Parce que je la comprends, je me sens tellement comme elle, à lire et copier-coller des citations, des situations, des témoignages, qui me donnent l'illusion de domestiquer ce qui autrement ne serait qu'un torrent débridé d'angoisses, de confusions, de débordements hystériques, de rêves et de joies aussi. Elle vit dans l'illusion et avec la volonté de comprendre, Siri, comme moi. C'est une sensible qui cherche la rationalité, ça la rassure peut-être.
Contrairement à Paul Auster son mari, Siri n'utilise pas d'histoire bien huilée, de coïncidence, d'invraisemblable qui emporte dans une littérature extérieure à soi-même et tellement confortable. Pas du tout. Elle se plante devant vous et vous fait un discours sur ce qui l'occupe et la préoccupe, ses tremblements, le mari infidèle ou le vieillissement de sa mère et le sien. Brut de décoffrage, pas de fiction, de faux-semblant, des prises de parole directes, à mi-chemin entre une conversation et un cours (elle enseigne ou a enseigné).
 
Elle réfléchit à des trucs qui me parlent.

Elle dit ce que je n'arrive pas à formuler ou que je n'ose pas dire.

C'est pour ça que je l'aime bien, même si parfois elle m'ennuie.

Et puis, elle est belle, Siri, une Scandinave immense, avec des jambes d'1m50, paraît-il.

Extraits :

"Le caractère éphémère du sentiment humain est proprement risible. Les fluctuations de mes humeurs dans le courant d'une seule soirée me donnèrent l'impression d'avoir un caractère en chewing-gum. J'étais tombée dans les profondeurs déplaisantes de l'attendrissement sur soi-même, un terrain situé à peine au-dessus des basses terres plus hideuses encore du désespoir. Et puis, sotte facile à distraire que je suis, je m'étais, peu à peu, retrouvée en plein délire maternel, prenant un plaisir fou à faire danser et à cajoler le petit d'homme emprunté à la voisine. J'avais bien mangé, bu trop de vin et embrassé une jeune femme que je connaissais à peine. Bref, je m'étais splendidement amusée, et j'avais bien l'intention de recommencer." p. 75-76

"Le temps nous embrouille, ne trouvez-vous pas ? Les physiciens savent jouer avec mais, en ce qui nous concerne, il faut nous accommoder d'un présent fugace qui devient un passé incertain et, si confus que puisse être ce passé dans nos têtes, nous avançons toujours inexorablement vers une fin. En esprit, cependant, tant que nous sommes vivants et que nos cerveaux peuvent encore établir des connexions, il nous est possible de sauter de l'enfance à l'âge adulte, puis en sens inverse, et de dérober, dans l'époque de notre choix, un petit morceau savoureux ici, un autre plus amer, là. Rien ne peut jamais redevenir comme avant mais uniquement comme une incarnation ultérieure. Ce qui était autrefois l'avenir est maintenant dans le passé, mais le passé revient à présent à l'état de souvenir, il est ici et maintenant dans le temps de l'écriture. Une fois encore, je m'écris moi-même ailleurs. Rien n'empêche qu'il en soit ainsi, n'est-ce pas ?" p. 208-209.

vendredi 25 octobre 2013

Rêves

Hier, je n'ai pas réalisé un rêve d'enfant. Le rêve d'aller dîner quelque part où règnent l'apparence et la cuisine bourgeoises qui tentaient tellement la petite fille d'autrefois. Une de mes proches amies s'y rendait régulièrement avec ses parents, au retour des vacances, et nous racontait dans la cour de l'école à quel point c'était bien. Moi, je rongeais mon frein, espérant qu'un jour j'irais aussi dans ce restaurant tellement chic de la capitale (chic à mes yeux de gamine de 10 ans jamais sortie de sa ville natale).
Hier donc, je n'ai pas réalisé un rêve d'enfant, me suis contentée d'admirer l'endroit de l'extérieur, ses lampions et ses serveurs en livrée. Ca pouvait rester un rêve, je n'y tenais pas tant. Ca avait l'air bruyant et pressé. Je me suis extirpée de ma ville natale autrement et depuis belle lurette.
 
rêveHier, par hasard, s'est réalisé un autre rêve, un rêve de lectrice. Ce n'était pas un rêve longuement élaboré, rien ou presque n'en avait été pensé ni formulé. Pas un mot, les mots ne venaient pas. Mais tout déjà tourbillonnait dans mes pensées, prêt à s'agglomérer en séquence. Souvent les rêves, les souvenirs et les fantasmes cheminent et voisinent et finissent par se mélanger. C'était comme une hallucination, un songe éveillé, une plongée dans quelque chose d'étrangement familier.
Je me retrouvais dans un décor jusque là seulement idéel. Je reconnaissais le lieu pour l'avoir imaginé et imagé, comme une abstraction assez lointaine. Maintenant, j'y étais, concrètement, entièrement, immergée dans la réalité sensible. Je pouvais regarder, toucher, sentir la présence des personnages qui y étaient passés, leurs histoires.  J'y étais. Et même impliquée dedans, participant. Je regardais un film que j'avais espéré voir dans ce décor là avec cette personne là, lisais des bribes de livre, m'emmitouflais dans une couverture en écoutant des paroles et des musiques. Il faisait chaud mais j'étais bien dans cette couverture. Peut-être même y laissais-je une infime trace de mon passage, qui sait.

Un instant, je vivais dans le livre dont j'avais lu les pages. Je l'entendais vivre. Cela m'intimidait, me rendait muette, comme dissociée de moi-même, car ce n'est pas mon livre et cela me reste étranger malgré la familiarité et c'est peut-être là qu'est le bonheur pour la lectrice, dans cette intimité comme distanciée, dissociée, car le livre qui ouvre un univers et le rend mien fait à la fois obstacle à l'entrée dans le réel, le réel de l'autre et le mien, que je fuis en même temps que j'y aspire et qu'il m'aspire. Un voyage doux et sidéré dans la fiction qui me faisait perdre les pédales et les mots. Heureusement qu'une question bienvenue sur mon programme du lendemain m'en a rappelé le caractère provisoire, sinon j'y serais encore.

J'étais heureuse et je ne le savais pas, ai-je pensé au réveil, quand je suis revenue à la réalité, regardant le ciel et reprenant le cours de ma vie.

vendredi 18 octobre 2013

Insolite

insolite
Bizarre, baroque, biscornu, curieux, anormal, inaccoutumé, étrange, inhabituel, incompréhensible, rare, singulier, saugrenu, étonnant, abracadabrant, cocasse, comique, drôle, original, hétéroclite.

 
C'est beau les synonymes. Même si les moteurs de recherche eux sont affreux.
 
Au lycée, une copine m'avait demandé quel était mon mot préféré, dans la langue française. Je ne savais pas, aucune idée. J'avais peut-être pensé : bleu ou noir, mes couleurs. Ou tomate, je les aime tellement dans mon assiette. Les oranges aussi.
 
Mais elle, Corinne, elle a dit un mot que je n'ai plus jamais oublié. Après, j'ai cherché un synonyme pour avoir un mot préféré différent du sien. Mais je n'ai pas pu, son mot préféré est devenu le mien.



PS: In English I love chasm that I just discovered. Even though it sounds like orgasm, chasm is a gap, an abyss, a hole, a cavity. It's what is inside, secretly hidden in the sand.

mercredi 9 octobre 2013

Lire des épreuves

Martine n'a plus que 438 copies à corriger
Il m'arrive d'écrire dans des livres alors bien sûr on me demande de relire les épreuves avant impression définitive.
 Une fois on m'avait prénommée Martine dans le communiqué de presse précédent la sortie éditoriale. Ca s'était diffusé partout, d'Amazon à Chapitre.com, je ne me reconnaissais plus. Je me demandais si je devais envisager de me rebaptiser de ce pseudo inattendu.
Surtout que Martine est une de mes héroïnes d'enfance. Souvent je pense à elle, à elle petit rat, à elle qui apprend la natation, à elle en metteure en scène de théâtre, à elle qui corrige même des copies sur Facebook, à elle qui fait toujours tout bien, tandis que moi je ne fais jamais rien bien. J'ai toujours adoré le chic de Martine, sa peau saine, ses cheveux bien coiffés et son chien Patapouf. Gamine, je me battais contre mes sœurs pour conserver ses albums près de mon lit.

Cette fois dans les épreuves, quand dans l'introduction les directeurs de l'ouvrage s'emploient à faire mousser les contributeurs, il est écrit "pour parler conne" suivi de mon nom.
 
La vie est pleine de surprises. D'épreuves.
 

samedi 28 septembre 2013

Moving


secret drawer
Last week, I opened my secret drawer. The drawer where I have locked in most of what is related to you. Presents, postcards, non-sent letters that I have written over the years. Inside, there is the little puppet, the silk scarf and the Little Prince you gave me. There's also my heart, broken into 1000 pieces. My memories. My tears,  your smile; your tears and my smile. In the old days, you were saying each girl has a secret drawer, full of love letters.

I usually avoid to open my secret drawer and to look at your cards. I don't wear your presents, even though I always wear scarves. I don't read you either, even though I'm a compulsive reader. But this time it was different. I was moving office, had to tidy everything up. I saw the card you sent on our first anniversary: "together forever". I re-read your words of love. They reminded me of mines. It was both moving and ironic.

I remembered the first time we met, at this boring reception. I hadn't understood your name, people were so noisy around and you were speaking too fast. You were funny and shy, both serious and not taking anything seriously. A nice guy with a malicious glance. I thought I would never see you again after this strange evening. How could I have imagined you would be the man I would most love, hate and regret in my whole life...  the guy who would patiently get me back to life and who would kill me afterwards. I was desiring you to get me back to life, for sure ; and maybe to kill me afterwards, who knows.

I saw you again, the day after the reception. It was the beginning of a beautiful and sad story. A story of lips and cream. A story of Circe and objet a.  A story of two lost children carrying their love and their lack.

You still are so much in my heart.
 
I can feel in peace with you, finally.

10 years to get in peace with you.

But I still can't throw anything away . And I don't feel able to open the secret drawer again.

vendredi 27 septembre 2013

Si loin, si proche

Chaque jour ou presque, je fais une visite chez Mouchette and co. En ce moment, je ressens de grandes émotions de lecture. Les surprises quasi-quotidiennes. Les textes qui viennent du fond des tripes - ou qui en donnent l'impression -, qui mettent face à ce qu'on voudrait ignorer, à des secrets, à des hontes, à ce qu'on a vécu ou désiré. Les morceaux d'enfance. Le style simple, direct, précis. Ca me remue. Je ressens de la joie.  Comme un enfant qui ouvre un paquet-cadeau. Puis, de la reconnaissance que ceci existe. Ces histoires, je peux m'y retrouver et m'y consoler. Je n'aurais jamais pensé que ça se rencontrait sur le web. J'en reste toute  émue, comme au début, quand je suis arrivée là par hasard, un jour de mélancolie. J'avais tapé une phrase sur Google : "Curedan me manque". Curedan est un garçon que j'ai connu et qui me manque toujours par moments, encore maintenant, c'est ma malédiction intime. Avec cette phrase de malédiction, Google donnait au moins 50 pages de résultats... j'ai commencé à explorer tout ça... suis tombée sur des tas de choses sans aucun intérêt... jusqu'à ce que j'arrive dans cet igloo gris et froid qui parlait de cinéma. Une cinémathèque avec à sa tête un projectionniste bizarre qui parlait des films mais pas seulement. Un vieux cow-boy qui racontait des histoires. Ce fut une bénédiction. J'ai pensé : ça aide à vivre.

En même temps je ne manifeste pas cette joie, je n'ose pas. Il ne faut pas. Le trip midinette qui s'extasie, ça l'irrite tellement,  M.Mouchette. Il fait la gueule, parfois, si je lui écris des choses gentilles. Question de pudeur. Et de finesse, de subtilité, d'humour quand chez moi tout est au premier degré, gros sabots comme disait mon prof de philo. Toujours à foncer tête baissée, à disséquer, à vouloir comprendre, à me donner une importance que je n'ai pas. M.Mouchette au contraire, le plus souvent, il rigole, il voulait juste s'amuser, fictionner tranquillement, pas devenir terrain scientifique pour universitaire. Il attend que je me lasse, pensé-je. La paix, enfin.

On ne se comprend pas toujours.  On se heurte. Je le crains. Autrefois, il m'avait envoyé bouler, assez violemment. Ca laisse des traces. Tout est marqué par cette genèse, même si au fil du temps on se connait mieux et qu'une petite engueulade virtuelle n'a jamais tué personne. Mais n'empêche, je garde un fonds de méfiance, je sais que je ne suis que tolérée sur cette île.  Qu'il peut publier en public des trucs privés, se foutre de ma gueule devant les foules silencieuses de son blog. Ou tout simplement m'ignorer. Il tient à garder ses distances. Je ne m'approche pas trop non plus. Peur qu'un souffle malheureux trouble le processus d'écriture, comme le battement d'aile du papillon. Car alors moi je serais triste de ne plus le lire. Il ne faut pas. Je me tais, tapie dans l'ombre.  Je m'écraserais, au besoin, comme souvent dans la vie.  Je regarde de loin. Parfois, de plus près, les photos. Cette semaine, j'ai cherché longtemps le livre caché dans le champ, sur mon écran. Mais le plus souvent, de loin.
Wenders

 

Si loin, si proche est le titre d'un film de Wenders.  Ange gardien de M.Mouchette, ça m'irait comme destin. Mais il va encore me dire qu'il n'a besoin de rien. Comme d'habitude. Donc je me tais.

jeudi 12 septembre 2013

Nouvelle formule

Elle à table
Un magazine de cuisine que je fréquente lance une nouvelle formule. Je suis toujours méfiante, face aux nouvelles formules, je n'aime pas qu'on bouscule mon environnement familier. Quand Le Monde a lancé la sienne, j'ai un peu grincé, c'est quoi cette multiplication de suppléments, Le Monde Magazine beurk. Il y a quelques années, j'avais au contraire écrit au service lecteurs pour me plaindre de la disparition d'un supplément qui me paraissait essentiel. Jamais contente, la lectrice.
Côté blogs, j'ai bien aimé la mutation de "A certain romance" en "Wasted hours", mais c'était plutôt la fondation d'autre chose qu'une nouvelle formule. Quand M.Mouchette s'y est mis, avec des caractères plus petits, des colonnes resserrées, des couleurs plus froides, j'ai beaucoup soupiré, au début, j'avais l'impression de me retrouver dans un igloo, à la limite de l'étouffement glacial. Qu'est-ce qu'ils ont tous, avec leurs nouvelles formules, je me demandais... je suis pas une aventurière, moi, préfère tellement le connu ; même une répétition de moche, de prévisible, plutôt que du neuf auquel j'ai du mal à m'habituer. Quel besoin d'une nouvelle formule, puisque l'ancienne me convenait ? Enfin, pas complètement, j'envisageais de me désabonner de Elle à table, mais pas à cause de la formule, à cause de l'inadéquation des recettes à mon style de vie : trop d'ingrédients précieux, de complexité, un certain agacement devant le thé matcha et les fèves tonka, je cherche du simple, tomates, pommes de terre, poisson blanc.
Mais là, surprise vraiment agréable, j'aime bien la nouvelle formule.  Le cahier de recettes à la fin est pratique, distinct maintenant des fiches cuisine qui proposent des recettes supplémentaires. Un effort a été fait sur la simplicité des plats, l'aération du texte, les photos sont toujours aussi belles. Ca m'a donné envie de faire le gratin de courgettes aux noisettes et à la menthe. J'ai foncé chez le maraîcher pour des courgettes bien fraîches, cueilli la menthe entre deux averses. Y'a plus qu'à.

jeudi 22 août 2013

Ireland

Le routard Irlande
Sentir l'excitation du voyage avant même le départ, quand le travail est bouclé, les valises prêtes, les guides dans le sac. Quand les paysages sont encore dans la tête et que rien, aucun détail pratique, n'a abîmé le rêve. Quand mon imagination me fait sentir l'air marin, le fish and chips, le vent et la pluie sur le visage, la tourbe et la gadoue aux pieds.

When I sing Star of the county down, Dirty old town or Whiskey in the Jar because it's all what I have in my head at the moment. Soon I'll have a beer in a pub, listening to the music I was singing earlier.

Can't wait to be in Ireland.

samedi 17 août 2013

La vérité sur l'affaire Harry Québert

La vérité sur l'affaire Harry Québert
Joël Dicker, l'auteur de La vérité sur l'affaire Harry Québert, est une sorte de fils naturel de John Irving et de Tonino Benacquista. Irving pour le récit des tribulations de l'écrivain en butte à la pression des éditeurs et la vie américaine. Benacquista pour le suspens et le polar, mais un Benacquista modéré, pas violent, comme dans Quelqu'un d'autre ou Saga plutôt que La maldonne des sleepings.

C'est une littérature nord-américaine fabriquée en Europe. Toutes les ficelles y sont : la cafet' du bled du New Hampshire (clin d'œil à Irving ?) où on te sert le café à volonté ; les révélations au fil du récit, le passé sulfureux de l'héroïne, fille de pasteur protestant, le mensonge ; les Chevrolet et les motos de police. Le déroulé des chapitres est plein de surprises et en même temps, on se doute souvent qu'une surprise va arriver (ne serait-ce que du fait du découpage en chapitres, un chapitre = une surprise ou à peu près). Parfois, je me sentais comme devant une série télévisée, très pro, bien huilée. Un plaisir prévisible et pas très exigeant, comme remettre ses veilles pantoufles un soir d'hiver glacé.

C'est une littérature nord-américaine écrite en français, c'est troublant. On a l'impression de lire la traduction d'un roman tel que par exemple la collection Point poche - ou dans un style plus recherché, Rivages Littérature étrangère - en propose à tour de bras depuis 30 ans.
Donc, des romanciers francophones sont capables d'imiter mes auteurs préférés des années 80, traduits... comme c'est bizarre. Une sorte de mondialisation différée dans le temps et réappropriée localement. Ca me fait me sentir décalée et vieille, surtout quand j'apprends que l'auteur de La vérité sur l'affaire Harry Québert a 27 ans. Rien d'étonnant, quelque part, c'était le temps nécessaire à Irving et Benacquista pour élever leur fils.

PS : j'allais publier ce billet quand j'ai lu un commentaire d'Arnaud Viviant ici. Sans connaître le roman de Philippe Roth dont il parle, La Tâche, je suis prête à souscrire à ses arguments. Peut-être donc  que Dicker n'est pas le fils naturel d'Irving et Benacquista, plutôt la pâle copie vulgarisée de Roth. C'est encore pire que ce que je croyais alors...

samedi 10 août 2013

Lire Lolita à Téhéran

Lire Lolita à Téhéran C'est un livre largement autobiographique et un peu austère d'Azar Nafisi. Le totalitarisme y est décrit comme une interdiction faite par l'Etat aux individus de  s'évader dans la fiction et à d'y puiser des forces de résistance. Le régime totalitaire produit sa propre fiction à laquelle tous sont sommés d'adhérer sans condition. Parallèlement et pour se protéger, il interdit l'accès à toute autre fiction et donc à toute liberté intérieure. C'est comme ça que lire de la littérature occidentale devient un acte subversif dans l'Iran des Mollahs.
 
Le livre n'est pas très bien écrit mais il me donne envie de lire Nakokov. L'auteure propose une relecture étonnante de Lolita : selon elle, Nabokov ne cherche pas à justifier ou approuver Humbert le pervers, ni plus généralement la pédophilie. Au contraire, Nabokov expose la construction par Humbert d'une fiction, d'une fausse histoire d'amour avec une gamine de 12 ans. Lolita résiste puis est contrainte de céder à Humbert. En inventant cette histoire d'amour, Humbert extrait Lolita de son histoire à elle, de sa fiction à elle, et la transforme en papillon épinglé, mort dans la nature morte et fausse d'Humbert plutôt que vivante et vraie dans sa vie à elle.  On serait donc face à ce qui peut s'entendre comme une sorte de métaphore du totalitarisme, Humbert figurant l'Etat, Lolita l'individu contraint de lui céder.

Cette lecture m'a paru très étrange, mais donné envie de lire Nabokov, sans doute encore davantage Invitation au supplice qui semble plus directement relié à l'oppression politique.
"Invitation au supplice est écrit du point de vue de la victime, de celui qui finit par comprendre l'absurde simulacre de ceux qui le persécutent et doit, s'il veut survivre, se retirer en lui-même.
Ceux d'entre nous qui ont vécu dans la république islamique d'Iran savent que la cruauté à laquelle nous étions soumis était à la fois tragique et absurde. Nous devions, pour continuer à vivre, tourner notre malheur en dérision. Nous devions aussi reconnaître d'instinct le pochlost* - et pas seulement chez les autres mais aussi en nous-mêmes. Voilà une des raisons pour lesquelles l'art et la littérature nous sont devenus si essentiels, non pas un luxe, mais une nécessité. Ce que Nabokov a su saisir de la vie dans une société totalitaire était sa texture même, cette solitude complète au sein d'un monde illusoire et rempli de fausses promesses où il vous devient impossible de faire la différence entre celui qui vous sauve et celui qui vous exécute."
Lire Lolita à Téhéran, Plon/10-18, p. 43-44.

* pochlost : lien entre la banalité et la brutalité ; recouvre selon Nakokov tout ce qui est faussement important, faussement beau, faussement intelligent, faussement attirant... dans la fiction du totalitarisme (ibid p. 42).

Je vois sur Wikipédia que ce livre a créé une polémique, que l'auteure a été accusée de néo-conservatisme et néo-colonialisme. Il est vrai que sa prose a des accents parfois condescendants avec la foule, le peuple (ignorant) qui a fait sa révolution et déposé les anciens dirigeants. Elle prône la résistance par la littérature occidentale, particulièrement anglo-saxonne, autant dire le grand Satan. En outre, elle a un côté professoral un peu pénible, son livre est comme une succession de fiches de cours (qui me rappellent quelqu'un). Accessoirement, elle ne se prive pas de rappeler ses études aux Etats-Unis ainsi que son appartenance à une famille persane illustre, qui s'est distinguée dans les arts et la politique pendant plusieurs siècles.

PS : dans un tout autre genre, Marjane Satrapi sait nous faire découvrir les travers de la révolution iranienne sans pédantisme et avec le sourire. Poulet aux prunes est celui que je préfère, mais ce sont les volumes de Persepolis surtout qui évoquent la révolution.

 

vendredi 2 août 2013

A moi seul bien des personnages

John Irving, A moi seul bien des personnagesLe titre est excellent, meilleur il me semble que l'original In One Person (traduction de Josée Kamoun et Olivier Grenot). Le livre l'est moins.
 
Quand j'ai lu Le monde selon Garp, à la fin des années 80, j'avais adoré la fantaisie d'Irving. Le monde selon Garp raconte l'histoire d'un type né de la volonté farouche d'une infirmière féministe et d'un soldat en état quasi-végétatif. Garp est élevé dans l'école où sa mère travaille. Il apprend la lutte, devient écrivain, fait un voyage initiatique à Vienne, épouse après moult péripéties celle qu'il aime, fonde  une famille. Une de ses amies est transsexuelle. Puis , il y a ce terrible accident (dont on ne peut s'empêcher de rigoler, rapport aux circonstances dans lesquelles il se déroule. Moment jouissif où le lecteur se sent au bord du rire tout en étant envahi d'effroi). La famille continue avec peine, mais les péripéties sont toujours racontées avec drôlerie et finesse. J'ai retrouvé le même plaisir souriant avec L'hôtel New Hampshire, Une prière pour Owen ou L'œuvre de Dieu, la part du diable.

Dans A moi seul bien des personnages, on se replonge dans cet univers. C'est le récit autobiographique d'un jeune homme élevé dans un pensionnat, qui découvre sa sexualité, voyage à Vienne, devient écrivain, rencontre comme il se doit des lutteurs sur son chemin. Mais pour une fois dans un roman d'Irving, le héros est bisexuel. Cela fait la trame de l'histoire, avec un message plein de bonnes intentions : acceptons les sexualités différentes, le transgenre (comme il le remarque lui-même, autrefois le transgenre n'existait pas ; on parlait de transsexualisme voire de travelot).

Le héros du roman s'accommode plutôt bien de son identité sexuelle ambigüe. Par une série de hasards et de coïncidences habilement emboîtés, il fait des rencontres qui lui révèlent son désir d'être écrivain en même temps que sa capacité à vivre et assumer sa sexualité. Du Irving, quoi. A certains passages, j'ai souri, par exemple quand Bill le héros parle avec tendresse de "l'amour des amis" avec son amie d'enfance, Elaine (il y a souvent une amie d'enfance, chez Irving...) :

"Elaine et moi allions tenter la vie commune, bien des années plus tard, après avoir tous deux essuyé assez de désillusions dans nos vies respectives. Ca ne marcherait pas - du moins pas très longtemps - mais nous étions trop bons amis pour ne pas essayer. Et puis nous étions assez grands, quand nous nous sommes embarqués dans cette aventure, pour savoir que les amis valent mieux que les amants - et surtout que l'amitié dure généralement plus longtemps que les amours.  (...).
- Ca veut dire quoi ? demandai-je à Elaine, allongé à côté d'elle dans notre appartement miteux de Post Street.
- Adagio signifie lentement, en douceur, me répondit-elle.
On n'aurait su mieux définir nos travaux d'approche érotiques. Parce que nous avions essayé de faire l'amour, aussi - expérience tout aussi infructueuse que celle de la vie commune - mais nous avions essayé. "Adagio" disions nous, avant l'amour, ou après, quand nous cherchions le sommeil. Le mot s'était installé : nous l'avons dit en quittant San Francisco, et nous l'écrivons encore aujourd'hui au bas des lettres ou des e-mails que nous échangeons. Tel est l'amour, pour nous - adagio -, lentement, en douceur. L'amour des amis, en somme." (p. 188-189).

Pourtant, le roman me semble sonner assez faux, comme si Irving restait prisonnier de ses bonnes intentions. Pouvait-on vraiment être bisexuel dans l'Amérique des années 60, dans le Vermont qui plus est, vivre dans une certaine joie, entouré d'un grand-père qui aimait s'habiller en femme, d'une cousine lesbienne et d'un beau-père très ouvert d'esprit ? Ca manque d'épaisseur, de souffrance, d'introspection. L'absence de crédibilité des histoires ne m'a jamais gênée chez Irving, mais là c'est un défaut de profondeur du (et même des) personnage(s), Bill surtout qui apparaît comme indifférent, uniquement préoccupé de lui-même. J'ai l'impression qu'Irving a également du mal à y croire, il se singe, nous refourgue ses procédés habituels de séjours viennois et de transsexuels faute de mieux. Ou bien c'est moi qui ai changé et qui suis devenue plus sombre, ou plus exigeante... 

jeudi 25 juillet 2013

Tartes maison

Tartes maison
C'est la saison des tartes maison. L'idéal pour les pique-niques, à côté des cakes et des cubes de melon. On s'asseoit dans l'herbe, on débouche le rosé. Je sors ma tarte : chèvre-tomates, courgettes-anchois, un plat d'été. J'ai passé l'après-midi dans la cuisine à pétrir et cuire mais je me la joue humble, c'est le bouquin surtout qui va bien, les recettes simples et familiales de Delphine de Montalier. Il y a des astuces pour réussir les tartes salées et sucrées, faire la pâte soi-même plutôt que l'acheter au supermarché, précuire pour éviter de détremper, poser sous la garniture un coulis qui donne de l'épaisseur. Un livre à recommander.
Dans ma tête, je pense que je possède aussi la recette de la meilleure tarte que j'ai jamais mangée. Pas dans un livre, non ; écrite à la va-comme-je-te-pousse de la main de ma grand-mère. Elle n'écrivait pas ses recettes puisqu'elle les avait dans la tête. Sa tarte, c'était fromage de la ferme, crème entière, œufs de ses poules, une pointe de sel. Cuite au four à bois. J'espérais toujours en avoir une deuxième fois mais ce n'était pas souvent possible, les enfants passaient après les adultes en ce temps là. Alors, je me souviens de la frustration en même temps que du goût. En ravoir, juste une petite part ; c'est un peu l'histoire de ma vie, aussi.
J'ai essayé de la refaire, cette tarte, mais je n'ai jamais pu reproduire le petit goût de brûlé du dessus mêlé au salé du fromage frais et à la pâte brisée maison en-dessous. Proust a sa madeleine, ben moi c'est ma tarte au fromage. De la recette, je ne peux plus rien faire, à part la regarder avec nostalgie, je ne vais quand même pas écrire un roman.

lundi 22 juillet 2013

Patchwork de livres pour les vacances


livreConseils d'amis :
 Paul Auster, Sunset Park
Joël Decker, La vérité sur l'affaire Harry Québert
Georges Hyvernaud, Le wagon à vaches
John Irving, A moi seul bien des personnages
Marin Ledun,  Les visages écrasés
Linda Lê, Personne (et autre romans)
Sandor Marai, Les braises
Azir Nafsi, Lire Lolita à Téhéran
Stephan Zweig, Trois poètes de leur vie


Et glanés à la radio :
Santiago H. Amigorena, La Première Défaite
Julia Deck, Viviane Elisabeth Fauville
Patrick Deville, Peste et choléra
Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome
Peter Heller, La Constellation du chien
Jean-Luc Montel, Motus et Melancolia (cf. rediffusion d'un documentaire radiophonique de 2001)
 

jeudi 11 juillet 2013

La femme qui valait trois milliards

L'homme qui valait trois milliards
Je lis de plus en plus sur écran, ordinateur ou téléphone. Je lis des mails, des tweets, des alertes Facebook, des fichiers attachés à des mails, des liens transmis sur Twitter ou Facebook, des sms, des numéros de téléphone ou des adresses, des blogs, etc.
A la longue, ça me déforme, physiquement (cérébralement aussi). Tout en moi se raidit. Je suis en train de devenir un montre. Déjà mon dos est une plaque métallique douloureuse. Mon cou est aussi rigide qu'un poteau électrique. Ma mâchoire ne se détend plus. Bientôt peut-être mes jambes s'endurciront et je me transformerai en femme qui valait trois milliards. Sauf que ça ne décuplera pas mes possibilités physiques, car je suis l'anti-Steve Austin. Non, ce sera un processus d'arthroïsation inéluctable. Peut-être, un jour, ne pourrais-je même plus taper sur le clavier tant mes mains et mes avant-bras pèseront des tonnes. Ni ouvrir les yeux pour lire, à force d'avoir les paupières lourdes. Je serai un monstre de métal immobile, incapable de bouger, incapable de vivre.
 
Aomamé fait de son mieux ainsi que les tasses de thé, mais ça ne suffit pas. J'ai peur de devenir un montre digital. Je le suis déjà.

mardi 2 juillet 2013

Maternité


Attendre bébé, René Frydman
Aujourd'hui, j'ai croisé la route d'un nouveau-né. Créature minuscule, vêtue de blanc, au prénom féminin poétique, qui dans son sommeil faisait le sourire de l'ange. Un instant paisible et doux.

Ca m'a rappelé une autre époque. Une époque où je croyais qu'être mère, ça s'apprenait dans les livres. Qu'il y avait des recettes. Que les bébés paisibles ont des mamans parfaites.
J'ai lu, alors, car dans la lecture je suis à mon affaire,  essayant de comprendre les recettes pour devenir une maman parfaite. Mon livre de chevet était Attendre bébé, de René Frydman et Christine Schilte. Je l'ai lu très attentivement.

Ca ne m'a pas empêchée de foirer l'accouchement, l'allaitement, les nuits, de hurler de rage et de fatigue. Il en a fallu, du temps, pour accepter de seulement faire de mon mieux, comme ma mère, la mère de ma mère, et sa mère avant elle. Ce n'est pas fini, mais j'en souris. Mes enfants aussi.

samedi 29 juin 2013

Relire

correspondance
Relire chaque mot jusqu'à plus soif
Jusqu'à plus lecture
Les yeux fatigués
S'ancrer dans l'écrit
Se l'avaler soigneusement mot après mot
Comme si la vie en dépendait
Une vie amusante, différente,
Se rendre compte
Qu'il y a un malentendu
Ce n'était important qu'ici, là-bas on ne sait pas
Illusion d'échange, des changes

mercredi 26 juin 2013

Maintenant ou jamais

Christophe Fauré, Maintenant ou jamais
Maintenant ou jamais. Comme quadra, je suis soi-disant concernée par le sujet, d'ailleurs mes copines s'inquiètent de cette fameuse transition du milieu de la vie, la ménopause à venir, le mec qui les quitterait pour une jeunesse, les gosses bientôt partis vers d'autres horizons, le boulot où il faut défendre sa place. Le blues des classes moyennes plongées dans le néo-libéralisme, quoi. Les bons côtés : salaires confortables, vacances à l'étranger et image de la famille Ricoré, elles les oublient, le temps de la conversation. Elles préfèrent se la jouer  questions existentielles. Moi aussi. On se fait un peu peur, toutes ensemble, comme des gamines dans la cour d'école, les meneuses, les suiveuses et les autres. Je souris gentiment. Me demande pourquoi c'est la psychologie qui a triomphé, plutôt que la sociologie ? Pierre Bourdieu, au secours. 

Mon compagnon rigole, il dit : ma chérie, c'est parce que tu es trop jeune pour la crise du milieu de vie...  C'est vrai, que je m'en fous complètement... Ca n'existe pas, chez moi, ou plutôt c'est permanent. Ma vie est un déséquilibre chronique, un torrent de doutes, un voyage dans l'inconnu où alternent les mauvais passages d'angoisse et de nostalgie, et les période de gaieté, de soleil, de chaleur. Ca a toujours été comme ça. Des sommets de maintenant et des chutes de jamais bien douloureuses. Besoin d'intensité. Bipolarité ? Je rêve sans arrêt, m'invente des projets, des jardins secrets. Je me casse la gueule dans le jamais et repars dans le maintenant, à tout instant. Une transition perpétuelle, à moi toute seule.

Que ferais-je dans le moule de la crise du milieu de la vie, il est bien trop petit.

jeudi 13 juin 2013

Aomamé


Aomamé 1Q84
J'ai rencontré Aomamé. J'étais dans 1Q84 et elle me pétrissait le corps. Les méridiens invisibles. Les muscles froissés. Elle a aussi démonté le squelette, fait craquer les vertèbres, torturé le bas-ventre. Appuyé sur les jambes pour débloquer le dos. A propos de mon plexus solaire, j'ai demandé : pourquoi j'ai comme un caillou, là ? Elle a dit : on ne se connaît pas assez pour que je vous réponde. De toute façon, vous n'êtes pas prête à entendre. Je n'ai pas insisté. Je lui ai demandé si elle avait déjà lu Murakami ? Elle a dit non, j'ai beaucoup de mal avec la littérature japonaise contemporaine. Je n'ai pas insisté non plus. Je sens que je l'agace avec mes questions. Elle m'agace également avec ses semi-réponses et le bruit dans le cabinet, radio, téléphone, sonnette de la porte d'entrée, conversations avec les autres patients, manque d'intimité. Pourtant, Aomamé, à mes yeux, c'est elle.
 
Quand je suis sortie de chez elle, je n'avais plus mal nulle part, je sentais l'énergie circuler et j'avais envie de danser et de fleurs pour la maison. Il faisait beau. Elle avait pris soin de mon corps. Un ami avec qui j'avais longuement parlé avait pris soin de mon âme. Minerva aussi, à sa manière, qui devine toujours mes démons. Je me suis sentie  légère, délestée de mes soucis. Plus tard, en écoutant de la musique, le plexus solaire s'est ouvert et l'émotion m'a envahie, la tristesse soudain muée en gratitude.

samedi 8 juin 2013

Mourir

Venus
Elle m'a dit qu'elle avait eu envie de mourir. Ca m'a serré le cœur. Elle est belle, intelligente, amoureuse, elle est la vie même. Elle sourit. Mais elle a eu envie de mourir, ça l'inquiète, elle n'avait jamais eu d'idées aussi noires avant.
On n'a pas parlé de livres, on a quitté nos habits de lectrices, pour une fois. On a parlé de craquer. D'être en deuil à n'en plus finir. De ne pas s'écraser pourtant, tenir bon, ne pas passer à côté de ce qui est encore. De la fragilité qui reste là, dans la maturité. Des fantasmes névrotiques qui reviennent même si on les avait bien éteints (c'est quoi l'amour, déjà ?). De retourner en analyse, à nos âges, non mais franchement, n'importe quoi, on les a bien assez disséquées, nos blessures.
On se souriait un peu tristement tout en faisant mine d'aller quand même, on sait se tenir, on est des quadras épanouies. On rigole. On est devenues fatalistes. Nos yeux pétillent encore, je me suis dit, c'est ce qui compte.

mardi 4 juin 2013

The ghost

The ghost is back. Each time I have a look at my page, he is there. As always with the ghost, I have to force myself not to give meaning to his presence. He is there because he wants to be there, or hasn't realized he was there. It has nothing to do with me.

It has nothing to do with me. The rest is only in my brain.

Marc Chagall, Au dessus de la villeWhen the ghost was alive, a long time ago, any little thing in my daily life would become a sign of his presence. Thinking of him when opening my eyes in the morning. Thinking of him when brushing my teeth. When listening to a song on the radio. When smoking or drinking some red wine. He was like a piece of my brain, like a continuous TV channel switched on, like a big cloud invading any small part of my sky. I was constantly reminded of him.

When he disappeared from my life, it was a long grieving process to get out from him. The most difficult thing to kill is your own thoughts, to switch off the channel. To see the toothbrush or the clouds, when there's nothing else to see. To remember constantly that the ghost has gone and has nothing to do with me now. It took me years.

I don't like to get to the same webspace or page as him, because it gets me back to the grieving process and to him, to some extent. I have to make efforts, I have to resist. Exhausting.

vendredi 31 mai 2013

Lire des copies



Je me souviens de mon professeur de philosophie au lycée qui disait détester corriger des copies. Il était très lent, rendait les corrections après plusieurs semaines, levait les yeux au ciel quand nous lui réclamions nos devoirs, l'air las. Le jour où il en avait fini avec son pensum, on le sentait détendu, délivré, c'est le moment qu'il choisissait pour glisser un clin d'oeil ou une blague quelconque. Je ne comprenais pas, quand moi je mettais tant de coeur à écrire de belles dissertations. J'étais jeune et bête, il faut dire.
 
Le temps a passé. Je suis moins jeune (moins bête ? moins bardée de certitudes plutôt) et maintenant, je comprends intimement cet ancien professeur de philosophie. Je ne l'ai jamais compris aussi intimement que depuis que chaque semestre, je dois me prêter à l'exercice de la correction de copies. 
correction de copieJe n'arrive pas à m'y mettre, repousse le moment, évite de regarder la pile sur mon bureau, m'invente mille activités urgentes, des problèmes à régler, des rendez-vous, des opérations essentielles, des conversations sans fin. Quand vraiment je n'ai plus le choix car la date-limite approche, que la pression monte, je m'y colle. C'est toujours à la dernière minute et je suis bien connue au secrétariat pour dépasser les délais, parce que non contente de commencer en retard, j'y passe beaucoup de temps. Trop. Une fois que je m'y suis mise, c'est plus fort que moi, la lectrice reprend le dessus. Elle s'acharne à disséquer, commenter, interroger l'argumentation ; comme si je recevais chacun des auteurs de ces copies en tête-à-tête. L'imagination travaille, autant que le stylo. Je me représente la personne qui a écrit la copie : la charmante jeune fille ou le caïd du fond de la classe ? Me demande si tel trait d'esprit était volontaire. Comment ça se fait que je n'ai pas entendu un tel lyrisme, ce semestre, à l'oral. 15 minutes, un devoir, 15 petites minutes pour juger de trois heures et même de trois mois de travail. Rarement plus, les heures s'enchaînent, il faut corriger, noter, valoriser, sanctionner. Les pauvres petits, je me dis parfois, qui suis-je pour les juger, c'est le hasard de la vie qui m'a placée là. Devant une copie blanche, je note "copie blanche : 0", ça me serre le coeur.

Quand j'en termine enfin avec mon pensum, fatiguée d'avoir lu des dizaines de versions du message initial, je me sens légère. C'est souvent le moment que je choisis pour glisser à ceux que je croise un clin d'oeil ou une blague quelconque. Ainsi va la vie, comme on disait au lycée... Je me souviens de mon professeur de philosophie, un esprit rebelle qui militait pour la suppression des notes et l'exigence d'une connaissance rigoureuse. Une autre époque.