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jeudi 8 avril 2021

La fin de la plainte, François Roustang

François Roustang, La fin de la plainte
Un ami m'a offert La fin de la plainte, de François Roustang. Je me suis demandée ce que cela signifiait, même et surtout quand l'ami s'est écrié que le titre ne m'était pas adressé, car je ne me plains pas (qu'il croit, ai-je pensé par devers moi).

J'ai mieux compris l'intention de l'ami et celle de l'auteur en lisant l'ouvrage. Il s'agit de se familiariser avec la pensée d'un psychanalyste échappé (défroqué ? C'est un ancien jésuite), qui emprunte des chemins de traverse. François Roustang cherche à  élaborer une approche thérapeutique qui conduise le patient malheureux à sortir de la plainte, au lieu de s'embourber dans sa peine. 

Pour Roustang, la plainte est un piège, surtout lorsqu'elle devient un mode d'existence, une identité à laquelle on se résume. La plainte, quand elle nous envahit, nous dévore et nous assèche.

"Si nous sommes malades ou malheureux, c'est que le sol de nos existences s'est appauvri, que, détournés des circonstances nouvelles qui s'imposent à nous, nous nous sommes laissés aller à la plainte, que notre nappe phréatique est au plus bas niveau, qu'il nous faut donc la reconstituer pour que puissent y pousser des arbres et des fleurs."

                            François Roustang, La fin de la plainte, Odile Jacob poches, p. 57 

Pour sortir de la plainte, François Roustang propose de se concentrer sur le corps, les sens et les sensations. Etre disponible au présent, se couler dans ce qui advient, s'ouvrir aux autres. C'est ce qu'enseignent bien des philosophies orientales, dont la philosophie chinoise, sur laquelle Roustang s'appuie en mobilisant la notion de Chi, l'énergie vitale.

D'abord, passer par une "cure de désintoxication narcissique", comme il qualifie l'hypnose (p. 175). Se débarrasser de la réflexion sur soi, de l'élaboration par le langage, de la psychanalyse, superflue et inefficace :

"Les psychanalystes savent bien que la prise de conscience n'a jamais guéri personne. Non seulement le souci de soi ou le regard tourné vers soi-même n'opère aucun changement, mais il peut avoir les conséquences les plus néfastes. On peut les répertorier cliniquement sous trois clefs : narcissisation, déréalisation, dépression. A force de se préoccuper de sa prétendue vie intérieure, de ses pensées, de ses fantasmes et de ses rêves, on se perd dans l'analyse de soi, on devient, comme Narcisse, amoureux de sa propre image et on lui substitue l'intérêt que devraient avoir les choses et les êtres de chair et de sang."

François Roustang, La fin de la plainte, Odile Jacob poches, p. 62-63 

"L'attention excessive portée à ses faits et gestes, l'analyse indéfinie de ses émotions petites et grandes, le besoin permanent d'être reconnu, la justification à ses propres yeux de ses dires et de ses actes, la plainte qui ne veut cesser, tout cet ensemble ouvre la voie au refus et au déni de la réalité.  Mais cela n'est qu'un début ; celui qui s'attarde à lui-même et ne se prête pas chaque jour au jeu des événements en vient à s'étioler et à s'anémier. Il a voulu se suffire et se clore, il ne dispose plus que de ses propres forces dont les réserves vont aller s'épuisant. Il voulait ignorer que, pour se fermer sur soi-même de façon durable et efficace, il fallait s'ouvrir au-dehors. Maintenant il n'en peut plus, il est déprimé et implore la délivrance de lui-même."

François Roustang, La fin de la plainte, Odile Jacob poches, p. 174

François Roustang souligne à juste titre la dimension culturelle de la plainte. Dire ses sentiments, exposer son intimité, concevoir un esprit séparé du corps sont des spécificités occidentales. Il signale aussi la dimension sociale et relationnelle de la plainte, l'imbrication de la psyché individuelle dans un collectif inter-générationnel bien plus grand que l'individu isolé.

 "Le malheur, la façon de souffrir, le mal-être révèlent toujours un système social et une insertion desquels le patient ou la patiente n'a pas la force de se détacher. Les limites du bonheur ont été tracées par l'entourage. Les franchir fait courir fait courir le risque du rejet dans des abîmes de solitude. Parler de conflits psychiques est une erreur, il n'y a de conflits que relationnels. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de souffrance ou de malheur personnels, cela signifie que la manière de souffrir et d'être malheureux est un produit de relations, pas seulement avec papa et maman, mais avec tout un milieu dans la suite des générations. Changer l'existence de quelqu'un, c'est sans doute à la fin changer sa vie intérieure, mais par le biais du changement de sa place relative."

François Roustang, La fin de la plainte, Odile Jacob poches, p. 79-80 

C'est pourquoi le transfert, au sens où on l'entend en psychanalyse, n'existe pas dans l'approche de Roustang. Il est remplacé par une relation sans cesse remaniée, changeante, où thérapeute et patient sont à égalité.

Ensuite, plutôt que par la pensée, imaginer une thérapie qui passe par le fait de renouer avec le corps, le corps du patient et le corps de l'Autre. Donner ainsi au terme "manipulation" une connotation unifiée, par opposition à celle qui sépare manipulation physique et manipulation psychique. Pour cela, François Roustang propose notamment de procéder par la visualisation, par l'attention aux mouvements, par la gestuelle. Créer une sorte de ballet, d'échange d'énergie entre le thérapeute et le patient. C'est ce qui, selon lui, est en jeu dans l'hypnose. 

Pour Roustang, l'hypnose est donc une rencontre des corps et des esprits, dans laquelle l'hypnotisé se soumet aux injonctions de l'hypnotiseur. Injonctions qui sont en fait une mise en acte du désir de l'hypnotisé, une façon de le remettre en mouvement. La sujétion et la soumission à l'apprentissage de l'hypnotiseur (hétéronomie) ouvrent à la liberté (autonomie) de l'hypnotisé.

"Nous venons demander à quelqu'un de nous apprendre ou de nous réapprendre à vivre, nous nous soumettons donc par avance aux apprentissages qu'il faudra bien nous enseigner. (...) Or ces apprentissages d'un ordre particulier, qui peuvent prendre mille diverses figures, n'ont pas une autre structure que ceux proposés par l'école, la famille ou la société. Ils ne se résument pas à une autre forme d'expression que celle de l'impératif: "faites le maintenant". Car, comme de tout le reste, on ne fait l'apprentissage de l'humanité que par la pratique.

En ce cas l'hypnose n'a rien d'original, si ce n'est qu'elle prend au sérieux cette structure et qu'elle ne craint pas de l'utiliser. (...) On voit donc comment fonctionne l'hétéronomie. Elle ne détruit pas l'autonomie, elle la convoque, la provoque et la suscite éventuellement. De même que dans l'apprentissage le maître ne peut pas faire à la place de l'élève ou de l'apprenti, mais que celui-ci doit trouver en lui les ressources suffisantes pour prendre l'acte à son propre compte, de même l'hypnotiseur peut bien suggérer avec tout son pouvoir ou tout le pouvoir qui lui est octroyé par l'hypnotisé, il ne peut pas décider pour lui. Le pas ou le saut décisif sont garants de l'initiative et de la liberté de l'hypnotisé."

François Roustang, La fin de la plainte, Odile Jacob poches, p. 166-168

Par cette rencontre qu'est l'hypnose, il s'opère une transformation. Pour se sentir mieux, il faut en effet tendre à devenir comme une "chose".  Un caillou tranquille, une calme rivière. Trouver sa place dans l'environnement, et l'environnement répondra (cela fait penser à la fameuse "loi de l'attraction", très en vogue dans les philosophies New-Age et autres recettes de développement personnel). Retrouver son corps, oublier les peurs et les angoisses, se détourner de son petit nombril pour être disponible au présent et à la relation.

"Guérir l'esprit, c'est entreprendre le réapprentissage du corps ou son apprentissage à l'égard du monde, qui commence par le retour à la chose."

François Roustang, La fin de la plainte, Odile Jacob poches, p. 182

Enfin, pour terminer ce livre qui brasse des tas d'idées et de références (avec même un "Petit guide du changement", à la fin), François Roustang insiste sur la notion de rite, présente dans l'hypnose comme dans d'autres thérapies. J'ai beaucoup aimé, cette partie sur le rite. Le rite est ce qui met en jeu le sacré, et avec lui le rapport à la mort. Il est ce qui nous enseigne que la vie nous a précédés, et continuera après nous. Il nous décentre. En même temps, il nous met en relation les uns avec les autres, nous fait sentir l'harmonie du groupe et au-delà, celle du monde.

"Accomplir le rite, c'est-à-dire marcher dans la Voie qui préexiste à l'existence humaine, n'a rien d'une soumission passive. Il s'agit non de se courber sous la menace d'un destin écrit pour toujours dans le ciel, mais de répondre à la manière dont les choses se passent, à la Voie que suivent les choses."

François Roustang, La fin de la plainte, Odile Jacob poches, p. 182

J'ai été néanmoins parfois désarçonnée par l'ouvrage de Roustang, particulièrement par l'insistance à se débarrasser de toute réflexion sur soi-même, et plus largement de toute théorie : la non-pensée, est-ce vraiment un horizon souhaitable ? Comment conjuguer le mouvement et l'action qui réalise l'intention, avec l'absence de désir et l'immobilité qui caractérisent le caillou ? Cela m'a fait penser à cette phrase de mon prof de philo, entendue autrefois : "Il n'y a que les imbéciles qui soient heureux". Par moments, j'avais l'impression que Roustang nous conseillait de devenir des imbéciles heureux (et bien sûr amoureux, comme dans la chanson de Ronan Luce, on espère). Roustang semble remplacer une illusion (celle de la connaissance par le langage et de la toute-puissance du désir, propres aux cultures occidentales) par une autre (celle d'une absence de désir et d'une harmonie facile avec le monde). 

En même temps, La fin de la plainte contient beaucoup de sagesse, pour les Occidentaux éternels insatisfaits que nous sommes, notamment par les ponts qui sont faits avec la pensée chinoise (cela m'a fait penser à l'essai Cinq concepts proposés à la psychanalyse, du sinologue François Jullien). En particulier, le rappel que la vie et le sacré ne font qu'un et nous dépassent, que la vie était là avant nous et sera là après nous. Qu'on vit plus heureux en se souvenant que le sacré peut s'inviter dans chacune de nos actions et de nos relations,  pour peu que l'on se rende disponible, attentif à l'invisible et à la beauté des choses. Que par moments, s'imaginer être une pierre ou une rivière, ou un chat ou un petit pont de bois, fait du bien. Et puis, je  suis comme le renard, j'aime les rites... 


jeudi 25 mars 2021

Bobin-Boubat, Donne-moi quelque chose qui ne meure pas

Ca a du bon de fréquenter les divans de psychanalystes. Pas seulement pour les divans, pas seulement pour les psychanalystes, également pour les salles d'attente. C'est donc dans une salle d'attente de psychanalyste que j'ai ouvert et très progressivement découvert l'album  Donne-moi quelque chose qui ne meure pas. Un album qui entrelace textes de Christian Bobin et photographies en noir et blanc d'Edouard Boubat. Un album bouleversant de simplicité et de tendresse, qui fait du bien dans une époque de cynisme et de désenchantement généralisés. A tel point que le lire quelques minutes à la volée ne m'a bientôt plus suffi. Je possède désormais cet objet, publié en 1996 et toujours de première fraîcheur.

Christian Bobin commente tranquillement la personne et l'oeuvre photographique d'Edouard Boubat, tout en livrant quelques anecdotes et autres réflexions sur la vie. J'aime bien l'entremêlement des textes avec les photos, non classées, ni chronologiquement, ni par aire culturelle. On passe de la Russie (comme ci-dessous) à Paris ou au Mexique, quand Boubat prend en photo des enfants. De la Bretagne au Brésil à l'Inde aux Pyrénées-Orientales quand il photographie des paysans, et ainsi de suite. 

Comme l'écrit Christian Bobin,

"Mexique, Portugal, France, Inde, Côte-d'Ivoire, Maroc, Chine, années cinquante, années soixante, années quatre-vingt, les vêtements, les objets et les rues changent, demeurent les rires, la peine et la douceur, le pain que l'on mange et les enfants que l'on berce, les mêmes atomes partout, les images captent ce qui passe, dans ce qui passe il y a ce qui ne passe pas, la vie élémentaire, résistante, une communauté de songe et de fatigue."

Christian Bobin, Edouard Boubat, Donne-moi quelque chose qui ne meure pas, Gallimard, 1996 (pages non numérotées)

Bobin ne se prive pas d'ajouter au sympathique désordre iconographique de Boubat quelques considérations décousues mais très sages. Il nous gratifie d'une anecdote toute mignonnette, une visite au magasin pour aller acheter des fromages, en fait un développement sur le regard de Boubat, sur les gens de peu, sur nous en fait. 

Et puis il produit ce paragraphe qui magnifie tout, l'enfance, la rencontre, l'amitié, l'amour : 

"La confiance est la matière première de celui qui regarde : c'est en elle que grandit la lumière. La confiance est la capacité enfantine d'aller vers ce que l'on ne connaît pas comme si on le reconnaissait. "Tu viens d'apparaître devant moi et je sais qu'aucun mal ne peut me venir de toi puisque je t'aime, et c'est comme si je t'aimais depuis toujours." La confiance est cette racine minuscule par laquelle le vivant entre en résonnance avec toute la vie - avec les autres hommes, les autres femmes, comme avec l'air qui baigne la terre ou le silence qui creuse un ciel. Sans confiance, plus de lien et plus de jour. Sans elle, rien." 

Christian Bobin, Edouard Boubat, Donne-moi quelque chose qui ne meure pas, Gallimard, 1996 (pages non numérotées)


C'est beau, c'est juste, c'est tellement chouette quand ça survient, la confiance... 



mardi 13 novembre 2012

Lectures sur le divan

divan
J'ai parfois parlé lecture à des psychanalystes. Une fois, j'ai emprunté un livre repéré dans la bibliothèque de mon analyste : Une saison chez Lacan, de Pierre Rey. Je ne me souviens guère du contenu, si ce n'est que l'auteur semblait garder de son passage sur le divan un souvenir très positif, ainsi qu'une admiration sans borne pour Lacan... tout en ne racontant pratiquement rien de la traversée analytique. Dans le genre récit de cure, Les mots pour le dire, de Marie Cardinal, est bien plus beau et expressif.
Ce dont je me souviens en revanche, c'est d'avoir réfléchi à ce que pouvait signifier l'emprunt d'un livre à son analyste. C'est une transgression. Avoir entre ses mains, chez soi, un objet lui appartenant, crée une intimité soudaine. On sort du cadre, ça brûle (j'avais d'ailleurs pris grand soin du livre et l'avais rendu peu de temps après). En même temps, il y a le désir de lire. Et sûrement aussi celui de poser la question : "pourrais-je vous l'emprunter ?". Car cela casse l'asymétrie entre l'analyste, sujet supposé savoir, et l'analysant plus ou moins à sa merci. J'étais donc très satisfaite de montrer que moi aussi je m'intéressais à la psychanalyse et que je savais lire, de me placer en somme (presque) à égalité avec les spécialistes.
Par la suite, je me suis rendue compte que cette tentative infantile signait l'existence même de l'asymétrie : toute lectrice que j'étais, je restais sur le divan l'enfant terrifiée qui m'avait emmenée là-bas. Un peu plus adulte, je n'aurais pas eu à prouver que j'étais une lectrice ; la question de la démonstration ne se pose plus quand on sait qui on est.
Depuis, dans le quotidien, je perçois mieux que les grands démonstrateurs, ceux qui veulent à tout prix vous montrer qu'ils sont ceci ou cela, sont surtout des petits enfants terrifiés... et énervants...