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jeudi 6 février 2014

Lire ma soeur

Martine a empaillé sa soeurQuand ma sœur m'écrit, c'est comme si je lisais une version déformée de moi-même. Une version moins sérieuse, plus pétillante et plus plaintive. Une version non expurgée, tous affects et séduction dehors. Une version à qui il manquerait quelques années de psychanalyse ? Une version avec l'aplomb et l'amour en plus ? Une version Champagne, tandis que moi c'est plutôt cidre.



Ma sœur m'écrit parce que ça ne va pas (quand elle va bien, c'est-à-dire la plupart du temps, elle n'écrit pas). Ca commence par les sms, ensuite on passe aux mails, souvent après encore le téléphone. Plaintes. Ras-le-bol, tu comprends, hein ? Mais oui, bien sûr, ma sœur, je comprends, je suis pareille, un peu plus dans la pénombre, c'est tout.

Ma petite sœur est pleine d'énergie et de joie de vivre. Charmante. Souriante. Rayonnante. Depuis toute petite, c'est une princesse. C'est elle qui obtenait les jouets qu'elle voulait quand elle voulait. Plus tard, qui passait des heures dans la salle de bain. Qui allait au café avec sa bande. Qui avait à ses pieds les mecs du lycée. Comme je le dis à mes enfants qui en rigolent de toutes leurs dents, tout le monde la connaissait et c'est à moi qu'on demandait qui j'étais, un comble pour une aînée. Parfois, maintenant que nous sommes quadras, je lui trouve des airs de poupée Barbie mal vieillie, comme défraîchie. Ca doit être la jalousie, je me dis. La jalousie d'être la moins jolie. Elle, elle n'est jamais prise en défaut sur les photos : toujours souriante, toujours l'air cool, les yeux bleus grands ouverts sur le monde, la blondeur tellement convaincante.

Ma petite sœur a un talent particulier : celui de s'entourer de dépressifs.  Parce que son but ultime, c'est d'être une reine, mais une reine spéciale, la reine des désespérés qu'elle s'emploie à rassembler et consoler. Elle porte consciencieusement ses fardeaux quotidiens : la directrice en burn out perpétuel qui s'épanche sur elle, les collègues qui ne font pas le boulot, le mari qui ne se plaît jamais où il est, la vieille amie devenue obèse qui lui fait pitié. Elle entre là-dedans comme d'autres à la piscine ou au cinéma. Explique à ces malheureux ce qu'il conviendrait de faire pour aller mieux.  Elle fait le clown pour les distraire, comme autrefois petite, elle faisait le clown et restait ainsi la petite préférée, la charmante, la souriante, la reine. Celle qui peut-être arracherait un sourire au père.

Dans le monde de ma sœur, les dépressifs un temps vont mieux, ils sont réchauffés par son soleil, espèrent guérir, que son sourire et son énergie fassent contagion. Ainsi elle existe. La vie coule, la vie cool.

Et puis un jour, la reine en a marre parce que les dépressifs malgré tous ses efforts ne guérissent pas. Elle ne leur arrache plus de sourire, doute de ses pouvoirs. Et si elle n'était pas la magicienne qu'elle croyait ? Elle se sent à son tour un peu déprimée. Alors, elle m'écrit. Je la lis attentivement. Je réponds des choses rassurantes, un peu toujours les mêmes, c'est un passage, ça va aller., tout s'arrangera. Un rien suffit à la faire redevenir locomotive, un brin de mer ou de soleil et ça repart, je la connais, ma sœur.

A la fin elle dit ou elle écrit : et toi, ça va ? Je réponds alors, en détails, mes amis mes amours mes emmerdes. Sérieusement, minutieusement, comme toujours. Inutile, elle n'écrit plus, préfère nous coller en photo sur Facebook. Plus le temps pour un e-mail. Jusqu'à la prochaine fois.