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vendredi 31 décembre 2021

L'histoire de l'amour

 Quel magnifique roman que L'histoire de l'amour, de Nicole Krauss. C'est plein d'humanité et de surprises et même si ça se terminé par une mort (spoiler), cette histoire d'amour ne finit pas mal, en général.

C'est un entrelacement d'histoires, à travers le temps et l'espace. Celle de Léo, immigré juif polonais à New York, qui dans son enfance et son adolescence, juste avant la deuxième guerre mondiale, a aimé une fille prénommée Alma. 

Celle de Zvi, un ami perdu de vue de Léo, grâce et à cause de qui sera publiée l'histoire de Léo. 

Celle d'une jeune Alma américaine, prénommée ainsi d'après la première Alma (sans le savoir) , qui renouera les fils des histoires précédentes avec l'aide de son frère, Bird, qui est persuadé d'être le Messie.

Tous les personnages sont attachants, y compris le père décédé d'Alma et Bird, David, un survivaliste avant l'heure ; leur mère, une intello évaporée ; leur oncle Julian, un type un peu paumé ; Misha l'ami russe d'Alma. La femme de Zvi, Rosa, qui sait si bien garder les secrets.  Issac Moritz, l'écrivain qui est en fait le véritable héros de l'histoire. Et même Dieu. 

De multiples détails rendent ces figures présentes, vivantes. Les réflexions sur la vie que sème Nicole Krauss sont très justes, finement observées. Elle sait le rapport au passé, aux souvenirs, à la transmission, ne se prive pas de le labourer en tous sens.

La construction du roman est habile, mais le style patchwork est encore meilleur : ça tient à la fois du récit, du journal intime, de la correspondance, de la prise de notes et du manuscrit en train de se faire, du rêve et de la réalité.

Bref, j'ai adoré.

Quelques extraits, pour me souvenir :

 "Le moment était passé, la porte entre les vies que nous aurions pu avoir et les vies que nous avons eues s'était refermée à notre nez. Il vaudrait mieux dire, à mon nez. La grammaire de ma vie : empiriquement, à chaque fois qu'apparaît un pluriel, mettre un singulier."

Nicole Krauss, L'histoire de l'amour, Gallimard/Folio, 2006, p. 168

"Autrefois, il n'était pas du tout inhabituel d'utiliser un morceau de ficelle afin de guider des mots qui sinon auraient pu vaciller avant d'atteindre leur destination. Les gens timides avaient une petite pelote de ficelle dans leur poche, mais les personnes que l'on considérait comme des grandes gueules en avaient elles aussi besoin, puisque ceux qui ont l'habitude d'être écoutés par tout le monde sont souvent perdus quand il s'agit d'être écouté par une seule personne. La distance physique entre deux personnes utilisant une ficelle était souvent petite ; parfois, plus la ficelle était petite, plus le besoin de ficelle était grand.

La pratique d'attacher des gobelets à l'extrémité de la ficelle est venue bien plus tard. D'aucuns disent que cela vient du désir irrépressible de presser un coquillage contre une oreille afin d'entendre l'écho toujours vivant de la première expression du monde. D'autres disent que l'on doit cette pratique à l'homme tenant l'extrémité d'une ficelle qu'une jeune fille partie en Amérique avait déroulée d'une rive à l'autre de l'océan.

Quand le monde est devenu plus vaste et qu'il n'y eut plus assez de ficelle pour empêcher que ce que les gens voulaient dire ne disparaisse dans cette immensité, le téléphone a été inventé.

Parfois, il n'y a pas de longueur de ficelle suffisante pour dire les choses qui ont besoin d'être dites. Dans ces cas-là, tout ce que peut faire la ficelle, quelle que soit sa forme, c'est guider le silence de quelqu'un."

Nicole Krauss, L'histoire de l'amour, Gallimard/Folio, 2006, p. 214

"Lorsque nous allions nous baigner dans l'océan, j'observais son corps quand il plongeait dans les vagues et je ressentais à l'estomac quelque chose qui n'était pas une douleur mais autre chose."

Nicole Krauss, L'histoire de l'amour, Gallimard/Folio, 2006, p. 263

 "Il apprit à vivre avec la vérité. Pas à l'accepter, mais à vivre en sa compagnie. C'était comme s'il vivait avec un éléphant. Sa chambre était minuscule et, chaque matin, il devait se glisser le long de la vérité simplement pour se rendre à la salle de bains. Pour atteindre l'armoire et sortir des sous-vêtements, il lui fallait passer à quatre pattes sous la vérité, en priant pour qu'elle ne choisisse pas ce moment précis pour s'asseoir sur son visage. La nuit, quand il fermait les yeux, il la sentait planer au-dessus de lui."

Nicole Krauss, L'histoire de l'amour, Gallimard/Folio, 2006, p. 297