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mercredi 21 janvier 2015

Le problème Spinoza

Problème SpinozaJ'aime bien les livres d'Irvin Yalom. Mon préféré reste Mensonges sur le divan, une réflexion touchante et drôle sur  la dissimulation de soi dans ce qui devrait être l'espace de la mise à nu et de l'authenticité, la thérapie analytique.
Désormais, Yalom est passé à des livres qui s'appuient sur l'œuvre d'auteurs classiques. Il mêle pop pyschology et pop philosophy dans un mélange que je trouve plaisant, nourrissant et en même temps facile à digérer... Ici, il s'agit d'évoquer Spinoza. Baruch dit Bento Spinoza, 1632-1677.

Bento Spinoza est un problème. En quoi, pourquoi ? Spinoza est un problème parce qu'il est juif. Et oui, être juif, qu'il y ait des juifs, ca pose problème à certains (pas à moi #jesuisjuive #jesuismusulmane #jesuiscatholique  #jesuischarlie etc.).  Spinoza, juif apostat, est chassé de sa communauté au XVIIème siècle parce qu'il exerce sa raison critique à l'égard des textes sacrés et met en doute leur nature divine. Spinoza est ensuite admiré des plus grands poètes et philosophes allemands, ceux là même qui, pour les nazis, marqueront la supériorité de leur civilisation sur les autres. Il est admiré pour avoir affirmé que la raison doit l'emporter sur la passion, et que la religion (institutionnalisée et ritualisée), comme la passion, obstrue la clarté du jugement.

"C'est pourquoi dans la vie, il est avant tout utile de parfaire l'entendement, autrement dit la Raison [...] en cela seul consiste la souveraine félicité ou béatitude de l'homme. Car la béatitude n'est rien d'autre que la satisfaction même de l'âme, qui naît de la connaissance intuitive de Dieu."
(extrait de L'Ethique, cité dans Le problème Spinoza, p. 443)
Que Goethe ou Nietsche révèrent Spinoza pose problème à un futur nazi nommé Alfred Rosenberg, né dans l'Estonie de la première guerre mondiale. Et c'est tout l'intérêt du livre de Yalom de rapprocher les deux époques, celle de Spinoza et celle de la montée du nazisme, pour montrer la difficulté à faire entendre raison  quand les passions se déchaînent. Alfred Rosenberg est très jeune fasciné par les théories raciales de Chamberlain et Gobineau. Ses maîtres, érudits et sages, le contraignent à recopier Goethe évoquant son admiration pour Spinoza, puis à lire Spinoza lui-même. Ils espèrent que la voie de la connaissance et du savoir le détournera de l'inanité des théories raciales. Ils espèrent également que, constatant la qualité de la pensée se Spinoza, Rosenberg renoncera à penser que les juifs sont faibles et dégénérés (comme moi, j'espère toujours que mes étudiants, formés aux sciences sociales par mes soins, n'adhéreront pas aux théories du complot). Cela ne se produit pas, évidemment.

Alfred Rosenberg fera une brillante carrière, comme directeur de la propagande hitlérienne, puis comme ministre du Reich, avant d'être condamné à mort à Nuremberg. Habilement, Yalom  restitue sans l'excuser ce qu'il conçoit de la psychologie de Rosenberg : le décès de la mère, la froideur du père, l'absence de relation avec le frère, la recherche de boucs-émissaires à son malaise et la fascination pour Hitler, sorte de père de substitution. Ce portrait psychologique est rapproché du problème que représente pour Rosenberg l'exigence de Spinoza, la liberté de Spinoza, la judéité de Spinoza, qui personnifie le combat contre la passion aveugle, contre les explications simples, contre la bêtise. C'est comme une question existentielle qui revient dans la vie de Rosenberg et ne le quittera pas, participera même de sa folie.

Rosenberg ne comprendra jamais Spinoza. Il ne comprendra jamais que Spinoza a accepté de payer le prix de la  vérité et de la Raison, le prix de la liberté : être seul, écarté de la communauté, y compris par ceux qui lui sont le plus chers, sa sœur chérie et son frère. Qu'il a renoncé à l'amour qui l'effrayait (c'est le seul moment où peut-être, la passion s'exprime, quand il renonce à l'amour, pensant ne pas en être capable, et préfère son travail qu'il nommera la passion de la Raison). Un prix que Rosenberg lui, ne peut concevoir ni supporter, car la passion qui l'aveugle et le fait vivre, c'est d'aimer et d'être aimé d'Hitler.

Comme souvent dans les livres de Yalom, il y a un passeur, un personnage qui essaie de faire entendre la raison dans la folie, un psy intelligent et doux, Friedrich.

Il nous faudrait davantage de Friedrich, ces temps-ci, me dis-je en écoutant les vociférations à la radio.