mardi 13 novembre 2012

Lectures sur le divan

divan
J'ai parfois parlé lecture à des psychanalystes. Une fois, j'ai emprunté un livre repéré dans la bibliothèque de mon analyste : Une saison chez Lacan, de Pierre Rey. Je ne me souviens guère du contenu, si ce n'est que l'auteur semblait garder de son passage sur le divan un souvenir très positif, ainsi qu'une admiration sans borne pour Lacan... tout en ne racontant pratiquement rien de la traversée analytique. Dans le genre récit de cure, Les mots pour le dire, de Marie Cardinal, est bien plus beau et expressif.
Ce dont je me souviens en revanche, c'est d'avoir réfléchi à ce que pouvait signifier l'emprunt d'un livre à son analyste. C'est une transgression. Avoir entre ses mains, chez soi, un objet lui appartenant, crée une intimité soudaine. On sort du cadre, ça brûle (j'avais d'ailleurs pris grand soin du livre et l'avais rendu peu de temps après). En même temps, il y a le désir de lire. Et sûrement aussi celui de poser la question : "pourrais-je vous l'emprunter ?". Car cela casse l'asymétrie entre l'analyste, sujet supposé savoir, et l'analysant plus ou moins à sa merci. J'étais donc très satisfaite de montrer que moi aussi je m'intéressais à la psychanalyse et que je savais lire, de me placer en somme (presque) à égalité avec les spécialistes.
Par la suite, je me suis rendue compte que cette tentative infantile signait l'existence même de l'asymétrie : toute lectrice que j'étais, je restais sur le divan l'enfant terrifiée qui m'avait emmenée là-bas. Un peu plus adulte, je n'aurais pas eu à prouver que j'étais une lectrice ; la question de la démonstration ne se pose plus quand on sait qui on est.
Depuis, dans le quotidien, je perçois mieux que les grands démonstrateurs, ceux qui veulent à tout prix vous montrer qu'ils sont ceci ou cela, sont surtout des petits enfants terrifiés... et énervants... 



dimanche 11 novembre 2012

Why do women write more letters than they post ?

Darian LeaderWhy do women write more letters than they post? est le titre d'un ouvrage de vulgarisation psychanalytique de Darian Leader, qui présente avec humour (anglo-saxon)  les principales thèses freudo-lacaniennes sur les différences de structuration du désir masculin et féminin (il a été affreusement et beaucoup trop sérieusement traduit en français par A quoi penses-tu ? Les incertitudes de l'amour, chez Odile Jacob). Pour revenir à la version originale, et la résumer - ce qui va induire quelques caricatures genrées -, l'auteur réalise "a sort of collage of observations and explanations about the sexuality of men and women".

Côté masculin,  et en simplifiant, il importerait surtout au garçon de posséder l'objet de son désir. C'est pourquoi il n'hésitera pas à éliminer des rivaux éventuels -  c'est même l'existence de tels rivaux qui peut-être stimulera le désir. Une fois possédé, l'objet du désir sera considéré comme acquis. Mais posséder cet objet n'est pas sans risque, entre autres parce qu'il s'agit alors de prendre la place du père et de s'exposer au risque de castration par la mère. D'où le recours à des stratégies de contournement, tels que le rituel (pour désamorcer l'angoisse liée au risque) ou le désir détourné vers un autre objet que l'objet de désir véritable (d'où la célèbre dichotomie entre la maman et la putain). 

Côté féminin, la question principale serait plutôt de savoir comment on devient l'objet de désir - ou comment on le reste. La femme est donc attentive au désir de l'autre, elle en fait un motif perpétuel d'interrogations. Par exemple, elle réitérera à l'infini des demandes de preuves d'amour car ainsi elle s'assure de faire partie de l'autre en incarnant son désir. De la même façon, il lui importera davantage de soutenir le désir de l'objet que de le posséder, car ce qu'elle désire vraiment est au-delà de l'objet lui-même, puisque son manque ne peut jamais être comblé (elle en est plus ou moins consciente). Elle préfèrera donc parfois maintenir un certain degré de frustration, résister au désir, que de le réaliser.



Pourquoi les femmes écrivent-elles donc davantage de lettres qu'elles n'en n'envoient ? Pour Leader, la différence de structuration du désir chez l'homme et la femme fera que l'homme s'emploiera à dissimuler ses faiblesses (particulièrement aux yeux de ses rivaux) et donc aussi la différence qui existe entre le réel et le langage. Il enfermera dans le langage son récit,
s'attachera à nommer ce qui lui arrive de façon définitive, comme si  le langage rendait compte
du réel.
 
Tandis que la femme, au contraire, s'emploiera à exposer l'écart entre réel et langage, car cet écart symbolise ce qui rend nécessaire qu'elle soit objet de désir : l'existence chez elle comme dans le langage du manque, de l'incomplétude. La lettre non envoyée, c'est l'incomplétude par excellence : à chaque instant, le message doit faire l'objet de corrections, de remaniements, exprimant continuement l'impossibilité de rendre compte du réel qui échappe. L'absence de réponse - puisque la lettre n'est pas envoyée - est également une façon de maintenir le désir, en ne recevant rien en retour donc en ne possédant pas l'objet de désir.

Le blog, c'est un peu pareil : toujours incomplet. Et l'absence de réponses - ici, de commentaires - est peut- être le moyen inconscient de soutenir le désir (il y a davantage de femmes qui bloguent que d'hommes, il me semble...).

mercredi 7 novembre 2012

Soumission à l'autorité



Soumission à l'autoritéStanley Milgram a montré, dans un ouvrage fameux paru en français en 1974, Soumission à l'autorité, ouvrage qui serait inimaginable aujourd'hui tant il paraît cruel à l'égard des participants soumis à l'expérience, que l'obéissance est constitutive de l'être humain et de la vie en société. Par un ensemble de mécanismes et d'institutions, l'organisation familiale, le cadre scolaire, l'armée, la vie quotidienne, nous intériorisons progressivement l'ordre social, où l'obéissance est récompensée. A tel point que, placés dans une situation où nous acceptons de nous soumettre à une autorité (librement, il est très important qu'il s'agisse d'un choix libre), nous pouvons être amenés à avoir des comportements contraires à nos valeurs morales. C'est ce qui se produisait pour la plupart des participants à l'expérience de Milgram, qui acceptaient d'infliger des décharges électriques - parfois mortelles - à des êtres humains innocents, sous prétexte qu'ils obéissaient à un expérimentateur et s'incrivaient dans un projet scientifique. Comme le montre Milgram, il nous est relativement facile de nous concentrer sur la tâche technique que nous exécutons, et de ne pas envisager les conséquences plus lointaines de nos actes, surtout si nous avons la certitude que celles-ci seront assumées par un autre que nous. Et cela, quel que soit notre statut social, notre âge ou nos opinions politiques.
L'actualité de cette expérience m'apparaît à chaque fois que j'observe avec quelle facilité nous obéissons aux injonctions, qu'il s'agisse d'ordres d'un supérieur hiérarchique, de normes socio-culturelles ou biopolitiques dominantes ou simplement de la satisfaction de bien faire la tâche qui nous incombe (même s'il faut distinguer, indique Milgram, entre conformisme : comportement semblable à celui de pairs n'ayant aucunement le droit de nous dicter notre conduite ; et obéissance : soumission à une autorité supérieure).
Il y a peu, j'ai remarqué qu'un de mes collègues récemment arrivé n'hésite pas à résister aux injonctions qu'il estime injustifiées ou stupides. Assez souvent, il est suivi par d'autres. Je me souviens alors de l'expérience de Milgram, et des effets de groupe qui peuvent s'observer quand un des participants commence à résister à l'expérience. D'autres suivent et réfléchissent à deux fois avant de se soumettre à leur tour à l'autorité.

lundi 5 novembre 2012

Bagatelle


Lingerie
Esméralda est la seule personne de ma famille qui m'ait jamais livré des secrets de séduction. Quand j'étais ado, elle m'offrait de la lingerie fine, elle disait : c'est de ton âge !, et ma mère même si elle n'était pas d'accord et trouvait que ce n'était pas du tout de mon âge, n'osait pas contrarier sa soeur.
Un peu plus tard, elle m'a dit : tu sais qu'il y n'a que deux choses pour retenir un homme, la cuisine et la bagatelle. S'il va voir ailleurs, tu pourras toujours faire la cuisine... On riait, quand elle disait ce genre de chose. Encore maintenant.
La lingerie a une histoire. Elle a connu une mutation fabuleuse au début du XXème siècle, quand les femmes ont abandonné le corset pour des dessous plus légers, qui se sont généralisés. Cependant, le soutien-gorge fait plus de mal que de bien, paraît-il, surtout dans les pays d'Europe du Sud où il est porté très précocément. En quelques années, les muscles qui soutiennent les seins s'atrophient, la poitrine tombe, rendant ainsi plus nécessaire le soutien-gorge. Si on ne portait jamais de soutien-gorge, les seins ne tomberaient pas (ou beaucoup plus tardivement). Le soutien-gorge est donc une invention géniale de l'industrie pour nous faire croire qu'elle règle, de façon élégante et sexy, un problème qu'elle a elle-même créé. C'est en tout cas ce qu'affirme un médecin du sport de Bensançon, qui a mené des expériences "seins libres" et effectué des mesures précises du redressement des seins ayant renonçé au soutien-gorge.
Pas si facile pourtant d'enterrer les bustiers et la dentelle... Que deviendrons-nous sans eux, et sans la bagatelle ? Ne serait-ce que dans nos pauvres fantasmes contraints par l'industrie textile.
Récemment, j'ai appris que la bagatelle est... une recette de cuisine, du Québec, un genre de trifle, doux et réconfortant, comme Esméralda. Quand nous serons bien vieilles, le soir, à la chandelle, il restera toujours la bagatelle culinaire...