dimanche 15 décembre 2013

Une année sans Michka

Michka
Cette fois, c'est foutu. L'enfance est finie. L'enfance de mes enfants. "On n'a plus 5 ans, maman", voilà ce que j'ai entendu en déballant les décorations de Noël et en retrouvant l'album du Père Castor au fond du carton. L'album tout vieux, avec mon nom écrit à l'encre bleue à l'intérieur, NOM en majuscules, Prénom en minuscules, une écriture appliquée qui devait être la mienne en ce temps-là.

L'an dernier, j'avais convaincu la plus jeune de lire une ultime fois cet album tout vieux avec moi.  Mais cette fois, c'est fini, Michka est dépassé. Bien sûr que c'était surtout par mimétisme que mes enfants étaient venus à la lecture de Michka. Après, le choix est devenu plus varié, des mangas aux DVD, Michka ne pouvait pas lutter.

Ca représente pourtant comme une tranche de vie qui s'efface. Adieu, petit Michka, adieu les récits allongés sur le canapé avec les petits pieds au chaud sur mon ventre ou les petites têtes au creux de mon épaule. Adieu les questions : mais pourquoi il part de sa maison, Michka ? C'est qui le renne de Noël, pourquoi c'est pas le Père Noël, qu'il rencontre ? Dis maman, tu pleures ? (mais non ma cocotte, j'ai les yeux un peu humides, c'est tout, c'est parce que j'ai baillé...). Noël continue, Apple est le nouvel ami qui remplace Michka. Nous cherchons chez lui des trêves dans le dur combat ; exigences scolaires, conflits sans fin pour les sorties, téléphones portables en non stop. Je déteste l'adolescence, j'ai détesté la mienne, je déteste celle de mes enfants qui n'en sont plus.

Pour la première fois depuis 15 ans je n'ai sorti Michka de sa boîte que pour moi, la maman, la lectrice, la petite fille d'autrefois. Ca m'a serré le cœur, un instant, un grand soupir s'est échappé de ma poitrine. Mais quand Michka s'est élancé dans la neige, levant haut les pattes, enfin libéré de la maison d'Elisabeth, j'ai senti le souffle de la liberté me reprendre. L'envie d'aller voir ailleurs. Comme quand j'avais 5 ans et qu'on me lisait cette histoire. Comme quand je voyage, parfois, tout là-haut dans les pays du Nord et que le vent frais de la Baltique me fouette les joues. Comme à chaque fois, quand je pense : vas-y, Michka. C'est tellement bon de manger du miel dans les bois. De faire la sieste sur un arbre. De rencontrer le renne.

Michka et moi, on va patienter un moment. Attendre la génération suivante pour peut-être entendre à nouveau les petits souffles attentifs et les rires. On s'en fiche, du temps qui passe, on a toute la vie devant nous. Bientôt 40 ans qu'on se fréquente à chaque Noël, pourquoi ça s'arrêterait.

jeudi 5 décembre 2013

Petit éloge de la vie de tous les jours

Franz Bartelt
Dans la série j'essaie de me réconcilier avec la vie, j'avais été attirée par le titre et le prix d'un court recueil de Franz Bartelt, Petit éloge de la vie de tous les jours. 2 euros. Venus m'ayant parlé de cet auteur, j'étais curieuse.
Deux euros, donc. Ca ne vaut pas plus. C'est un recueil de nouvelles sur la vie quotidienne dans les Ardennes, françaises et belges, où, comme le dit l'auteur, il ne se passe jamais rien. C'est supposé être drôle, ironique, auto-dérisionnel (j'invente le mot tellement il se force à être dans l'auto-dérision, l'auteur). Un exemple:

"Là, je viens de passer trois minutes avant de trouver la suite de ce que je disais. Cette suite, c'est ce que je viens d'écrire. Et la suite de cette suite, c'est ce que je viens d'écrire, la suite de la suite de la suite étant ce que j'écris maintenant, en attendant la suite, qui ne saurait tarder car en écrivant "qui ne saurait tarder" j'amorce une suite de la suite qui fait suite à toutes les suites précédemment mises bout à bout pour me conduire jusqu'ici où, de nouveau, se pose le problème sans début ni fin de la suite". p. 55-56
 
Aucun intérêt. Quand l'auteur parle de lui-même il est lourd, et quand il parle des autres sa misanthropie mal camouflée par un pseudo-humour transpire par toutes les lignes. Le style ? Ah le style, parlons-en du style, moi qui d'habitude m'en fous du style, qui ne crois qu'en la sincérité et l'arrachage littéraire des tripes. Aucun style, plat comme les Ardennes. Mais pas un plat qui se laisse oublier, qui est ce que je préfère, non, un style plat qui dit : "regardez, les gens, comme je suis un gros rigolo". Le fait que l'auteur s'auto-qualifie de blaireau, pour nous rendre un peu complices, entre blaireaux on se comprend, ne change rien à l'affaire, c'est toujours aussi plat et égocentrique.
Blaireau, il devrait le reconnaître humblement au lieu de nous infliger ses nouvelles mal fagotées. Le ton avec lequel il écrit "le Belge" ("le Belge est féru de guirlandes lumineuses. Il a aussi l'art d'arranger les boules dans le sapin", p. 10), le "Rémois" ou "la Rémoise" ("La Rémoise n'est plus ce qu'elle était", p. 79) est insupportable de connerie. C'est beauf, c'est tout. Un beauf content d'écrire, qui s'écoute écrire, qui se la joue je suis un blaireau parmi les blaireaux mais moi je sais écrire alors je vais vous expliquer la campagne à vous les gens de la ville. Et voilà, c'est publié en poche, chez Folio, pour deux euros, c'est dire s'il s'en vend des milliers.
 
Désespérant. Il y a mieux pour se remonter le moral.
 
Il faut dire que je n'ai aucun humour.

Et que j'aurais bien aimé aimer ce que Vénus aime.

Poubelle, alors ? Ca m'est tellement difficile, de jeter un livre, même archi-nul. Celui là je lui ai fait traverser l'Europe entière, et arrivée tout là-haut dans les pays du Nord, après m'être prodigieusement ennuyée avec ses nouvelles, je n'ai pas eu le cœur de le balancer. Il est revenu avec moi, le même long voyage, brinquebalé dans mon sac déjà archi-plein. Je ne sais pas me séparer. 

mercredi 4 décembre 2013

Lire (Murakami) dans un aéroport

aéroport
Pas facile, de lire dans un aéroport. Tous ces bruits. En faire une liste. Les avions qui décollent. Les conversations dans plein de langues différentes. Les portiques de sécurité qui font biiiiiiiiiiiiiiiiiip, les bam bam des bacs plastiques du check point. Les annonces: this is the last call for the flight XYZ456 to Mumbai. Passenger Machin et Passenger Truc please go to gate C45. Mon voisin qui regarde un film avec le son à fond.  Sans compter toutes les questions que je me pose sur les achats possibles en duty free (pour finalement ne rien acheter : peur de faire les mauvais choix).
 
C'était peut-être le moment idéal pour rentrer, ou plutôt re-rentrer, dans la lecture de Murakami. Pas mon Murakami habituel, poétique, Haruki; non, son double vénéneux, très sombre, Ryû. Haruki et Ryû pourraient être les jumeaux dissemblables et maudits du roman  Les bébés de la consigne automatique, de Ryû Murakami.  L'histoire longue et complexe de deux garçons abandonnés chacun à la naissance dans un casier de consigne et qui par miracle survivent. L'histoire se déroule chronologiquement, de l'orphelinat à l'âge adulte, et s'achève dans un chaos de sang et de destruction.  Mais ce n'est pas triste, c'est juste l'enchaînement des choses qui veut ça. On voyage dans tout le Japon, on rencontre des personnages assez foutraques comme la magnifique Anémone et son crocodile Gulliver. Elle sait ce qu'elle veut, Anémone, pas l'eau croupie du quotidien, elle préfère mille fois les grains de sable qui grincent entre les dents et déchirent la gorge jusqu'au sang, des mirages, des illusions, qu'il se passe quelque chose. Elle refuse de s'ennuyer ou de se résigner. Elle est jeune.
 
C'est un peu le personnage qui sauve le livre, Anémone. Pour le reste, la violence et la dureté l'emportent, entre Hashi le premier garçon qui à force de conneries diverses comme la tentative d'assassinat de sa femme finit à l'hôpital psychiatrique en camisole et  Kiku le deuxième qui planifie méthodiquement la destruction de Tokyo. C'est sensible, pourtant, tous ces personnages cabossés se rencontrent, s'aiment, se détestent, parfois simplement se croisent ou cohabitent, faute de mieux. De temps en temps, Murakami nous balance une vanne bien sentie sur le monde tel qu'il est, brutal, sauvage.
Tout ça, c'est à cause des battements du cœur des mères, ceux que les bébés entendent dans le ventre ; la perte de ce battement, la solitude qui en résulte, on ne la surmonte jamais complètement.  

jeudi 28 novembre 2013

Chute libre

Chute libre, Mademoiselle Caroline
Je continue à explorer la déprime, les failles narcissiques, la psyché et compagnie. Dans les livres. Un peu pour mettre mes soucis à distance, un peu par peur que ça m'arrive. J'ai ainsi commencé un petit voyage en BD après avoir entendu à la radio parler de Chute libre, Carnets du gouffre,  un excellent album illustré de Mademoiselle Caroline, qui raconte 7 ans de réflexion dépression.
Plombante, triste, sombre, cette histoire ? Pas du tout. C'est drôle, on rigole, y'a de la vie là-dedans. On compatit aussi, surtout quand on voit Mademoiselle Caroline flanquée de psys toujours prêts à dégainer des âneries. Par exemple, un psy qui déclare:"ce qui va être dur avec vous, c'est d'aller en profondeur, car vous tournez tout en dérision". Comme si être au fond du trou imposait en plus de ne pas rire, de se rendre encore plus grave et lugubre qu'on est.
Donc, ça existe, un psy qui n'a pas d'humour... c'est ce qui donne envie de pleurer, bien plus que les crises. A un autre moment, une autre psy lui dit, à propos de son mari qui l'aime : "vous avez le plus important !" comme on dirait : "mais enfin, toi qui as tout pour être heureuse, un mec sympa, des enfants, une maison, un boulot...". Alors Mademoiselle Caroline, elle se demande, pourquoi ça ne va pas, si tout est là réuni pour aller bien ? Et elle s'enfonce en pensant qu'elle n'en sortira jamais...

Les illustrations sont excellentes, des petits croquis comme rapidement réalisés, dans l'instant, peut-être juste avant de s'effondrer ou de penser à autre chose. J'aime bien aussi la relation qu'elle a avec ses enfants, malgré les idées noires et les ras-le-bol. Les petits efforts de look, féminins, légers, pour tromper l'ombre qui ressurgit. "Je ne pourrais pas expliquer pourquoi, mais l'image du bonheur, désormais, c'était moi allant au bureau avec des baskets blanches et un sac "lune" de Vanessa Bruno". Ca me rappelle mes petites stratégies pour me sentir vivante quand tout est gris et froid à l'intérieur de moi : pull familier, parfum, maquillage, sourire devant le miroir.

Le pire, quand même, ce sont les rechutes. On voudrait que ça aille, mais ça pète et repète à chaque fois.  Avec des dessins bien noirs et assez flippants.

"C'est arrivé le 15 février 2009. Vers 5h30. Se réveiller avec la conviction qu'on est morte. Que sa vie est finie.
(...)
J'ai passé le trajet du retour à me persuader que j'allais bien, que ma vie allait bien.
Mais au matin, c'était sur moi.
L'ombre.
Elle m'enveloppait.
Non.
Elle m'assommait. M'étouffait. M'étranglait. Me paralysait.
Elle s'était nourrie entre-temps."
Plus tard, ça finit bien. Grâce aux psys et à leurs thérapies comportementales (celles que je déteste, même si la question n'est pas là), mais aussi aux fleurs, aux chansons, aux montagnes, et à la lecture de Voici.

Ouf, on se dit à la fin. Et qu'on ne regardera plus un dépressif de la même façon. En tout cas, on essaiera de ne pas détourner le regard des malades aux yeux vides et à la bouche sèche. J'essaierai.