mardi 12 février 2013

Descente

Je viens de voir sur le site de l'INA l'interview d'une championne de ski des années 70. La championne n'avait pas pu disputer une course à cause d'une blessure. Elle se retrouvait à regarder les autres filles de l'équipe de France, toutes en ordre de bataille, la niaque, bonnets vissés sur les oreilles, bâtons agressifs. Le journaliste demandait à la championne comment elle allait. Elle racontait qu'au début elle avait eu de la peine, de s'arrêter et de regarder les autres continuer... que maintenant elle se résignait, ça devait arriver un jour, elle qui n'avait jamais eu d'accident...
J'aime beaucoup cette expression, "avoir de la peine", ça exprime tellement exactement ce qui se passe. Et ça me paraît très années 70. Les femmes de ma famille l'employaient, ou sa variante "ça me fait de la peine", avec un soupir ou un sourire larmoyant. Ca faisait de la peine et ça se partageait entre femmes, comme ça nous les filles on savait ce qui nous attendait, pour plus tard.
La championne dans la peine reste souriante et douce, cheveux en cascade et pull sage, ne voit pas malgré les relances faussement étonnées du journaliste pourquoi elle serait de mauvaise humeur, puisque ça n'y changera rien... Dans l'équipe de France, personne ne la consolera, c'est chacun pour soi et puis personne n'y peut rien.
Je fais pareil. Je fais la championne. J'attends d'être moins blessée, rechausser les skis, remonter la pente. Je reste souriante et douce, à quoi ça servirait d'être de mauvaise humeur.... J'avalerais bien quelques pistes, quand même, le froid et la neige ça remet les idées en place et au moins quand on se casse la gueule, on sait pourquoi.

lundi 11 février 2013

Satyajit Ray

J'attends que l'énergie vitale revienne. En attendant j'imagine des scènes réconfortantes (c'est l'inconscient qui prend les manettes, essaie de conjurer la tristesse et l'angoisse). Revient ainsi à ma mémoire une séance d'analyse matinale dans une période où j'étais tellement désespérée, vidée, qu'à la fin, j'avais dit à mon analyste que je ne voulais pas partir. Que je préférais rester sur son divan toute la journée, même si le patient suivant avait déjà sonné et qu'elle m'avait signifié clairement que la séance était terminée. Je me sentais bien, recroquevillée et au chaud, sur ce divan un peu miteux, dans ce cabinet suranné avec une vieille analyste légèrement obsédée par la pendule et le chèque final. J'avais donc dit que je m'installais là, précisant que je resterais silencieuse et que je l'écouterais me  parler, parce que moi j'avais plus du tout le courage... Elle avait demandé, très calmement et toujours assise derrière moi : "et qu'aimeriez-vous que je vous dise ?". J'avais répondu, après un moment de silence et d'hésitation: "... peut-être... que là je passe un moment dur, désespérant, triste, mais que ça ira mieux bientôt.... Que j'ai de la ressource.... Que je vais en sortir". Alors, dans un rire, elle avait conclu, en se levant : "eh bien c'est parfait, vous vous l'êtes dit ! On va s'arrêter là". J'avais souri aussi de cette réplique et trouvé alors la force de me lever du divan pour traverser cette affreuse journée (bien plus affreuse que celles que je traverse en ce moment).
Hier soir, j'ai enfilé par-dessus mon pyjama mon pull bleu tout doux en laine, qui me tient chaud en période de tristesse. Je me sentais très lasse et me suis mise au lit très tôt. Eteint la lumière, pas envie de lire. Dans le noir, le sommeil ne venait pas, j'avais froid malgré l'empilement du pyjama et du pull, la boule de la peur au ventre. Alors a surgi la pensée que je pourrais être recroquevillée et bien au chaud sur le divan d'un ami et que je l'écouterais parler. Que peut-être, il serait question d'un film de Satyajit Ray que j'avais eu envie de voir quand j'avais encore de l'énergie vitale. Je me suis laissée bercer par ce rêve éveillé (où j'écoutais sans parler, plus le courage ; Satyajit Ray, connais pas, de toute façon...). Ca m'a apaisée, je me suis endormie.
Plus tard, j'ai pensé que comme souvent, l'inconscient remet d'aplomb plus rapidement que la rationalité consciente. Il fait plonger bien plus profond dans le noir aussi. J'ai des cauchemars, des terreurs nocturnes où on me menace de mort quand je ne suis pas à la hauteur.

samedi 9 février 2013

Bonjour tristesse

Ca n'a rien à voir avec Sagan, d'ailleurs j'ai jamais tellement aimé son livre. C'est juste que les lectrices sont tristes parfois. En me réveillant, je pense : "Bonjour, tristesse". Douleur. Désespoir. Détresse. Abattement. Je cherche des phrases qui résonnent dans mon coeur meurtri, car la lecture toujours apaise. Il y a ceci, chez Mouchette & co
"Le temps a passé. Il n'y a pas si longtemps, on était encore un enfant, on jouait dans la cour, les rêves étaient encore neufs, le merveilleux, courir était une joie dans l'espace des possibles, l'air vibrait des rumeurs infinies de l'instant. Maintenant, on est presque un vieillard. Déjà. Que s'est-il passé entre temps? Ne restent que des mondes perdus dans la brume. Pas toujours beaux. Et ceux qui sont beaux, si rares, il ne faut plus trop les évoquer, car c'est tellement douloureux de les savoir disparus".
Ca me bouleverse. Et bouleversée, je peux me vider de larmes tièdes qui charrient le désespoir la douleur la détresse et l'échec. Ca fait mal et ça fait du bien en même temps, ça détend. Un ami me téléphone, je pleure, ça manque de dignité je dis, il répond il n'est pas question de dignité (après, je pense que c'est vrai, il n'en est pas question, c'est l'amour qui aide à traverser). Les larmes font leur effet, comme les coups de fil, l'alcool siroté et les baisers tendres de mon compagnon. La fatigue s'installe. Je m'endors. La tristesse me réveille encore. M'envahit. C'est le milieu de la nuit. Je me sens infiniment seule et toute triste. Je pense aux mondes perdus dans la brume. Me demande ce qui m'attend, quelle brume et quel monde, maintenant.

Après, c'est le matin. Je me sers un café, la tasse indique "I had a really nice dream last night", ça me paraît tellement ironique aujourd'hui. J'ai envie d'avoir envie de rire. Il reste le goût de cendres dans la bouche. Le coeur qui se serre de temps en temps. La fatigue intense, rien envie de faire, à peine lire, dormir, jouer au loto, m'empiffrer peut-être, m'anesthésier d'alcool. La fatigue intense, c'est comme un boulot intense, ça te prend, tu ne peux plus en sortir. Les larmes reviennent subrepticement, dans la rue, dans la ville, tiens toi ma fille, ça manque de dignité, je me dis (même s'il n'est pas question de ça, je suis bien d'accord). J'écoute Leonard Cohen, pourtant tellement réconfortant d'habitude, mais là ça m'entraîne vers le fond, je suis tombée sur sur "no way to say good bye... I loved you in the morning, our kisses deep and warm, your hair upon the pillow..." J'ai l'impression d'être de retour dans la lessiveuse, dans la spirale de Saul Bass... Allez, ça va passer, tout passe... casse-toi, Saul Bass...

jeudi 31 janvier 2013

Bibliothèque idéale

Enfant, je jouais presque tous les soirs à un jeu apaisant, dans mon lit, avant de m'endormir. Le jeu consistait à imaginer un endroit où j'aimerais habiter, tout en le dessinant avec mon doigt sur le drap. C'était toujours le même endroit: une seule pièce rectangulaire, pas très grande, avec toutes les fonctions indispensables à ma vie. Il y aurait donc mini-cuisine, salle de bains, toilettes et les murs tapissés de livres. Une porte épaisse me séparant du monde et du bruit. Je n'en sortirais pas ou peu, j'y serais très tranquille, imaginais-je. Je me sentais protégée dans cette bibliothèque idéale, pouvais alors doucement m'endormir en serrant mon doudou. Parfois, par temps chaud, je dessinais en plus une piscine.
Il m'arrive encore de jouer à ce jeu. Mes goûts sont devenus plus sophistiqués, les magazines déco sont passés par là. Pourtant, l'esprit reste le même. Ce serait une pièce avec des canapés et des fauteuils profonds, pourquoi pas en cuir usé comme dans les clubs anglais, du café (et le droit de fumer).  Les murs seraient couverts d'étagères bien rangées, par ordre alphabétique d'auteur ou par collection. L'éclairage serait tamisé, les tapis soyeux, les parquets craquants. Un chat passerait, jamais où on croit mais jamais parti non plus.
On y trouverait mes livres et mes disques préférés. Un abécédaire d'auteurs où il y aurait forcément Nancy Huston, Siri Hustvedt, John Irving de mes jeunes années, Eliot Perlman, en VO aussi si on veut pour une Anglophone touch. Léonard Cohen, Barbara, Brassens et Linda Lemay dans la discothèque. Des goûts Télérama, un genre de résumé des aspirations et des rêves de la classe moyenne au XXIème siècle. On pourrait en faire une sociologie bourdieusienne: "Léonard Cohen, un art moyen". Ou bien dans cinquante ans, une histoire culturelle à la Thompson, The Making of the French Middle Class,  qui mentionnerait Paul Auster ou Annie Ernaux comme tellement représentatifs des lectures stéréotypées de cette catégorie (dans le genre littérature classe moyenne, j'écrirai un jour sur J.G Ballard). Ou pourquoi pas une belle théorie adornienne sur le conditionnement des individus par l'industrie culturelle, car je suis terriblement aliénée à l'industrie culturelle, comme tout le monde, sauf que moi je le sais.
Cette bibliothèque serait également numérique, puisqu'il faut vivre avec son temps... mais j'ai beaucoup de mal à m'imaginer glisser dans le sommeil avec une tablette...