J'ai parfois parlé lecture à des psychanalystes. Une fois, j'ai emprunté un livre repéré dans la bibliothèque de mon analyste : Une saison chez Lacan, de Pierre Rey. Je ne me souviens guère du contenu, si ce n'est que l'auteur semblait garder de son passage sur le divan un souvenir très positif, ainsi qu'une admiration sans borne pour Lacan... tout en ne racontant pratiquement rien de la traversée analytique. Dans le genre récit de cure, Les mots pour le dire, de Marie Cardinal, est bien plus beau et expressif.
Ce dont je me souviens en revanche, c'est d'avoir réfléchi à ce que pouvait signifier l'emprunt d'un livre à son analyste. C'est une transgression. Avoir entre ses mains, chez soi, un objet lui appartenant, crée une intimité soudaine. On sort du cadre, ça brûle (j'avais d'ailleurs pris grand soin du livre et l'avais rendu peu de temps après). En même temps, il y a le désir de lire. Et sûrement aussi celui de poser la question : "pourrais-je vous l'emprunter ?". Car cela casse l'asymétrie entre l'analyste, sujet supposé savoir, et l'analysant plus ou moins à sa merci. J'étais donc très satisfaite de montrer que moi aussi je m'intéressais à la psychanalyse et que je savais lire, de me placer en somme (presque) à égalité avec les spécialistes.
Par la suite, je me suis rendue compte que cette tentative infantile signait l'existence même de l'asymétrie : toute lectrice que j'étais, je restais sur le divan l'enfant terrifiée qui m'avait emmenée là-bas. Un peu plus adulte, je n'aurais pas eu à prouver que j'étais une lectrice ; la question de la démonstration ne se pose plus quand on sait qui on est.
Depuis, dans le quotidien, je perçois mieux que les grands démonstrateurs, ceux qui veulent à tout prix vous montrer qu'ils sont ceci ou cela, sont surtout des petits enfants terrifiés... et énervants...