dimanche 2 octobre 2016

Ce qui reste de nos vies, Zeruya Shalev

Un livre bouleversant. Rare. Cela raconte l'histoire d'une mère mourante, Hemda, et de ses deux enfants, la fille Dina, qui n'a pas été aimée de sa mère ; et le fils, Avner, qui a été adoré de sa mère. Cela se passe à Jerusalem et pourtant c'est universel. Ca parle des choix de vie qu'on fait sans trop savoir, et qu'on n'arrive pas à défaire après ; une fois qu'on est marié, parent, amoureux ou plus amoureux. Ca parle des relations qu'on a dans les familles, du mélange d'amour et de haine qu'il y a dedans. Ca parle aussi de la haine d'être soi. Des liens entre nous.

Hemda

Hemda, c'est la femme qui a subi, toute sa vie. Elle a subi l'éducation stricte du père, l'absence de la mère, le mari, elle a subi la vie au Kibboutz et quand elle a choisi de vivre en ville, elle n'a pas aimé. Pourtant elle garde comme une petite lueur, une lumière de vie.

Dina

Dina, c'est la femme révoltée, éprise d'absolu. Elle a souffert dans sa chair de n'être pas aimée de sa mère, a vomi ses tripes dans les crises de boulimie, continue à se sentir rejetée, à reprocher à Hemda d'avoir été une mère horrible. Et elle a choisi, choisi un homme qu'elle aimait plutôt qu'un homme gentil, une fille qu'elle adore, un désir enfant contre le monde entier. Elle s'est aussi fâchée contre l'injustice si répandue à l'université, a abandonné sa thèse et perdu sa meilleure amie. Elle vit dans la frustration professionnelle. Elle a 46 ans, doit apprendre à laisser partir sa fille.

Avner

J'ai surtout aimé Avner, Avni pour les intimes, pour les jolies filles stagiaires de son cabinet d'avocat. Avner aussi vit dans la frustration professionnelle, celle du défenseur des droits humains qui se heurte à un Etat tyrannique. A la maison, il se laisse martyriser par sa femme-ogresse, l'imposante Salomé. Jusqu'au jour où, rendant visite à sa mère à l'hôpital, il tombe sur un couple qui lui montre autre chose, le transforme, le fait sortir de lui-même.

Il est difficile d'isoler des passages de citations car tout se tient dans le roman. Les phrases sont longues, articulées, le style intimiste. On entend les voix intérieures des personnages, c'est un roman de voix et de voyages intérieurs.

Avner, alors :

"Elle chuchote, ne t'inquiète pas, tu seras bientôt soulagé, et Avner hoche la tête, reconnaissant, comme si cette promesse réconfortante lui était adressée, tu seras bientôt soulagé, ne t'inquiète pas, mais comment ne s'inquiéterait-il pas s'il n'entrevoit pas d'issue, voilà des années que les mêmes questions le taraudent, qu'est-ce que je fais avec cette femme, qu'est-ce que je fais avec ce travail, qu'est-ce que je fais avec ce pays ? Pendant longtemps il avait pensé être utile à quelque chose en accomplissant sa mission, mais depuis peu il a l'impression d'avoir perdu une certaine légitimité, celle-là même qui, sans jamais avoir été démontrée, offrait au moins une explication simple, du genre, à démarche erronée catastrophe annoncée et à démarche juste salut assuré, avec le temps, il sent que des forces souterraines triomphent de la logique qui guidait ses pas, il ne peut s'empêcher de penser que s'il avait eu sa chance il l'avait loupée, mais peut-être n'avait-il jamais eu sa chance.
Je suis piégé, aimerait-il raconter à la femme en chemisier de satin rouge,  j'ai été piégé très jeune et n'ai pas réussi à me libérer. J'avais à peine vingt-trois ans que j'épousais ma première petite amie, aujourd'hui encore je ne comprends pas comment je me suis laissé prendre. Pendant des années, je me suis réfugié dans le travail mais je n'ai plus d'énergie, j'ai perdu espoir, tandis que le voisin, lui, en a encore, de l'espoir, du moins d'après ce qu'il répond à sa femme d'une voix grave et agréable, oui je sais, et pour un instant sa certitude, leur certitude à tous les deux, semble pouvoir vaincre les avis des médecins, les pronostics et les statistiques, je sais qu'il n'y a aucune raison de s'inquiéter, je sais que bientôt je serai soulagé."

Zeruya Shalev, Ce qui reste de nos vies, Folio, 50-51

Yi King


Confrontée à quelques angoisses métaphysiques, j'ai essayé de me réfugier dans la pseudo-mystique. C'est aussi la conséquence du rangement de ma bibliothèque : j'ai redécouvert que j'hébergeais le Yi King, le Livre des mutations, dans ma maison. 


Je ne sais pas le lire, bien sûr, il faudrait faire des calculs compliqués  et des déchiffrages de caractères chinois dont je préfère me passer.

Alors je me concentre sur une question, j'ouvre, lis la réponse. Une fois, j'ai eu l'impression qu'elle était adaptée, juste ce qu'il me fallait lire à cet instant. Ensuite, je n'ai plus jamais retrouvé cette sensation, malgré la concentration.

Si quelqu'un.e passe par là et sait lire la beauté et la grandeur du Yi King, qu'il.elle me fasse signe...

mardi 23 août 2016

Faire le vide


J'ai souvent observé que la question de garder ou pas ses livres divise. Des ami.e.s m'ont expliqué que c'était inconcevable, de se débarrasser d'objets tant aimés. Que parfois, on les relisait. Et puis non, des livres, ça ne se cède pas, c'est tellement bon de les conserver autour de soi. C'est joli. Ca représente un pan de la vie, une rencontre, une sensibilité, un partage, un souvenir. Etc. Etc.

Une autre fois, une bouddhiste m'a dit qu'à l'occasion d'un déménagement, elle avait éprouvé un grand besoin de s'alléger. Alors, elle avait donné la plupart de ses affaires, dont ses livres, puisqu'on ne les rouvre jamais.

Je suis en train de passer du paragraphe 1 au paragraphe 2. Ca déborde de partout et je suis comme un vieux disque dur prêt à se convertir au bouddhime : usée, saturée. Je ne peux plus emmagasiner davantage, encore bourrer dans les étagères, arranger pour que ça tienne, ne rien retrouver. Je ne peux plus entasser dans mon cerveau non plus. Je voudrais que lui et mon salon se transforment en un grand espace zen et blanc. Eternal Sunshine of the Spotless Mind.

La seconde d'après, ça me manquerait, j'imagine. Ce vide, ce grand blanc, de quoi serait-il fait ? Ne plus voir les noms d'auteurs, Huston, Hustvdet, Ishiguro ou Murakami dans la bibliothèque, ne même plus voir de bibliothèque. Les belles collections Actes Sud dont j'aime la couleur, le graphisme, l'odeur, le contenu. Ma mémoire s'évanouirait, je m'évanouirais. The Lady Vanishes.

Pourtant, je me dis souvent que les mails et le blog suffisent largement à garder une trace de mes lectures. Que je suis passée à autre chose, au numérique, c'est là que je lis, que je vis. C'est là que j'oublie, m'oublie. Et puis au fond, je m'en fous complètement, de ces lectures. Who cares.

Je suis clivée, perdue entre deux mondes, entre deux postures. Comme toujours, hein.

Un pas vers le nouveau monde, disperser une partie de mon stock et de celui de mes enfants. Ce n'est pas faute d'avoir aimé leur lire les albums de l'Ecole des Loisirs (ah, Grosse colère, quel bonheur...). Mais voilà, il est temps de mettre de l'ordre, faire des paquets pour respirer à nouveau. Hier, c'était Vénus qui recevait le sien. Aujourd'hui  ce sera Nounou. Demain, peut-être ma petite voisine de 5 ans, celle qui ne veut pas déménager sur un bâteau parce qu'alors on n'habiterait plus à côté... Le reste, direction Emmaüs.

dimanche 14 août 2016

L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, de Romain Puertolas

L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, Romain PuertolasUn roman vraiment rigolo et enfantin, L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea. Il ne faut pas y chercher de réalisme, il n'y en a pas. En revanche, plein de fantaisie, d'amusement, de gentillesse, de poésie... ces choses agréables, qui font du bien, qu'on ne trouve pas souvent dans les romans (ni peut-être dans la vie ? Mais ne nous laissons pas reprendre par le désespoir poisseux de ces derniers jours). C'est ce que j'appellerais un roman de vacances. Un peu cucul la praline, sûrement, mais c'est justement ce qui est bien, qui distrait, qui fait sourire.
C'est l'histoire d'Ajatashatru Lavash Pavel, fakir rajasthanais de son état, parti en Europe s'acheter un lit à clous Ikea. L'auteur est facétieux alors il met entre parenthèses et en italique son héros, Ajastashatru Lavash (prononcez J'attache ta charrue, La vache), dit Ajatashatru (prononcez Achète un chat roux), dit Aja (prononcez A jeun), comme les autres personnages qui apparaissent au fil des pages.

Ca commence donc par l'arrivée du fakir Ajatashatru à Roissy.  Ajatashatru se fait conduire chez Ikea pour acheter un lit à clous (le modèle KisifrØtsipik spécial fakir). Il en profite pour arnaquer le chauffeur de taxi Gustave Palourde avec un faux billet de 100 euros (imprimé sur une seule face hé hé hé), rencontre à la cafétéria du magasin la belle Marie à qui il fait le coup du vase cassé (enfin, des lunettes cassées) et empoche 20 euros ainsi qu'une bonne dose de douceur. Les aventures se poursuivent au rayon canapés, puis dans une armoire Ikea qui le mènent vers l'Angleterre et des migrants soudanais. Et là, une autre rencontre bouleversante avec Wiraj (prononcez Virage), suivi d'un voyage rocambolesque vers l'Espagne puis l'Italie qui le fait atterrir chez la célèbre actrice Sophie Morceaux, vont radicalement transformer Ajatashatru.  Le faire passer d'illusionniste à bienfaiteur de l'humanité. Nous le rendre sympathiques, nous faire comprendre et aimer les migrants soudanais en même temps. Et puis Marie...

Mais je ne vous raconte pas la fin, lisez plutôt, vous en sortirez transformé.e. Comme si vous aviez chaussé le turban et deveniez dans le même mouvement bienfaiteur de l'humanité. C'est magique, comme disait Garcimore (il disait aussi: des fois, ça marche !).