dimanche 3 avril 2016

La condition pavillonnaire

Sophie Divry, La condition pavillonnaireAu début, j'étais un peu irritée à la lecture de La condition pavillonnaire. C'est du sous-Ernaux, ai-je pensé. J'avais l'impression d'avoir déjà lu cette histoire, bien mieux écrite, bien plus incarnée, dans Les années. L'histoire d'une femme, de sa vie banale, soit : enfance dans un milieu modeste, études, amour et mariage, achat du pavillon, naissance des enfants, cuisine, éducation des enfants, travail, routine conjugale, rencontre du collègue qui fait chavirer le cœur et finira bien sûr par partir, chagrin d'amour, dépression, yoga (elle ne fait pas de footing, mais aurait pu), re-travailsorties entre amies, naissance des petits-enfants, retraite, veuvage, mort... L'histoire de ma vie en somme, dont je pouvais voir la suite ici exposée, l'histoire de tant d'autres, nous les femmes.


A tel point que l'héroïne du roman n'a pas de prénom, elle est juste nommée par des initiales, M.A. Elles apparaissent quand l'héroïne est enceinte, alors j'avais imaginé que ça voulait peut-être dire "Mère aimante", comme on écrit sur un forum Mom ou MILF. Ou alors, un prénom, Marie-Anne. Ou plutôt Emma, comme Bovary, puisqu'il s'agit de ça. En tout cas, c'est gênant de voir ces initiales revenir, alors que les autres personnages - mari, enfants, ami.e.s - sont clairement nommé.e.s. 
Ce qui m'irritait aussi, c'était le ton, le tu sans cesse employé (peut-être pour se démarquer d'Annie Ernaux qui écrit élégamment à la troisième personne...), notamment pour décrire en détails des gestes d'une trivialité ahurissante :

"Tu appuies sur le bouton OFF de la télécommande et circulant d'une pièce à l'autre tu éteins les ampoules électriques, celle du salon puis celle du hall, François ferme à clef, vous montez les escaliers. Un coup d'œil dans la chambre de la petite, un coup d'œil dans la chambre du grand, un passage dans la salle de bains. Tu finis ta ronde en éteignant le couloir. Le pavillon a rejoint l'ombre nocturne de la zone, rehaussée cà et là par les halos jaunes des lampadaires. Tu te glisses sous la couette, plongeant dans un moelleux sentiment de sécurité, impression de confort accrue quand à l'extérieur il pleuvait sur les volets."

 Sophie Divry, La condition pavillonnaire, p. 103


Comme si Sophie Divry voulait expliquer l'époque à des gens qui la liront dans un siècle. Parfois j'avais envie de lui dire, devant ses phrases de 10 lignes, ses points-virgules, ses descriptions à n'en plus finir des voitures, de la machine à laver, des courses au supermarché : bon arrête maintenant, Sophie, tu n'es pas Flaubert.

Et pourtant, comme à chaque fois quand je m'identifie, j'ai fini par me laisser prendre. Je trouve que certains moments sont extrêmement bien croqués, par exemple les dîners entre amis.
"Soudain tu te rappelles que vous êtes deux, que pendant la soirée vous n'échangerez pas les paroles ordinaires des repas du soir, mais des regards précis d'initiés. Ton mari a un rôle à tenir dans ton organisation, il doit éviter les sujets qui fâchent, remplir les verres, passer le sel, trancher le pain ; tu sais qu'il tiendra ce rôle ; de même que tu éviteras un plat trop cuit et des fromages au rabais, lui évitera la moindre dispute et, grâce à ces petites tâches qu'il remplira, ton mari prendra part à l'équilibre harmonieux du couple qui reçoit, pour que dans le contentement de l'après-réception, quand vous serez couchés et qu'il t'embrassera, en disant on a bien mangé et peut-être merci, il soit fier de lui et satisfait de toi." 

Sophie Divry, La condition pavillonnaire, p. 140

Le déterminisme, le piège du pavillon et de la zone d'activités commerciales qui se referme sur les rêves de jeunesse, prend aux tripes. On dit condition pavillonnaire comme on pouvait dire avant condition ouvrière. Il n'y a pas de possibilité d'en sortir. Le roman en devient presque sociologique, sa portée dépasse largement celle de l'histoire individuelle de M.A, un peu comme chez Ernaux mais sans l'engagement affectif ou la gravité d'Ernaux, plutôt avec une ironie fataliste et une sorte de détachement que j'ai trouvé plaisants. 
Et puis des petites choses me rendent M.A familière, comme ses études d'économie à Lyon et son studio de la rue des remparts d'Ainay (oui, oui !). Parfois, elle se promène dans des endroits que je connais, autour de Grenoble, où habite Sidonie, une amie rencontrée sur le tard... Salut, M.A, on se connaît, je crois. 

jeudi 24 mars 2016

mercredi 23 mars 2016

Vous plaisantez, M.Tanner

Jean-Paul Dubois, monsieur Tanner
Travaux dans ma maison, qui me font penser à ce roman désopilant, Vous plaisantez, M.Tanner, de Jean-Paul Dubois. Cela pourrait être un recueil de nouvelles car le roman est construit comme une succession de galères qui se produisent sur un chantier... Ca commence avec un faux couvreur, moins cher que les vrais, qui a promis de refaire le toit au noir mais ne sait rien faire du tout. Quand la pluie se met à couler pour de bon dans la maison, M.Tanner est obligé de faire appel à un vrai couvreur qui fait du bon boulot mais qui le ruine.
On trouve aussi un électricien (ou un carreleur ou un plombier ?)  qui s'est construit un autel pour prier, un menuisier-ébéniste amoureux de son métier qui initie le propriétaire et ne facture rien du tout, des repris de justice mal reconvertis dans le bâtiment... On s'identifie. C'est caricatural et juste en même temps, on sait bien que ce n'est pas facile, de voir débarquer chez soi les artisans.


Extraits

(repiqués sur internet car je ne retrouve pas le livre... un prêté jamais rendu, probablement... )

"Il faut bien comprendre ce qu'est véritablement un chantier lorsqu'on l'assume seul. Du point de vue du travail et de la tension, cela correspond à peu près à la gestion simultanée d'un contrôle fiscal, de deux familles recomposées, de trois entreprises en redressement judiciaire et de quatre maîtresses slaves et thyroïdiennes."

"Souvent je me suis posé la question de savoir s'il n'y avait pas quelque chose qui clochait chez moi. Il n'était pas normal d'attirer à ce point les ennuis et les canailles. Je devais avoir des paroles, une attitude, une façon d'être qui me désignaient, dans la foule, comme pigeon préférentiel. Il n'y avait pas d'autre explication."

"Ce n’étaient pas LEURS outils, mais les MIENS. MA scie circulaire, MA scie sauteuse, MA tronçonneuse électrique. Kantor et Sandre avaient pris l’habitude de tout m’emprunter sans rien me demander. C’était comme l’échelle et tout le reste. Ils étaient à eux deux une véritable force d’occupation. Il leur avait suffit de quelques semaines pour réquisitionner ma maison, mes outils, mes finances, une partie de ma vie, et faire de moi une sorte de collaborateur passif."


Si j'écrivais ce genre de choses, je ferais un chapitre intitulé Giovanni. Le gentil maçon qui me salue tous les matins et qui plante son regard bleu azur dans le mien. Beau mec, dommage qu'il soit si vieux, m'a dit ma fille. Beau mec, dommage qu'il soit si jeune, ai-je pensé par devers moi.

dimanche 20 mars 2016

Le Cricket Club des talibans


Murari, Le cricket club des talibansUn surprenant mélange de dénonciation de la connerie humaine, d'intrigue bollywodienne et de style enlevé, ce Cricket Club des talibans. Cela se passe à Kaboul à la fin des années 1990. L'héroïne du roman, Rukhsana, est une jeune journaliste de 26 ans. Libre, éduquée, indépendante, elle a fait des études de journalisme à Delhi et est revenue au pays où elle s'épanouit dans son métier tout en évitant de se marier à un homme qu'elle n'aime pas, mais à qui elle est promise depuis l'enfance, comme le veut la coutume.
Jusqu'au jour où les talibans débarquent, obligent Rukhsana à se dissimuler sous une burka, à se faire accompagner d'un chaperon pour ses sorties, puis à arrêter de travailler. Rukhsana s'enferme alors à la maison, s'occupe de sa mère malade et de son frère, en attendant un hypothétique départ pour les Etats-Unis, si son fiancé, désormais établi à l'étranger, lui envoie l'argent nécessaire au voyage. Il faudra payer un passeur, bien entendu. C'est ce que font beaucoup des ami.e.e et autres connaissances de Rukhsana, tout occupés à imaginer des moyens de quitter cette prison à ciel ouvert, où on n'hésite pas à tuer pour une cheville apparente ou un regard de travers. Toutes les distractions sont interdites. Les coups de fouet, les pendaisons en public n'épargnent personne ; la scène de l'exécution de l'ancien président Najibullah est horrible.
C'est alors que les talibans décident de redorer leur blason à l'international en faisant jouer à Kaboul un tournoi de cricket, un sport colonial autrefois interdit mais qui leur permettra de réintégrer le cercle des nations "civilisées". L'équipe gagnante ira s'entraîner à Karachi, apprend-on. Karachi, Pakistan, c'est-à-dire la perspective de la liberté et l'abandon de l'horrible grillage qui empêche les femmes de vivre, bien plus encore que le port de la barbe ne contraint les hommes. Rukhsana, qui a appris le cricket à l'université, car il y a des équipes de joueuses de cricket dans les universités indiennes, va avoir l'idée de monter une équipe familiale et d'organiser un exil groupé en gagnant le tournoi. Tous les cousins s'y mettent et seront solidaires jusqu'au bout. C'est parti pour une folle aventure, à jouer non seulement la balle de cricket, mais aussi l'intelligence et la malice face à la connerie des talibans. Et à risquer sa vie, car entre-temps, un de ces affreux est tombé amoureux de Rukhsana et veut l'enlever.

Un jour, heureusement, le Prince viendra. Pas le fiancé que Rukhsana n'aimait pas, non le Prince indien et hindou, beau comme un dieu, qu'elle aimait depuis le début. Ouf.