samedi 26 décembre 2015

Anatomie d'un instant, Javier Cercas

Javier Cercas Anatomie d'un instantCe roman est long, très long, trop long, en même temps cette longueur est peut-être nécessaire. Car ce n'est pas un roman en réalité, mais une entreprise méticuleuse de décryptage d'un moment historique, le coup d'Etat du 23 février 1981 en Espagne. Tout part d'une série d'images vues et revues cent fois à la télévision, tellement rapidement. Ici, elles sont au contraire examinées une à une, au ralenti, décomposées, méthodiquement disséquées, par Cercas : des militaires entrent dans le congrès des députés, tirent en l'air, faisant se coucher au sol les parlementaires rassemblés, c'est au début au moins une prise de pouvoir spectaculaire, un coup sévère porté à la jeune démocratie.

Face aux balles et aux ordres secs des franquistes, seuls trois personnalités politiques ne se coucheront pas : le général Manuel Gutiérrez Mellado, vice-président du gouvernement ; Adolfo Suarez, le premier ministre en exercice ; et Santiago Carrillo, le leader du parti communiste. Cercas cherche à comprendre ce qui se joue à cet instant, en s'appuyant sur de nombreuses sources complémentaires, qui remontent l'histoire et la déroulent. La thèse du livre est que ces trois personnages n'ont rien à perdre. Entre 1975 et 1981, ils se sont convertis à la démocratie au point d'être méprisés, contestés, quasi-exclus de leurs groupes d'origine (l'armée et les milieux dirigeants franquistes pour Mellado et Suarez, le PC pour Carrillo). Alors, perdu pour perdu, ils sont prêts à mourir :
"les trois hommes qui avaient assumé le poids de la Transition, les trois hommes qui avaient misé plus que quiconque sur la démocratie, les trois hommes qui avaient le plus à perdre si la démocratie était détruite - furent précisément les trois seuls hommes politiques présents au Congrès qui se montrèrent près à risquer leur vie face aux putschistes." 
Javier Cercas, Anatomie d'un instant, p. 308
Le livre est à la fois trop descriptif, toujours à la limite de l'ennuyeux, et fulgurant. A certains moments en effet, l'action s'emballe, on est soudain tiré de l'ennui pour saisir quelque chose d'essentiel, à savoir que jamais l'histoire n'est écrite d'avance. Ainsi de ce bref instant où un des dirigeants madrilènes de l'armée comprend que le roi ne soutient pas le coup d'Etat. Qu'il s'agit donc de faire machine arrière, moins d'une demi-heure après avoir décidé de lancer le régiment espagnol le plus prestigieux, la Brunete, sur Madrid. Le même instant où le secrétaire du roi, Sabino Fernandez Campo, comprend qu'il ne doit pas laisser venir le général Armada au palais de la Zarzuela, sinon le roi sera immanquablement associé au coup d'Etat.
Le moment donc où des dirigeants, des militaires ex-franquistes censés être favorables au coup d'Etat, comme Fernandez Campo ou Juste, déjouent le coup d'Etat.
"Ils ont convaincu Juste de lancer ses troupes sur Madrid en arguant du fait que l'opération avait été ordonnée par Milans, qu'elle avait le soutien du roi et qu'elle était pilotée par Armada depuis la Zarzuela ; Torres Rojas et San Martin surveillent ce que Juste dit à Fernandez Campo au téléphone et leur conversation coule avec difficulté, sinueuse et remplie de sous-entendus, jusqu'à ce que le chef de la Brunete fasse allusion au nom d'Armada et, soudain, tout lui semble faire sens : Juste demande à Fernandez Campo si Armada se trouve à la  Zarzuela et Fernandez Campo répond que non ; Juste lui demande ensuite si l'on attend Armada à la  Zarzuela et Fernandez Campo répond de nouveau que non ; puis Juste dit : Ah. Cela change tout.
C'est ainsi que commence le contre-coup d'Etat".
Javier Cercas, Anatomie d'un instant, p. 186
Ainsi aussi de la description de la métamorphose de Suarez en démocrate, Suarez qui improvise constamment, Suarez dépassé par les événements et complètement déterminé à la fois.
"Ce fut sa manière de procéder pendant les onze mois que dura sont premier gouvernement : il prenait une décision inhabituelle et, alors que le pays essayait encore de l'assimiler, il en prenait une autre plus inhabituelle, puis une autre encore plus inhabituelle et puis une autre ; il improvisait constamment ; il entraînait les événements, mais se laissait aussi entraîner par eux ; il ne laissait pas aux autres le temps de réagir, ni de comploter contre lui, ni de prendre la mesure de l'écart entre ce qu'il faisait et ce qu'il disait, il ne laissait pas même le temps aux autres de s'étonner, pas plus qu'il ne s'en laissait à lui-même : la seule chose que pouvaient faire ses adversaires était peu ou prou de demeurer dans l'expectative, d'essayer de comprendre ce qu'il faisait et de tenter de ne pas rester en rade."
Javier Cercas, Anatomie d'un instant, p. 420-421
Suarez vilipendé, Suarez haï des franquistes comme de la gauche, Suarez le premier ministre de transition dont tout le monde, même le roi, veut le départ en 1981, ce même Suarez finira par lutter pour la démocratie, le système politique qu'il a fait, qui l'a fait et le défera.

L'histoire n'est jamais écrite d'avance, voilà.

vendredi 18 décembre 2015

Lire des recettes

livres de recettesJe l'ai déjà écrit ici, j'adore lire des recettes. Et les sites de recettes. Et les blogs de cuisine. Je regarde avec plaisir ma collection de livres, sur l'étagère. Les photos de plats. Les émissions télé culinaires.

Manger par procuration.

La période de Noël, c'est la période de Michka, des amis qui passent, je me mets aux fourneaux. La semaine dernière, en dessert, en plus du fondant au chocolat habituel, j'ai hésité à proposer un truc léger, semi-diétiétique : salade d'oranges ou coulis de fruits rouges. Mais j'ai renoncé, justement parce que c'est la période de Noël, de Michka, du sentiment qui dégouline, du lourd quoi.

Alors j'ai fait dégouliner le sentiment, avec une crème anglaise bien sucrée, bien réconfortante, la même que celle que ma mère confectionnait, quand j'étais petite, pour accompagner les oeufs à la neige au caramel. Parfois, elle la ratait, le mélange bouillait quand il ne faut pas qu'il bout, elle devait rattraper la crème triée en la secouant dans une bouteille, râlait à moitié, rigolait beaucoup (comme je l'admire d'avoir continué tout ça, sa cuisine, ses plats du dimanche, la bonne humeur, malgré les enfants tout le temps dans ses jupes...).  

La crème anglaise était réussie, cette fois, même si j'avais préparé la bouteille au cas où. Une petite fille qui porte un prénom d'héroïne de la comtesse de Ségur en a bu la moitié à elle toute seule. Ca faisait longtemps que je n'avais pas vu une toute petite fille dans mon salon, tendre son bol, demander "encore" avec cet appétit, cette joie de l'enfant.

Pour ce week-end, je cherche encore l'alchimie du déjeuner du dimanche. J'ai consulté Marmiton, PetitChef, C'est moi qui l'ai fait, Elle à table... Ca ne vient pas. J'ai l'idée du plat, une recette inavouable de gratin au saumon. Pour le reste, on verra.

Je suis fatiguée de lire des recettes, je crois. Fatiguée de lire, tout court. Fatiguée de tout, en fait.

Ce qui me guide le mieux en cuisine, ce ne sont pas les recettes que je lis, c'est le souvenir... Dimanche, je ferai peut-être bien la bûche aux marrons de ma grand-mère, en dessert. Avec une crème anglaise, qui sait.


samedi 21 novembre 2015

La grande Sophie, Nos histoires

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C'est de la musique, pas de la lecture, cet album de La grande Sophie intitulé Nos histoires. Ce qui frappe, c'est d'abord la voix, grave et chaude. Qui accélère, qui traîne, on entend les changements de rythme associés à de chouettes arrangements, la guitare, le piano.

Les mots sont jolis aussi. C'est comme si elle racontait mes petites histoires, cette Grande Sophie. Je l'écoute, je l'écoute, je ferme les yeux, pars loin, ailleurs. Je reviens. 

C'est comme si elle racontait notre petite histoire, et celle de tant d'autres qui se sont croisés un jour. Nos histoires.

Elles étaient belles les promesses
Qui brillaient au bout des doigts
Sur le papier avec adresse
Les rendez-vous, on se reverra

Elles étaient comme des caresses
J'imaginais le grain de ta voix
Et puis un jour, c'est la paresse
Qui nous retient je ne sais quoi

On ne s'est jamais revu, vu, vu le temps qui passe
Les années qui défilent et je regarde en face
Les portes claquent sur mes joues
Les questions à devenir fou
Vu, vu, vu le temps qui presse
Les traces sur mes joues laissent des maladresses
Pourquoi on s'est dit tu ?
De toute façon on ne se reverra plus

 https://www.youtube.com/watch?v=GippWyleskU