samedi 29 août 2015

Russels Banks, Lointain souvenir de la peau

Russel Banks Lointain souvenir de la peau
Un très bon livre, qui fait réfléchir à la façon dont nos sociétés traitent ce qui est codé comme de la délinquance sexuelle. C'est l'histoire de Kid, un jeune adulte, encore presque un enfant, qui s'est retrouvé un peu trop seul et a un peu trop regardé de la pornographie sur internet, un peu trop dragué des adolescentes en ligne, un peu trop fait n'importe quoi, à un moment. Comme tant d'autres, mais il s'est fait choper. Alors, il est banni de la société, pour longtemps ; interdit d'approcher une école ou autre lieu accueillant les enfants à moins de 800 mètres ; interdit d'utiliser internet ; interdit de vivre parmi les hommes.
Kid a un iguane, l'iguane Iggy, pour l'aider à surveiller sa tente, sous le pont, là où vivent ensemble tous les bannis, tant bien que mal, à l'écart du monde et en même temps dans le monde, puisqu'il faut bien recharger le bracelet électronique et survivre dans la jungle urbaine. Puisque les classes sociales existent même chez les bannis.
 
C'est l'histoire du Professeur, un sociologue intéressé par la façon dont vivent les SDF délinquants sexuels, qui considère que les condamnations pour délinquance sexuelle ne sont qu'un moyen par lequel la société enferme ses propres dérives et ses propres pulsions. Le Professeur fait la connaissance de Kid. Il veut le comprendre, puis l'aider. Il encourage les bannis à s'organiser, à instaurer des règles collectives. Le Professeur, au début, est comme un bon samaritain, même s'il ne peut pas tout, et sûrement pas lutter contre les éléments, quand survient l'ouragan qui détruit le campement des bannis. Même s'il ne peut pas tout à fait comprendre Kid.
Mais peut-être que le Professeur est autre chose aussi, un homme torturé et complexe. Peut-être aussi que Kid est autre chose. Peut-être que le plus humain des deux n'est pas celui qu'on croit.
 
A la fois un grand roman, un thriller et un traité de sociologie. Il fallait le faire.
  

vendredi 28 août 2015

Avec roman

Je pourrais écrire un roman, en cinq courts chapitres.  L'histoire d'une rencontre entre un type qui écrit dans son coin et une lectrice de hasard.

Premier chapitre, Rencontre 

Soleil de juin, je portais un chemisier blanc et un pantalon noir, ma tenue de concert avant la représentation que je donnerai ce soir. Je l'attendais à cette terrasse de café. Quand son regard a croisé le mien, mon cœur a sursauté ; ensuite je suis restée en difficulté pour parler. Je souriais et écoutais, faute de mieux. C'est qu'il est différent de ce que j'imaginais. Fin et drôle. Et la jeunesse de la voix. Ca ressemblait à un rêve dont je ne voulais pas me réveiller, un rêve de découverte. Je pensais à tout ce qu'il avait écrit, que j'avais tellement aimé. Je pensais qu'enfin je le rencontrais et ça me rendait heureuse.
En même temps, j'avais à faire, cette représentation me préoccupait. Il y assistait et presque tout le temps je l'ai regardé en coin. Plus tard, des proches se sont inquiétés, ils me trouvaient bizarre, ailleurs, comment j'étais arrivée là et pourquoi j'étais incapable de répondre à telle question. Rien de grave pourtant, juste un peu perdue dans mes pensées oniriques, avec sa voix dans mon oreille. Et voilà, maintenant rentrée chez moi, je rêve encore. Soupirs.

 

Deuxième chapitre, Restaurant japonais

Quelques mois se sont écoulés. Une autre soirée face à face, devant des sushis,  à me heurter au fait que j'aurai beau faire et dire, je ne serai jamais dans son film intime. A la lisière, c'est ma place. Que demander de plus, à quoi bon hein, à part pour se faire incendier, traiter de jalouse, d'inflammable ou je ne sais quoi.
Ce qui m'anime dégouline et l'écoeure, cette gentillesse, ce pathos, ça pue et ça lui colle aux basques en plus de sentir le brûlé. Une résine dont il cherche à se débarrasser.
Justement, je me souviens que c'était vers décembre et que j'étais habillée entièrement en vert sapin. Il portait une veste de cuir. J'étais si fatiguée, j'aurais aimé m'endormir sur son épaule au café. Nous avons parlé, longtemps, trop longtemps et à la fois pas assez. Après quoi, ça a mal tourné, il a allumé la lance à incendie et j'en ai pris plein la gueule. Soupirs et pleurs. Fâcherie. Puis dissipation de la fâcherie.

 Troisième chapitre, Satyajit Ray

Au fil du temps, le feu s'est éteint, remplacé par la cendre, car le type qui écrit est le champion toutes catégories de la bonne distance. Quand le hasard nous réunit cette fois encore, je lui assigne la même place que celle qu'il m'assigne, celle du voyageur de passage. Je ne cherche plus à l'émouvoir, m'habille juste un peu pour sortir dans cet endroit où j'avais envie d'aller mais où nous ne nous rendrons finalement pas, mets une robe noire et mes chaussures à paillettes.  Il porte des chaussettes à rayures.  Ce soir là, on passe un bon moment. On marche et on dîne et on regarde un film. J'erre dans un décor qui n'est pas le mien, dans une vie tellement autre que la mienne. Ses livres me sont étrangers, ses préoccupations aussi, je ne sais d'où vient cette sensation de proximité. Les soupirs, cette fois, c'est à cause du film, les personnages, la justesse de Satyajit Ray. A la fin, il se débarrasse de moi avec délicatesse. Le lendemain, j'ouvre les yeux, je pense : c'était bien.


Quatrième chapitre, Le parc

Ce jour-là, nous avons pris le soleil. L'ombre aussi. Le soleil surtout. J'avais l'impression de retrouver un vieil ami, de lui raconter mes histoires et d'écouter les siennes. La magie du début manquait peut-être, elle s'était transformée en apaisement, on ne peut pas tout avoir. J'ai pensé que finalement je le voyais tel qu'il est vraiment, et paradoxalement qu'il resterait à jamais un mystère. Je lui ai souri. N'ai pas pris ses mains dans les miennes, cela ne lui ressemble pas.
Il était fatigué. Peut-être retrouvait-il une amie à qui il racontait ses histoires et dont il écoutait les siennes. Je me demandais s'il s'ennuyait avec moi, qu'est-ce qu'il faisait là finalement, hein, celui qui écrit dans son coin, celui qui n'attend rien de la vie ni des autres ? Toujours cette crainte qu'il ne soit venu que par politesse.
Je l'ai trouvé un peu amaigri, dans sa chemise à carreaux, me suis demandée s'il me trouvait grossie, ridée, fanée. Nous nous regardions vieillir, à travers ces rencontres sporadiques habitées et entrecoupées de récits. Peut-être étions-nous déjà un peu morts. Peut-être nous étions-nous rencontrés au soleil du temps qui passe pour nous regarder et nous écouter vieillir et puis mourir. Au moment de partir, lui faisant un dernier signe, c'est ce que j'ai pensé : que quand je le reverrai, je serai un peu plus vieille et lui aussi, que c'était ainsi. Il faisait encore beau. La nostalgie déjà m'assaillait, je l'entendais approcher doucement du fond de mon cerveau même si la joie ne m'avait pas quittée. Une petite larme a coulé sur ma joue droite, je l'ai essuyée dans un sourire.

 

Cinquième chapitre, Il n'y aura pas de prochaine fois

Cela fait quelques temps que j'ai renoncé à ces rencontres, avec tristesse. La dernière fois, l'hésitation à y aller m'a montré le chemin de la fin. C'était comme une peine qui me tenaillait, me poussait à laisser ces épisodes derrière moi, car il n'en sortirait rien de bon, que de l'indifférence muette et du faux-semblant. Il n'avait plus rien à me dire et son silence résonnait tellement fort qu'il me faisait mal aux oreilles. J'en avais marre, d'être le bon public gentiment consentant, la résine collée aux basques du type qui préfère rester dans son coin.
Il valait mieux partir alors. J'ai encore écrit quelques mots, versé quelques larmes. Et puis hop, c'était fini, ou plutôt non, ça n'en finit pas de finir car je suis comme ça, je ne sais pas finir. 
P.S: l'illustration vient du blog d'une femme qui écrit vraiment, ici

dimanche 26 juillet 2015

Sans roman

C'était la nuit et j'étais enfermée dans une voiture. J'étouffais. Je voulais ouvrir la vitre pour avoir moins chaud, mais je ne trouvais pas la manette, je n'y arrivais pas. Alors, ça me donnait une furieuse envie de sortir de là, un besoin toujours plus impérieux de respirer, de m'évader. 

J'ai poussé comme une dingue les deux mains plaquées contre la vitre, ça ne s'ouvrait pas. L'angoisse de ne pouvoir sortir étreignait la gorge et faisait battre le cœur. J'ai essayé de me calmer, souffler, ouvrir à nouveau.

J'ai encore poussé. Je me suis dit qu'il fallait taper, casser la vitre. La panique me poussait à agir, vite, vite, il fallait sortir. Comment on casse une vitre déjà, c'est tellement dur.
 
Putain, je suis piégée, j'ai pensé, en poussant de toutes mes forces avec mon épaule.

C'est là que je me suis réveillée, me suis rendu compte que je poussais comme une dingue, debout contre la baie vitrée fermée de la chambre d'hôtel. Le cœur battait toujours autant et l'épaule droite était endolorie. Je ne sais pas comment j'étais arrivée là, sortie du lit, levée, jetée contre la vitre.

Il a fallu un grand moment pour me rendormir, j'avais peur et pas un roman à lire.

Sans roman, rien pour distraire de la peur.  

jeudi 23 juillet 2015

La Bibliothèque

BNF Bibliothèque François Mitterrand
Je connais peu d'environnements aussi apaisants et propices à la réflexion que la Bibliothèque Nationale de France. La promenade pour s'y rendre traverse le beau jardin Yitzhak Rabin, puis la Seine. A l'arrivée, l'air est frais, climatisé. Il faut s'armer de patience, arpenter de longs couloirs quasi-déserts avant d'atteindre les salles de lecture. La nature presque sauvage du patio se laisse regarder par les baies vitrées, mais impossible d'y accéder, le travail ici ne se conçoit qu'en milieu clos.

Les sons sont étouffés dans l'épaisse moquette, si bien qu'on est presque surpris d'entendre des voix à proximité des rares lieux où la conversation est autorisée. Vérification de la carte de lecteur, chuchotement de rigueur, un peu comme au couvent. Une salle immense, de grandes tables éclairées, il est temps de s'installer, dans le silence. Si besoin, un employé viendra aimablement rappeler les règles de bonne conduite à ceux qui ne les respectent pas.
 
Je me sens comme un moine dans un monastère, étudiant laborieusement, à l'écart du monde, dans le respect des règles, avec la marche lente et répétée comme compagne. Car à part lire et écrire, tout en ce lieu nécessite des pas : marcher longtemps pour obtenir un café, marcher longtemps pour aller aux toilettes, marcher longtemps pour revenir au vestiaire chercher un mouchoir, marcher encore pour rejoindre sa place.

La bibliothèque exige des pas lents et des gestes mesurés, de la délicatesse, de la détermination, de la concentration. Entre les murs épais des salles d'études, on a la sensation physique de sa mission de conservation du patrimoine, de sa grandeur et de sa solidité. Les documents sont bien classés et bien protégés, nous aussi, on voudrait camper à l'abri de ses murs, éternellement hébergé dans l'antre de la bête. Se laisser écraser de cette puissance tutélaire, disparaître. La mère-bibliothèque invincible enveloppe et avale ses enfants-lecteurs. S'agit-il de les dévorer, finira-t-elle par les régurgiter, la journée terminée ? A la fin, on ne sait plus si on est au cœur du plus merveilleux endroit du monde, ou dans le système totalitaire le plus abouti. Le dilemme de la fusion maternelle, au bout du compte.