jeudi 23 juillet 2015

La Bibliothèque

BNF Bibliothèque François Mitterrand
Je connais peu d'environnements aussi apaisants et propices à la réflexion que la Bibliothèque Nationale de France. La promenade pour s'y rendre traverse le beau jardin Yitzhak Rabin, puis la Seine. A l'arrivée, l'air est frais, climatisé. Il faut s'armer de patience, arpenter de longs couloirs quasi-déserts avant d'atteindre les salles de lecture. La nature presque sauvage du patio se laisse regarder par les baies vitrées, mais impossible d'y accéder, le travail ici ne se conçoit qu'en milieu clos.

Les sons sont étouffés dans l'épaisse moquette, si bien qu'on est presque surpris d'entendre des voix à proximité des rares lieux où la conversation est autorisée. Vérification de la carte de lecteur, chuchotement de rigueur, un peu comme au couvent. Une salle immense, de grandes tables éclairées, il est temps de s'installer, dans le silence. Si besoin, un employé viendra aimablement rappeler les règles de bonne conduite à ceux qui ne les respectent pas.
 
Je me sens comme un moine dans un monastère, étudiant laborieusement, à l'écart du monde, dans le respect des règles, avec la marche lente et répétée comme compagne. Car à part lire et écrire, tout en ce lieu nécessite des pas : marcher longtemps pour obtenir un café, marcher longtemps pour aller aux toilettes, marcher longtemps pour revenir au vestiaire chercher un mouchoir, marcher encore pour rejoindre sa place.

La bibliothèque exige des pas lents et des gestes mesurés, de la délicatesse, de la détermination, de la concentration. Entre les murs épais des salles d'études, on a la sensation physique de sa mission de conservation du patrimoine, de sa grandeur et de sa solidité. Les documents sont bien classés et bien protégés, nous aussi, on voudrait camper à l'abri de ses murs, éternellement hébergé dans l'antre de la bête. Se laisser écraser de cette puissance tutélaire, disparaître. La mère-bibliothèque invincible enveloppe et avale ses enfants-lecteurs. S'agit-il de les dévorer, finira-t-elle par les régurgiter, la journée terminée ? A la fin, on ne sait plus si on est au cœur du plus merveilleux endroit du monde, ou dans le système totalitaire le plus abouti. Le dilemme de la fusion maternelle, au bout du compte.

mercredi 8 juillet 2015

Musique intime

bras grands ouverts
Celle-là qui, les yeux clairs,
Marchait les bras grands ouverts,
Et qui voulait tout donner,
Et tout prendre,
Celle-là s'en est allée,
Le coeur d'amour, éclaté,
Les bras fourbus de se tendre,
Et d'attendre.

 Paroles de Barbara, et ma musique intime

vendredi 3 juillet 2015

Kafka on the Shore - Kafka sur le rivage

Murakami, Kafka on the shore
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"Sometimes fate is like a small sandstorm that keeps changing directions.  You change direction but the sandstorm chases you.  You turn again, but the storm adjusts. Over and over you play this out, like some ominous dance with death just before dawn. Why?  Because this storm isn't something that blew in from far away, something that has nothing to do with you. This storm is you. Something inside you.  So all you can do is give in to it, step right inside the storm, closing your eyes and plugging up your ears so the sand doesn't get in, and walk through it, step by step. There's no sun there, no moon, no direction, no sense of time. Just fine white sand swirling up into the sky like pulverized bones. That's the kind of sandstorm you need to imagine.

 And you really will have to make it through that violent, metaphysical, symbolic storm. No matter how metaphysical or symbolic it might be, make no mistake about it: it will cut through flesh like a thousand razor blades. People will bleed there, and you will bleed too. Hot, red blood. 

 You'll catch that blood in your hands, your own blood and the blood of others.  And once the storm is over you won't remember how you made it through, how you managed to survive. You won't even be sure, in fact, whether the storm is really over.  But one thing is certain.  When you come out of the storm you won't be the same person who walked in.  That's what this storm's all about."
 
Haruki Murakami, Kafka on the Shore




"Parfois, le destin ressemble à une tempête de sable qui se déplace sans cesse. Tu modifies ton allure pour lui échapper. Mais la tempête modifie aussi la sienne. Tu changes à nouveau le rythme de ta marche, et la tempête change son rythme elle aussi. C'est sans fin, cela se répète un nombre incalculable de fois, comme une danse macabre avec le dieu de la Mort, juste avant l'aube. Pourquoi ? Parce que la tempête n'est pas un phénomène venu d'ailleurs sans aucun lien avec toi. Elle est toi même et rien d'autre. Elle vient de l'intérieur de toi. Alors la seule chose que tu puisses faire, c'est pénétrer délibérément dedans, fermer les yeux et te boucher les oreilles afin d'empêcher le sable d'y entrer, et la traverser pas à pas. Au coeur de cette tempête, il n'y a pas de soleil, il n'y a pas de lune, pas de repère dans l'espace ; par moments, même, le temps n'existe plus. Il n'y a que du sable blanc et fin comme des os broyés qui tourbillonne haut dans le ciel. Voilà la tempête de sable que tu dois imaginer.


C'est un fait, tu vas réellement devoir traverser cette violente tempête. Cette tempête métaphysique et symbolique. Mais, si symbolique, si métaphysique qu'elle soit, ne te méprends pas : elle tranchera dans ta chair comme mille lames de rasoir affûtées. Des gens saigneront, et toi aussi tu saigneras. Un sang chaud et rouge coulera. Tu recueilleras ce sang dans tes mains : ce sera ton sang, et le sang des autres.


Une fois la tempête passée, tu te demanderas comment tu as fait pour la traverser, comment tu as fait pour survivre. Tu ne seras pas très sûr, en fait, qu'elle soit vraiment achevée. Mais sois certain d'une chose : une fois que tu auras essuyé cette tempête, tu ne seras plus le même. Tel est le sens de cette tempête."

Haruki Murakami, Kafka sur le rivage

dimanche 28 juin 2015

Lire un maximum en un minimum de temps

En ce moment, comme tous les ans à pareille époque, mon métier consiste à lire un maximum de pages en un minimum de temps. L'exigence est sans limite. Papiers de recherche, projet à lancer, compte-rendu de réunion, copies d'examens,  mémoires avant soutenance etc.
Lire, annoter, dévorer les pages en vitesse ; commenter, plus vite, toujours plus vite, tout en s'intéressant suffisamment pour ne pas avoir tout oublié au moment de discuter les contenus, dans quelques heures ou quelques jours. 
 
Voilà ma mission, voilà ce qui m'envahit, m'obsède, m'étourdit, m'empêche de dormir.
 
Lire malgré la chaleur étouffante à mon bureau, sous le toit, et le bruit des voisins qui se baignent dans leur piscine (bien fraîche). Lire malgré la tentation constante de faire un tour sur l'e-mail, le téléphone portable, un réseau social quelconque, ce blog aussi.  Lire en laissant de côté cette idée de téléphoner à une amie, à ma mère, à un ami, ce serait trop long et compliqué. Boire un verre d'eau avec des glaçons, un café sans sucre, soupirer, s'y remettre, allez courage.
 
C'est une mission pénible, éreintante.
 
En lisant je rêvasse, pensant que dans quelques heures, j'aurai avancé et cuisinerai un bon repas. Que dans une quinzaine, ça ira mieux, enfin je pourrai aller à la piscine, rester au lit ou flâner en ville  ou peut-être, me promener dans Paris. Que Machine m'a dit ceci l'autre jour, ça m'a fait sourire, et que Truc avait affirmé cela, autrefois, comme ça m'avait fait souffrir. Le petit monde lové au creux de mon cerveau se réveille, se déploie malgré moi. Je pense aux petits personnages de 1Q84, les Little People.  Je me dis que mes Little People reviennent me distraire, me hanter. Qu'il serait sûrement plus confortable d'oublier, que je ne peux pas, comme je ne peux jamais me concentrer complètement.
 
C'est ainsi, quand quelque chose devrait occuper l'esprit, l'inconscient fait en sorte d'y échapper.