jeudi 13 juin 2013

Aomamé


Aomamé 1Q84
J'ai rencontré Aomamé. J'étais dans 1Q84 et elle me pétrissait le corps. Les méridiens invisibles. Les muscles froissés. Elle a aussi démonté le squelette, fait craquer les vertèbres, torturé le bas-ventre. Appuyé sur les jambes pour débloquer le dos. A propos de mon plexus solaire, j'ai demandé : pourquoi j'ai comme un caillou, là ? Elle a dit : on ne se connaît pas assez pour que je vous réponde. De toute façon, vous n'êtes pas prête à entendre. Je n'ai pas insisté. Je lui ai demandé si elle avait déjà lu Murakami ? Elle a dit non, j'ai beaucoup de mal avec la littérature japonaise contemporaine. Je n'ai pas insisté non plus. Je sens que je l'agace avec mes questions. Elle m'agace également avec ses semi-réponses et le bruit dans le cabinet, radio, téléphone, sonnette de la porte d'entrée, conversations avec les autres patients, manque d'intimité. Pourtant, Aomamé, à mes yeux, c'est elle.
 
Quand je suis sortie de chez elle, je n'avais plus mal nulle part, je sentais l'énergie circuler et j'avais envie de danser et de fleurs pour la maison. Il faisait beau. Elle avait pris soin de mon corps. Un ami avec qui j'avais longuement parlé avait pris soin de mon âme. Minerva aussi, à sa manière, qui devine toujours mes démons. Je me suis sentie  légère, délestée de mes soucis. Plus tard, en écoutant de la musique, le plexus solaire s'est ouvert et l'émotion m'a envahie, la tristesse soudain muée en gratitude.

samedi 8 juin 2013

Mourir

Venus
Elle m'a dit qu'elle avait eu envie de mourir. Ca m'a serré le cœur. Elle est belle, intelligente, amoureuse, elle est la vie même. Elle sourit. Mais elle a eu envie de mourir, ça l'inquiète, elle n'avait jamais eu d'idées aussi noires avant.
On n'a pas parlé de livres, on a quitté nos habits de lectrices, pour une fois. On a parlé de craquer. D'être en deuil à n'en plus finir. De ne pas s'écraser pourtant, tenir bon, ne pas passer à côté de ce qui est encore. De la fragilité qui reste là, dans la maturité. Des fantasmes névrotiques qui reviennent même si on les avait bien éteints (c'est quoi l'amour, déjà ?). De retourner en analyse, à nos âges, non mais franchement, n'importe quoi, on les a bien assez disséquées, nos blessures.
On se souriait un peu tristement tout en faisant mine d'aller quand même, on sait se tenir, on est des quadras épanouies. On rigole. On est devenues fatalistes. Nos yeux pétillent encore, je me suis dit, c'est ce qui compte.

mardi 4 juin 2013

The ghost

The ghost is back. Each time I have a look at my page, he is there. As always with the ghost, I have to force myself not to give meaning to his presence. He is there because he wants to be there, or hasn't realized he was there. It has nothing to do with me.

It has nothing to do with me. The rest is only in my brain.

Marc Chagall, Au dessus de la villeWhen the ghost was alive, a long time ago, any little thing in my daily life would become a sign of his presence. Thinking of him when opening my eyes in the morning. Thinking of him when brushing my teeth. When listening to a song on the radio. When smoking or drinking some red wine. He was like a piece of my brain, like a continuous TV channel switched on, like a big cloud invading any small part of my sky. I was constantly reminded of him.

When he disappeared from my life, it was a long grieving process to get out from him. The most difficult thing to kill is your own thoughts, to switch off the channel. To see the toothbrush or the clouds, when there's nothing else to see. To remember constantly that the ghost has gone and has nothing to do with me now. It took me years.

I don't like to get to the same webspace or page as him, because it gets me back to the grieving process and to him, to some extent. I have to make efforts, I have to resist. Exhausting.

vendredi 31 mai 2013

Lire des copies



Je me souviens de mon professeur de philosophie au lycée qui disait détester corriger des copies. Il était très lent, rendait les corrections après plusieurs semaines, levait les yeux au ciel quand nous lui réclamions nos devoirs, l'air las. Le jour où il en avait fini avec son pensum, on le sentait détendu, délivré, c'est le moment qu'il choisissait pour glisser un clin d'oeil ou une blague quelconque. Je ne comprenais pas, quand moi je mettais tant de coeur à écrire de belles dissertations. J'étais jeune et bête, il faut dire.
 
Le temps a passé. Je suis moins jeune (moins bête ? moins bardée de certitudes plutôt) et maintenant, je comprends intimement cet ancien professeur de philosophie. Je ne l'ai jamais compris aussi intimement que depuis que chaque semestre, je dois me prêter à l'exercice de la correction de copies. 
correction de copieJe n'arrive pas à m'y mettre, repousse le moment, évite de regarder la pile sur mon bureau, m'invente mille activités urgentes, des problèmes à régler, des rendez-vous, des opérations essentielles, des conversations sans fin. Quand vraiment je n'ai plus le choix car la date-limite approche, que la pression monte, je m'y colle. C'est toujours à la dernière minute et je suis bien connue au secrétariat pour dépasser les délais, parce que non contente de commencer en retard, j'y passe beaucoup de temps. Trop. Une fois que je m'y suis mise, c'est plus fort que moi, la lectrice reprend le dessus. Elle s'acharne à disséquer, commenter, interroger l'argumentation ; comme si je recevais chacun des auteurs de ces copies en tête-à-tête. L'imagination travaille, autant que le stylo. Je me représente la personne qui a écrit la copie : la charmante jeune fille ou le caïd du fond de la classe ? Me demande si tel trait d'esprit était volontaire. Comment ça se fait que je n'ai pas entendu un tel lyrisme, ce semestre, à l'oral. 15 minutes, un devoir, 15 petites minutes pour juger de trois heures et même de trois mois de travail. Rarement plus, les heures s'enchaînent, il faut corriger, noter, valoriser, sanctionner. Les pauvres petits, je me dis parfois, qui suis-je pour les juger, c'est le hasard de la vie qui m'a placée là. Devant une copie blanche, je note "copie blanche : 0", ça me serre le coeur.

Quand j'en termine enfin avec mon pensum, fatiguée d'avoir lu des dizaines de versions du message initial, je me sens légère. C'est souvent le moment que je choisis pour glisser à ceux que je croise un clin d'oeil ou une blague quelconque. Ainsi va la vie, comme on disait au lycée... Je me souviens de mon professeur de philosophie, un esprit rebelle qui militait pour la suppression des notes et l'exigence d'une connaissance rigoureuse. Une autre époque.