jeudi 9 mai 2013

Modes de Paris

Modes de ParisModes de Paris, pour les filles, dans les années 70, c'était le magazine que lisaient les mères et les amies des mères. En tout cas, la mienne et ses amies. Très genré, comme on dirait maintenant. Je m'étonne de ne pas trouver de thèse ou d'article scientifique sur le sujet (Actes de la Recherche en sciences sociales a publié une étude détaillées de Nous Deux, en 1985). Peut-être y'a-t-il des témoignages sur les blogs, mais je n'ai pas le courage de chercher.

Pour la petite fille des années 70, Modes de Paris, c'était le chic. Des femmes bien faites, élégantes tout en restant discrètes, qui présentaient des robes, des tailleurs, des chapeaux. Les patrons pour réaliser soi-même les vêtements à la mode parisienne. Les recettes qui épateraient les invités dimanche prochain (j'en possède encore). Le courrier des lectrices où je découvrais bien des soucis des femmes de ce temps-là, avec toujours les mêmes façons simples de les affronter : l'acceptation, l'évitement, le dévouement, surtout être agréable, les femmes doivent être gentilles. Le roman-photo, ma partie préférée. Les hommes y étaient beaux, subtils, amoureux ; les femmes n'avaient qu'à les rencontrer et leur jeter un regard ou deux, l'amour naissait, là, sur la photo, on voyait les coeurs battre et les regards s'embuer. Bien sûr il y aurait un ou deux obstacles, mais tout ceci se terminerait du mieux possible (mariage ? enfants ?). Un jour, mon prince viendra... Maman, tu as dû rêver de ça, toi aussi. Comme nous étions toutes naïves, alors. Comme c'était aliénant, comme c'était bien... Mes filles sont nées dans un autre monde. Un monde où les filles doivent être des tueuses, indépendantes, réalistes, carriéristes. De quoi pourraient-elles rêver, puisque le prince charmant ne viendra pas ? D'avoir leur indépendance économique, bien sûr, très important, des fois que le prince ne soit pas si charmant... Et puis, quoi ? S'émanciper des sentiments, de l'abnégation familiale, c'est ça, le bonheur ? Je me demande. Je me souviens de ma mère, de ma grand-mère, de mes tantes, de leur tendresse infinie et de leur capacité à sourire d'un rien et je me demande.

Tallinn, Staline

Les vaches de Staline
Extrait :
"La mère traite les gens de moutons et se demande comment ils peuvent passer leur temps à faire la queue sans s'insurger, rester debout, passer de l'avant d'une file à l'arrière d'une autre, à la queue leu leu comme si c'était inéluctable, dociles et sans poser de questions. Bande de limaces !

La mère ne supporte pas cela. C'est pourquoi elle a tout bonnement quitté le pays, ce pays de moutons, ce pays de gens transformés en moutons. C'est pourquoi elle passe devant tout le monde et se fait rabrouer, mais elle continue, jusqu'à ce qu'elle soit obligée de capituler et de faire la queue. Pendant ce temps, Anna regarde les gens, les dents en or et les jambes poilues des femmes russes sous les robes en chintz. Une fois, Anna a vu une femme aux jambes minces avec une jupe archicourte et des sandales dont les talons hauts étaient métalliques et dont le pas était aussi féminin que possible. Cette dame portait un chemisier à jabot blanc et un petit sac à l'épaule, mais elle avait les jambes poilues et les cuisses encore plus. Anna n'avait jamais vu une femme avec des cuisses et des genoux aussi poilus. Comme la toison d'une poitrine d'homme, mais qui tapisse une cuisse de femme."

        Sofi Oksanen, Les vaches de Staline, Paris, Poche, p. 95-96


Sofi Oksanen donne à voir les troubles du comportement alimentaire d'Anna comme le symptôme d'histoires non dites. Celle d'une famille déportée par Staline pendant la deuxième guerre mondiale. Celle d'une mère estonienne émigrée en Finlande dans les années 70, traître aux yeux des Estoniens comme à ceux des Finlandais, jouet des services secrets des deux pays et des corruptions de l'URSS, qui ne pouvait que se dissimuler et enseigner à son enfant la dissimulation. Celle d'une petite fille qui aime l'Estonie mais ne peut pas être estonienne en Finlande, les Estoniennes sont des putes ou des espionnes. Alors, l'enfant Anna montre un corps parfait et toutes les aptitudes de la gentille fille finlandaise, pour mieux dissimuler ses origines estoniennes qu'elle retrouve dans la chaleur et la honte des prises de nourriture.

Un livre qui remue histoire, politique, autofiction. Un livre qui remue.

dimanche 5 mai 2013

1Q84

1Q84
1Q84 est un monde, le monde de Murakami. Entrer dans 1Q84 veut dire se transporter dans le Tokyo de 1984. Shibuya. Itabashi. Jiyugaoka. Les échangeurs d'autoroute, les trains, les montagnes.
Puis arrivent les Little People et les chrysalides de l'air.
On n'y comprend plus rien.
On comprend à nouveau.
C'est le monde de 1Q84.
Aomamé et Tengo.
Fukaéri la mystérieuse. Komatsu le bizarre.
La veille dame et Tamaru. La serre, les papillons.
La lune et les lunes.
Le monde de 1Q84. Le monde de Murakami.

mercredi 1 mai 2013

Lire une lettre (et payer pour ça)

lettreIl existe désormais en ligne un service payant pour recevoir des lettres dans sa boîte aux lettres. Ca s'appelle Lettre d'un inconnu et la blogosphère comme la presse s'extasient dessus. Créativité, ingéniosité, prise d'initiative, start-up... Retrouvailles avec le courrier à l'ancienne...  Joli site web, sobre, un brin rétro...  On sent l'auto-satisfaction, la bonne conscience boboïsante... Comme tout ceci est gentil, charmant, poétique même... J'ai failli m'y laisser prendre et offrir un abonnement. Un petit virement et hop, je rejoignais le troupeau.
Mais enfin j'ai réfléchi cinq minutes. Payer pour lire une lettre. Payer pour que quelqu'un reçoive une lettre (en-dehors du prix du timbre, bien entendu). Ne pas l'écrire soi-même mais payer pour qu'une de vos connaissances en reçoive une ou qu'on vous l'écrive. C'est absurde. C'est pathétique. Sous couvert de "réenchanter les boîtes aux lettres", il s'agit surtout de faire commerce de ce qui devrait être à jamais gratuit... La correspondance, c'est donner, recevoir en retour, tout le plaisir est dans la relation qui se noue, perdure, devient tantôt étroite, tantôt plus distendue. Dans les soubresauts de l'attente. Ma lettre sera-t-elle lue, y'aura-t-il une réponse, est-ce que j'aurai encore des choses à dire, après ? L'échange va-t-il perdurer ou s'interrompre ? Sur abonnement, plus rien de tout ça, juste un (certes joli) objet qu'on possède et qui arrive le jour dit à l'heure dite, comme prévu et par virement renouvelable. Un objet identique, absolument identique, pour des milliers de consommateurs avides de posséder, de recevoir quelque chose dans leur petite boîte aux lettres tellement submergée de factures et autres publicités, la pauvre chérie.  Ils n'ont pas compris qu'en payant, ils détruisent cela même qu'ils voulaient posséder.
 
Payer pour une lettre, c'est un peu comme payer pour faire l'amour : si ce n'est plus gratuit, tout alors est vicié, sali, il y a bien peu de chances que s'établisse une quelconque relation.