jeudi 10 janvier 2013

Michka


Quand décembre est là et que la neige commence à tomber, c'est le temps de Michka. Je ressors mon vieux livre d'enfance, de la boîte de Noël où je le range soigneusement chaque début janvier. Je regarde la couverture illustrée et je me souviens du bonheur que j'avais à lire l'histoire de Michka, étant petite. Du bonheur que j'ai eu ensuite à le lire à mes enfants (même à leur âge avancé, je leur lis encore, parfois). C'est une histoire comme on n'en fait plus, une histoire de sacrifice, de bonne action, tout ce qui semble aujourd'hui une morale surannée de soumission à l'ordre social et de renoncement. Pourtant, c'est tellement beau et simple.
 
Michka est un ours en peluche, maltraité par sa propriétaire, une gamine égoïste nommée Elisabeth. Un jour, il en a marre, il décide de s'échapper, découvre la liberté, la forêt, l'immensité blanche de la neige. Un roitelet lui fait une farce. Des oies bavardent. Michka marche dans la neige, s'amuse, pense : "jamais plus je ne serai un jouet !" et on est bien d'accord avec lui.
 
Mais c'est aussi le soir de Noël, le soir où chacun doit faire une bonne action. Alors, quand Michka rencontre le renne de Noël, celui qui est chargé de la distribution des cadeaux dans les pays du Nord, il lui donne un coup de main. Puis la tournée se termine, le sac de cadeaux est vide mais il reste une maison ; la maison d'un petit garçon pauvre et malade, à qui il ne reste pas de cadeau à donner... Alors, le renne regarde Michka de ses beaux yeux profonds. Et Michka comprend, il renonce à ses serments de liberté, à la neige, aux jeux avec les oiseaux...  
"Michka fit un soupir, embrassa d'un coup d'oeil la campagne où il faisait si bon se promener tout seul et, haussant les épaules, levant bien haut ses pattes, une, deux, une deux, pour faire sa bonne action de Noël, entra dans la cabane, s'assit dans une des bottes, attendit le matin..."
Je regarde l'illustration, le petit garçon endormi dans sa chambre et Michka planté dans le sabot du petit garçon, à attendre le matin. Michka qui il n'y a pas une heure découvrait la neige et la liberté, et y a maintenant renoncé par esprit de sacrifice et pour faire une bonne action de Noël. L'émotion revient, comme à chaque fois. Je range le livre dans sa boîte, jusqu'à décembre prochain.

lundi 26 novembre 2012

Rencontrer ceux qu'on a lus

Il m'est arrivé de rencontrer des auteurs que j'avais lus assidument. D'abord, Daniel Pennac, que je dévorais adolescente. Je lui avait raconté, à la librairie où il signait des ouvrages ce jour lointain de ma jeunesse étudiante, que quand j'avais en main un de ses livres, je ne m'endormais pas avant de l'avoir fini. Je cheminais vers le dénouement avec fièvre, incapable de m'arrêter, enfilant les chapitres, désireuse de tout savoir du destin de Benjamin Malaussène. Pennac avait alors écrit comme dédicace : "comment veux-tu que je suive, lectrice, si tu lis en deux heures ce que j'écris en deux ans ?"
Quelques années plus tard, à un salon du livre,  j'ai dit en rigolant à Tonino Benacquista que c'était l'amour qui m'avait fait le découvrir, car j'étais tombée sur La Maldonne des sleepings dans la bibliothèque de mon compagnon (hasard de la vie, tous les polars ou presque que j'ai lus l'ont été par amour). Celui-là raconte l'histoire d'un contrôleur dans le train Paris-Venise. Benacquista nous avait chambrés sur le fait qu'on faisait de bien piètres amoureux, nous qui lisions Venise mais n'y n'étions jamais allés (mon compagnon avait précisé qu'il y était allé, mais pas avec moi... ). Benacquista a alors écrit sur la page de garde de La Maldonne : "Leur premier voyage à Venise, ensemble!".
 Mais cela fait longtemps que j'ai arrêté de fréquenter les salons du livre et autres signatures de libraires : pas l'âme d'un Chick poursuivant son Jean-Sol Partre. Devenir de plus en plus internaute a aussi contribué à changer mes habitudes. Je ne lis plus seulement les auteurs estampillés comme tels par un éditeur, me plonge dans des récits et autres opinions autopubliés sur le web. C'est comme ça que je suis arrivée sur une île et m'y suis installée comme lectrice, avant d'ouvrir mon propre salon où l'on cause. Cette semaine donc, ce sera différent. Je rencontrerai quelqu'un que je lis mais avec qui il y a des échanges réguliers, on se connaît, on tisse quelque chose, qui passera pour un moment de l'écrit à l'oral.
La nuit dernière, j'ai rêvé que je le cherchais partout dans sa ville et que je ne le trouvais pas, je m'étais perdue... J'en étais réduite à repartir bredouille, après avoir été chassée du seul refuge possible dans la ville, une sorte de campement de fortune, muni de lits de camps militaires. Métaphore du fait qu'on  ne retrouve peut-être jamais tout à fait ceux qu'on a lus...

samedi 24 novembre 2012

Lire quelqu'un

Ce besoin, toujours, de tout comprendre... Il m'arrive d'avoir l'impression de lire même les gens que je rencontre. Je les regarde, je les écoute, je m'en imprègne, et comme ça je déchiffre qui ils sont, ou plutôt je projette qui je crois qu'ils sont. Parfois, je décode ce que je crois qu'ils sont comme une proximité avec ce que je suis. Ca vient je ne sais d'où, ni pourquoi.
 
J'aimerais savoir lire les lignes de la main. Etre une gitane qui inspire respect et crainte aux passants, faire cliqueter mes bracelets et tourner ma jupe à volants, leur dire : "hey monsieur, viens voir, je sais ton avenir, laisse moi te dire"... avec un sourire un peu menaçant. Demander la pièce et regarder dans la main gauche du monsieur, savoir s'il va mourir bientôt, s'il sera riche, s'il se mariera et aura une descendance. Pouvoir consoler la jeune fille en lui disant que son amoureux reviendra, ou qu'elle en trouvera un autre, bien mieux et  très vite, ou que la fortune l'attend, le bonheur aussi, demain, je le vois, ne pleure pas, mademoiselle ! Avoir ce pouvoir de connaître l'avenir, sentir les choses, ensuite choisir de  dire ou ne pas dire ce que j'ai lu, consoler, punir peut-être, jeter un sort, qui sait.

Ou bien, j'aimerais être une guérisseuse, soulager en levant les brulûres et autres douleurs, comme la grand-mère de mon père le faisait dans les fermes, autrefois. Je lirais dans de vieux grimoires pour élaborer des remèdes et améliorer mon appréhension des mystères, je serais docteure de l'invisible et des ténèbres. Je me rêve en sorcière. Je me suis déjà amusée à faire croire à des enfants que j'avais le pouvoir de faire changer les feux de signalisation de couleur ou que je pouvais faire apparaître et disparaître des objets. Ou bien, qu'eux et moi, dans le silence, on pouvait entendre ou apercevoir les lutins de la forêt... Alors, comme par magie, un enfant entendait ou voyait un lutin...

mercredi 21 novembre 2012

Courrier de l'au-delà

Parfois je lis quelques lignes qui ont l'air plein mais qui sont un grand vide. Courrier de l'au-delà, un fantôme reparaît. Le sol s'ouvre sous mes pieds, coeur qui palpite, peur au ventre, l'appel misérable aux amis, la galère quoi !
 Le fantôme, depuis l'au-delà, se souvient vaguement d'un amour ancien, lui écrit quelques lignes pour avoir des nouvelles. Ou pour autre chose, on ne saura jamais. Les lignes voyagent dans le cyber-espace, anodines et pourtant tellement puissantes que quand elles arrivent à leur destinataire, elles la brisent, comme autrefois. Une tempête, dévastatrice, sur la plage encombrée de ses pensées. Elle revit l'histoire. Revoit la rencontre, l'amour fou, les questions, qu'est-ce qu'on fait maintenant ? La séparation. La déception. Le chagrin.
Combien de temps le manque la prendra-t-il ainsi ? A force d'éléments déchaînés, de séances d'analyse et de discussions avec Minerva, elle a compris que le fantôme est une illusion (le manque lui, est vrai, mais n'a pas grand chose à voir avec le fantôme). Et que seule la dignité sauve de la tempête. Le silence, serrer les dents, attendre que ça passe. Ferme ta gueule, lectrice, arrête de te plaindre. Ce n'est qu'un malheureux fantôme qui passe, cela fait bien longtemps qu'il est mort, il ne ressuscitera pas. Le sol finit toujours par se refermer et l'engloutir.
Le calme, enfin. Souffler. Se dire : il ne m'a pas eue, encore pas cette fois. Il ne m'aura plus jamais. La vie va reprendre. Oublier l'au-delà. Etre dans le présent.