samedi 17 novembre 2012

Cook

Je suis fan de Jamie Oliver. Cette décontraction culinaire, ce côté je-m'en-foutiste de talent, à fabriquer d'excellents repas avec trois fois rien, juste des herbes fraîches et un filet de citron. Je n'ai pas connu Jamie par ses livres, mais par des fiches cuisine qui étaient distribuées par le magasin Sainsbury's il y a quelques années. Se régaler sans se compliquer la vie ? Il suffit de lire la fiche : mettre dans un plat des pilons de poulet, un ou deux oignons coupés en morceaux, un peu d'ail, sel, poivre, herbes fraîches et huile d'olive. Passer au four et vers la fin, quand c'est cuit, ajouter des tomates cerises pendant 10 minutes (au supermarché, une fois, une dame s'est penchée vers mon chariot et a dit tout haut d'un ton outré : "mais qui peut bien acheter des tomates cerises hors saison ?" Pfff... comment expliquer que je recevais des enfants de moins de 10 ans, et que dans ces cas là, je m'asseois sur mes principes...  Jamie aussi recommande d'acheter des produits de saison, j'approuve évidemment, ça ne m'empêche pas de n'en faire qu'à ma tête...). Servir avec un mélange de couscous cuit au bouillon-cube et de courgettes revenues gentiment dans l'huile d'olive. Au moment de passer à table, arroser le poulet de citron, et voilà.
Devenue fan de Jamie grâce à Sainsbury's, je me suis pas mal penchée sur son livre Cook, qui n'a plus quitté ma cuisine. J'y ai puisé quelques unes de mes meilleures recettes : les pommes de terre rôties au romarin ou au thym, le saumon cuit juste comme il faut, la meringue blanche comme neige et tendre à l'intérieur, le shortbread à la farine de maïs... Cool, bon, rapide. Le genre de trucs que les chefs intellos à la française ne savent pas faire. J'ai également regardé souvent le programme télé "Pass it on", qui consiste à (ré)apprendre aux Anglais à cuisiner, en les encourageant à se transmettre des recettes et des savoir-faire. Je trouve ça chouette et j'ai envie d'y croire, même si je sais qu'il y a aussi des histoires de marketing, d'audience télé et de gros sous là-dedans...

jeudi 15 novembre 2012

Dédicace

Quelque part dans des rayonnages de bibliothèques  universitaires, il y a un livre que je n'ai pas lu en entier et dans lequel je figure pourtant. Je l'avais reçu dans ma boîte aux lettres : un de ces ouvrages arides auxquels je ne comprends pas grand chose. Je me demandais pourquoi l'homme du chagrin d'amour me l'avait envoyé, à part pour se vanter de l'avoir écrit...
J'ai ouvert. Et j'ai vu, imprimé, en petits caractères, sur une des premières pages : "A Lectrice". Il me l'avait donc dédié, ce livre. J'en ai pleuré de bonheur, d'être là dans ce qui était tellement lui, son œuvre, ce dont il est le plus fier. C'était une belle surprise (il y a également, camouflée dans l'introduction, une expression qu'il utilisait pour me nommer tendrement, qui m'a tout autant touchée). Puis, quand nous en avons parlé, il a dit qu'il m'avait dédié ce livre en pensant que toute personne qui l'ouvrirait verrait que nous étions liés, et que cela serait éternellement ainsi, même bien après que nous aurons disparu de cette terre, quand les bibliothèques elles-mêmes auront disparu. C'était très romantique. Parfois, de passage dans une librairie, il le faisait commander, pour s'amuser, disait avec un clin d'œil à la vendeuse : c'est un super livre, dommage que vous ne l'ayez pas.
Le livre a été publié en poche, récemment, je ne sais pas si la dédicace y figure toujours. J'ai appris depuis que je n'étais pas la première femme objet d'une dédicace de cet auteur ; il y en avait eu une autre avant, à qui il déclarait sa flamme de façon plus explicite. Pour les livres suivants, il est devenu prudent, met désormais la dame du moment dans les remerciements - ça ne ferait pas très sérieux, pour la postérité, ce grand intellectuel qui papillonne de femme en femme et jure à chacune l'amour éternel en en-tête de ses livres...

Faire la lecture

Un soir, j'étais allée écouter mon analyste présenter et commenter deux livres de Lacan, Des noms-du-père et Le triomphe de la religion. Elle en avait lu quelques extraits. C'est ainsi que mon analyste m'avait fait la lecture. Une expérience inédite. J'avais l'impression qu'elle ne parlait que pour moi, alors qu'il devait y avoir cinquante personnes dans la salle surchauffée de la librairie et que j'étais tout au fond. Elle avait évoqué le propos de Lacan mais aussi son métier et la question plus vaste du désir de l'analyste. Elle avait lu notamment tout ou partie de ce passage :
"J'écoute. De ces vies que, depuis près de quatre septénaires, j'écoute donc s'avouer devant moi, je ne suis rien pour peser le mérite. Et l'une des fins du silence qui constitue la règle de mon écoute est justement de taire l'amour." (Discours aux catholiques, p. 17).
Au long de cette intervention de mon analyste, je l'avais perçue sous un jour différent : drôle, spontanée, laissant ses mots circuler au lieu de les peser un par un comme en séance. Cela m'avait fait bizarre, d'entendre son rire et quelques anecdotes personnelles.
J'adore, qu'on me fasse la lecture, c'est une autre façon de lire, qui passe par la voix d'autrui, on n'est plus seul avec le texte. J'adore surtout qu'on me fasse la lecture au lit. Une de mes plus belles photos d'enfance, que j'ai égarée je ne sais comment (j'en suis très triste), est justement une photo où ma mère lit une histoire à ses enfants, allongée avec nous dans le lit conjugal. Un homme dans le passé m'a souvent lu des passages de livres, au lit. La plupart du temps, c'était des théories compliquées auxquelles je ne comprenais goutte, j'aimais juste écouter et me laisser bercer. Parfois, je m'endormais, comme petite fille j'aimais m'endormir au milieu des conversations des adultes, rester là, au coeur de la vie, ne pas en perdre une miette même si le sommeil était toujours le plus fort.

mardi 13 novembre 2012

Lectures sur le divan

divan
J'ai parfois parlé lecture à des psychanalystes. Une fois, j'ai emprunté un livre repéré dans la bibliothèque de mon analyste : Une saison chez Lacan, de Pierre Rey. Je ne me souviens guère du contenu, si ce n'est que l'auteur semblait garder de son passage sur le divan un souvenir très positif, ainsi qu'une admiration sans borne pour Lacan... tout en ne racontant pratiquement rien de la traversée analytique. Dans le genre récit de cure, Les mots pour le dire, de Marie Cardinal, est bien plus beau et expressif.
Ce dont je me souviens en revanche, c'est d'avoir réfléchi à ce que pouvait signifier l'emprunt d'un livre à son analyste. C'est une transgression. Avoir entre ses mains, chez soi, un objet lui appartenant, crée une intimité soudaine. On sort du cadre, ça brûle (j'avais d'ailleurs pris grand soin du livre et l'avais rendu peu de temps après). En même temps, il y a le désir de lire. Et sûrement aussi celui de poser la question : "pourrais-je vous l'emprunter ?". Car cela casse l'asymétrie entre l'analyste, sujet supposé savoir, et l'analysant plus ou moins à sa merci. J'étais donc très satisfaite de montrer que moi aussi je m'intéressais à la psychanalyse et que je savais lire, de me placer en somme (presque) à égalité avec les spécialistes.
Par la suite, je me suis rendue compte que cette tentative infantile signait l'existence même de l'asymétrie : toute lectrice que j'étais, je restais sur le divan l'enfant terrifiée qui m'avait emmenée là-bas. Un peu plus adulte, je n'aurais pas eu à prouver que j'étais une lectrice ; la question de la démonstration ne se pose plus quand on sait qui on est.
Depuis, dans le quotidien, je perçois mieux que les grands démonstrateurs, ceux qui veulent à tout prix vous montrer qu'ils sont ceci ou cela, sont surtout des petits enfants terrifiés... et énervants...