lundi 26 novembre 2012

Rencontrer ceux qu'on a lus

Il m'est arrivé de rencontrer des auteurs que j'avais lus assidument. D'abord, Daniel Pennac, que je dévorais adolescente. Je lui avait raconté, à la librairie où il signait des ouvrages ce jour lointain de ma jeunesse étudiante, que quand j'avais en main un de ses livres, je ne m'endormais pas avant de l'avoir fini. Je cheminais vers le dénouement avec fièvre, incapable de m'arrêter, enfilant les chapitres, désireuse de tout savoir du destin de Benjamin Malaussène. Pennac avait alors écrit comme dédicace : "comment veux-tu que je suive, lectrice, si tu lis en deux heures ce que j'écris en deux ans ?"
Quelques années plus tard, à un salon du livre,  j'ai dit en rigolant à Tonino Benacquista que c'était l'amour qui m'avait fait le découvrir, car j'étais tombée sur La Maldonne des sleepings dans la bibliothèque de mon compagnon (hasard de la vie, tous les polars ou presque que j'ai lus l'ont été par amour). Celui-là raconte l'histoire d'un contrôleur dans le train Paris-Venise. Benacquista nous avait chambrés sur le fait qu'on faisait de bien piètres amoureux, nous qui lisions Venise mais n'y n'étions jamais allés (mon compagnon avait précisé qu'il y était allé, mais pas avec moi... ). Benacquista a alors écrit sur la page de garde de La Maldonne : "Leur premier voyage à Venise, ensemble!".
 Mais cela fait longtemps que j'ai arrêté de fréquenter les salons du livre et autres signatures de libraires : pas l'âme d'un Chick poursuivant son Jean-Sol Partre. Devenir de plus en plus internaute a aussi contribué à changer mes habitudes. Je ne lis plus seulement les auteurs estampillés comme tels par un éditeur, me plonge dans des récits et autres opinions autopubliés sur le web. C'est comme ça que je suis arrivée sur une île et m'y suis installée comme lectrice, avant d'ouvrir mon propre salon où l'on cause. Cette semaine donc, ce sera différent. Je rencontrerai quelqu'un que je lis mais avec qui il y a des échanges réguliers, on se connaît, on tisse quelque chose, qui passera pour un moment de l'écrit à l'oral.
La nuit dernière, j'ai rêvé que je le cherchais partout dans sa ville et que je ne le trouvais pas, je m'étais perdue... J'en étais réduite à repartir bredouille, après avoir été chassée du seul refuge possible dans la ville, une sorte de campement de fortune, muni de lits de camps militaires. Métaphore du fait qu'on  ne retrouve peut-être jamais tout à fait ceux qu'on a lus...

samedi 24 novembre 2012

Lire quelqu'un

Ce besoin, toujours, de tout comprendre... Il m'arrive d'avoir l'impression de lire même les gens que je rencontre. Je les regarde, je les écoute, je m'en imprègne, et comme ça je déchiffre qui ils sont, ou plutôt je projette qui je crois qu'ils sont. Parfois, je décode ce que je crois qu'ils sont comme une proximité avec ce que je suis. Ca vient je ne sais d'où, ni pourquoi.
 
J'aimerais savoir lire les lignes de la main. Etre une gitane qui inspire respect et crainte aux passants, faire cliqueter mes bracelets et tourner ma jupe à volants, leur dire : "hey monsieur, viens voir, je sais ton avenir, laisse moi te dire"... avec un sourire un peu menaçant. Demander la pièce et regarder dans la main gauche du monsieur, savoir s'il va mourir bientôt, s'il sera riche, s'il se mariera et aura une descendance. Pouvoir consoler la jeune fille en lui disant que son amoureux reviendra, ou qu'elle en trouvera un autre, bien mieux et  très vite, ou que la fortune l'attend, le bonheur aussi, demain, je le vois, ne pleure pas, mademoiselle ! Avoir ce pouvoir de connaître l'avenir, sentir les choses, ensuite choisir de  dire ou ne pas dire ce que j'ai lu, consoler, punir peut-être, jeter un sort, qui sait.

Ou bien, j'aimerais être une guérisseuse, soulager en levant les brulûres et autres douleurs, comme la grand-mère de mon père le faisait dans les fermes, autrefois. Je lirais dans de vieux grimoires pour élaborer des remèdes et améliorer mon appréhension des mystères, je serais docteure de l'invisible et des ténèbres. Je me rêve en sorcière. Je me suis déjà amusée à faire croire à des enfants que j'avais le pouvoir de faire changer les feux de signalisation de couleur ou que je pouvais faire apparaître et disparaître des objets. Ou bien, qu'eux et moi, dans le silence, on pouvait entendre ou apercevoir les lutins de la forêt... Alors, comme par magie, un enfant entendait ou voyait un lutin...

mercredi 21 novembre 2012

Courrier de l'au-delà

Parfois je lis quelques lignes qui ont l'air plein mais qui sont un grand vide. Courrier de l'au-delà, un fantôme reparaît. Le sol s'ouvre sous mes pieds, coeur qui palpite, peur au ventre, l'appel misérable aux amis, la galère quoi !
 Le fantôme, depuis l'au-delà, se souvient vaguement d'un amour ancien, lui écrit quelques lignes pour avoir des nouvelles. Ou pour autre chose, on ne saura jamais. Les lignes voyagent dans le cyber-espace, anodines et pourtant tellement puissantes que quand elles arrivent à leur destinataire, elles la brisent, comme autrefois. Une tempête, dévastatrice, sur la plage encombrée de ses pensées. Elle revit l'histoire. Revoit la rencontre, l'amour fou, les questions, qu'est-ce qu'on fait maintenant ? La séparation. La déception. Le chagrin.
Combien de temps le manque la prendra-t-il ainsi ? A force d'éléments déchaînés, de séances d'analyse et de discussions avec Minerva, elle a compris que le fantôme est une illusion (le manque lui, est vrai, mais n'a pas grand chose à voir avec le fantôme). Et que seule la dignité sauve de la tempête. Le silence, serrer les dents, attendre que ça passe. Ferme ta gueule, lectrice, arrête de te plaindre. Ce n'est qu'un malheureux fantôme qui passe, cela fait bien longtemps qu'il est mort, il ne ressuscitera pas. Le sol finit toujours par se refermer et l'engloutir.
Le calme, enfin. Souffler. Se dire : il ne m'a pas eue, encore pas cette fois. Il ne m'aura plus jamais. La vie va reprendre. Oublier l'au-delà. Etre dans le présent.

mardi 20 novembre 2012

Le sel de la vie

Mon amie Minerva m'a offert ce charmant petit livre. On n'est plus au chapitre de l'assaisonnement culinaire mais dans l'art de pimenter le quotidien. L'anthropologue François Héritier nous apprend que la vie, et particulièrement sa vie, n'est pas faite que d'activités cérébrales harassantes, qu'il y a bien d'autres choses à goûter, à apprécier et à jouir. Elle en dresse la liste avec drôlerie et minutie. Cela va de la contemplation des paysages aux bonheurs exaltants, en passant par de grands défis personnels comme passer le permis de conduire. Et cela, sur une petite centaine de pages, sous la forme d'une longue liste que chacun est libre de compléter.
 
Extrait :
 "...observer la démarche des passants et faire de la psychologie sauvage, attendre à la terrasse d'un café, se dire qu'il faudrait faire de la gymnastique, penser parfois à respirer profondément, mettre à plat un trombone, monter à la main une mayonnaise ou des oeufs en neige, découvrir un fruit exotique délicieux, se remémorer le patois de son enfance ou des proverbes ou des savoirs, utiliser des mots justes qui surprennent, boire quand on a très soif, n'avoir jamais honte d'être soi..." (p.28).

C'est un cadeau qui ressemble à Minerva, tout comme le disque qu'elle vient de mettre dans ma boîte aux lettres (un "clin d'oeil", a-t-elle glissé en passant). Minerva a à coeur de faire du bien. Elle est toute en empathie et en légèreté, n'étouffe jamais, accompagne doucement. Elle m'évoque la chanson d'Enzo Enzo, "juste quelqu'un de bien, quelqu'un de bien, le coeur à portée de main...". Et me rappelle souvent que l'essentiel n'est pas dans les combats, l'ambition ou le travail acharné. Il nous arrive de partager nos lectures, mais bien plus nos coups de coeur et nos amours, nos indignations et nos angoisses. Un jour elle m'a écrit, à propos de notre relation, qu'elle avait l'impression de traverser la vie à côté de quelqu'un qui la connaît. Je peux écrire la même chose, et que j'en suis heureuse. Quelle chance de l'avoir rencontrée, ce jour lointain d'été...