jeudi 25 mai 2017

L'amie prodigieuse

C'est le premier tome d'une trilogie italienne. Napolitaine. On est en Italie, dans les années 50 ou 60. C'est la galère économique, la mafia est un peu partout dans le quartier, et ça se bagarre beaucoup. Mais là n'est pas l'essentiel. L'histoire est surtout celle de la relation de Lila, l'amie et de Lenù, ou Elena, la narratrice. 

Lila, c'est la fille qui a tout pour elle, à part ses parents qui sont de sombres abrutis : elle est super intelligente, curieuse, effrontée, pleine de vie et d'originalité, avec un sens de la répartie sans pareil. De nos jours, on dirait qu'elle est populaire. Elle est sans y penser dans la supériorité. 

L'amie prodigieuse
Lenù, la narratrice, c'est celle qui est à côté, la discrète, la studieuse à l'école, celle qui a toujours besoin de se comparer. Mais elle est assez orgueilleuse aussi, alors elle suit Lila dans ses délires. C'est comme ça qu'elles deviennent amies, dès la petite enfance.

Le livre nous permet de les voir grandir, se rapprocher l'une de l'autre, s'éloigner, se rapprocher à nouveau... et prendre des chemins différents. Lila, à cause de ses parents, ne peut pas continuer ses études, alors elle travaille à la cordonnerie du père. Elle se passionne pour les chaussures, rêve de richesse, finira par se marier avec Stefano, le fils de l'épicier-mafieux Don Achille (désolée de spoiler). Lenù, on sent chez elle la future intello, un peu malgré elle puisqu'elle est de ce quartier où généralement, on ne fait pas d'études. Lenù, toute jeune, franchit les limites du quartier devenu trop petit, d'abord avec Lila, puis rapidement seule. On devine qu'elle finira par mépriser, ou du moins regarder avec distance, tous ces gens de son enfance. 

J'ai trouvé le style enlevé, il y a des phrases formidables comme par exemple, à propos de l'adolescence : "cette année-là, j'eus l'impression de me dilater comme une pâte à pizza. Je devins de plus en plus ronde - ma poitrine, mes cuisses, mes fesses." (p. 140). 

Ou bien, concernant le silence épistolaire de l'amie : "C'était une vieille crainte, une crainte qui ne m'était jamais passée : la peur qu'en ratant des fragments de sa vie, la mienne ne perde en intensité et en importance. Et le fait qu'elle ne me réponde pas accentuait mon inquiétude. Si je m'efforçais dans mes lettres de lui communiquer ma joie d'être à Ischia, mon flot de paroles et son silence me semblaient démontrer que, si ma vie était splendide, elle était aussi pauvre en événements, au point que j'avais le temps de lui écrire tous les jours, tandis que sa vie était sombre mais mouvementée." (p. 271).  

Ou encore, sur l'arrogance : "Signe que Lila avait peut-être raison : les gens de cette espèce il faut les combattre en s'inventant une vie supérieure, telle qu'ils ne sont même pas capables de l'imaginer". 

C'est un livre à la fois très ancré, très napolitain, et en même temps universel comme l'amitié est universelle, fait du bien et fait du mal. Chouette livre. Je lirai peut-être la suite, histoire de prendre des nouvelles des deux filles.

mardi 21 mars 2017

Bourse aux livres


Tenir un stand dans une bourse aux livres, pour tenter de recycler le stock après avoir fait le vide, ça veut dire surtout rencontrer des gens.


Un échantillon de l'humanité, enfin un petit échantillon d'une certaine humanité, celle qui lit (encore), qui profite de son dimanche pluvieux pour faire autre chose que rester cloîtrée devant l'écran.


Dans mon échantillon de l'humanité du week-end de la bourse aux livres, il y avait :

la lectrice qui a reconnu ses goûts dans les miens. Elle a raconté sa découverte tardive de la lecture quand elle avait 17 ans (ajoutant : "je n'ai pas eu la chance de grandir dans une maison où il y avait des livres"). La passion dévorante des pages, encore maintenant. Le bénévolat à la bibliothèque du village, le bonheur de partager aujourd'hui. Comme une amie d'un instant.


la voisine de stand, super sympa évidemment, qui file des complexes avec ses livres en bien meilleur état que les miens et son look parfait. Et son sourire et son sens du contact. A la mi-journée elle avait presque tout liquidé. Bravo, la belle.


la maman éducatrice attentive, qui ne voulait que des livres de l'école des loisirs, sur recommandation de la maîtresse. Du coup, j'ai étalé comme de la confiture ma culture de la littérature jeunesse et préparé une sélection pour l'impressionner. Cela a bien servi. A cette dame, et ensuite au jeune papa stressé et pressé, cadre dynamique en loden, genre efficace. Passé rapidement, juste le temps d'attraper un lot et de lâcher, en une phrase, qu'il avait grandi avec ces albums-là. Alors, donc, ce grand gaillard sérieux à lunettes, c'était un ancien petit garçon qui aimait qu'on lui raconte des histoires... Fugacement, j'ai imaginé l'enfant, assis, concentré, un livre sur les genoux. Une seconde d'attendrissement, et l'oiseau en loden s'était envolé.

le père pas convaincu que 2 euros, ça valait deux bouquins. La petite faisait une drôle de tête toute déçue, si seulement le père s'était donné la peine de discuter le prix, mais non  il est parti en tirant sa gamine par la main...

les mamies : la mamie qui cherchait pour sa petite-fille des livres sur les chevaux, celle qui ne voulait que des Babar, la troisième qui s'intéressait aux Caroline mais manque de bol, le plus jeune possède déjà celui que je vends. Finalement, la seule qui m'ait acheté quelque chose, c'était l'amie d'une passionnée d'aquarelle (ouf, je possédais un ouvrage sur le sujet).


les enfants : je me souviens surtout de celle qui voulait absolument Je suis une princesse, le livre avec les paillettes, trouvé en fouillant au fond du bac... Elle a couru chercher ses parents.  Plaisir de lui mettre dans les mains, d'ajouter : "ça se voit que tu es une princesse, toi". Grands sourires de princesse.


le collectionneur de BD qui, pendant de longues minutes, a regardé un par un chaque album, en tournant les pages une à une. L'impression de passer un examen. Quand il a relevé la tête et m'a demandé de son air sévère : "alors, vous les faites combien ?", j'étais prête à lui donner, les bouquins.

 Le pire, ca a été le dernier client. Le facho de service. En 5 minutes, j'ai eu droit à la justification de la colonisation et de l'apartheid, la dénonciation de la pensée unique, la question de savoir si telle auteure était "israélite". Ben non elle est indienne de haute caste, patate, c'est écrit en quatrième de couv', mais qu'est-ce qu'on en a à foutre, franchement ? Je lui demande pour qui il vote, à cet abruti ? Ben non hein,  c'est pas la peine, je sais déjà... Les livres, ça ne vaccine pas de tout.

mercredi 22 février 2017

Lecteur

Qu'est-ce que j'aimerais avoir un lecteur, un vrai, un qui lit vraiment. Qui se souvient.

Juste une fois, émouvoir quelqu'un avec ce que j'écris.


samedi 18 février 2017

Charlotte

Je n'aurais pas lu ce livre si une Charlotte adorée ne me l'avait offert. Je ne suis pas très attirée par le style très, très simple (voire simpliste) de David Foenkinos. Son côté : je fais une phrase sujet - verbe - complément et ensuite pif pouf retour ligne ou ligne blanche, je trouve que c'est assez foutage de gueule. S'il était un de mes étudiants, j'écrirais : "L'orthographe est correcte, mais il faut travailler l'expression !".

Donc, ça se lit très vite, ce qui peut apparaître comme un avantage par les temps qui courent. C'est peut-être pour cela que l'auteur a obtenu le Goncourt des lycéens, ainsi qu'il est bien précisé sur la couverture (il a aussi obtenu le Renaudot, on se demande pourquoi).

L'intérêt du livre réside dans la découverte de Charlotte Salomon, une peintre disparue à Auschwitz dans sa prime jeunesse, gazée comme tant d'autres, parce que juive. Charlotte a eu une drôle de vie : née en Allemagne dans une famille de la bourgeoisie privilégiée, avec un père chirurgien remarié à une cantatrice après le décès d'une mère dépressive issue d'une longue lignée de dépressifs, elle bouillonne de créativité. Tellement que tout le long du bouquin, on pense qu'elle va s'en sortir. Elle parvient à fuir l'Allemagne nazie et à s'arracher à l'homme aimé pour sauver sa peau. S'installe à Nice, peint, écrit, mélange écrit et peinture, et survit. Résiste à un grand-père cruel. Rencontre même un nouvel amour. Et puis... 

Charlotte, un prénom et deux filles que j'adore. Et un livre que je n'ai pas tellement aimé. C'est ainsi.