Hemda
Hemda, c'est la femme qui a subi, toute sa vie. Elle a subi l'éducation stricte du père, l'absence de la mère, le mari, elle a subi la vie au Kibboutz et quand elle a choisi de vivre en ville, elle n'a pas aimé. Pourtant elle garde comme une petite lueur, une lumière de vie.
Dina
Dina, c'est la femme révoltée, éprise d'absolu. Elle a souffert dans sa chair de n'être pas aimée de sa mère, a vomi ses tripes dans les crises de boulimie, continue à se sentir rejetée, à reprocher à Hemda d'avoir été une mère horrible. Et elle a choisi, choisi un homme qu'elle aimait plutôt qu'un homme gentil, une fille qu'elle adore, un désir enfant contre le monde entier. Elle s'est aussi fâchée contre l'injustice si répandue à l'université, a abandonné sa thèse et perdu sa meilleure amie. Elle vit dans la frustration professionnelle. Elle a 46 ans, doit apprendre à laisser partir sa fille.
Avner
J'ai surtout aimé Avner, Avni pour les intimes, pour les jolies filles stagiaires de son cabinet d'avocat. Avner aussi vit dans la frustration professionnelle, celle du défenseur des droits humains qui se heurte à un Etat tyrannique. A la maison, il se laisse martyriser par sa femme-ogresse, l'imposante Salomé. Jusqu'au jour où, rendant visite à sa mère à l'hôpital, il tombe sur un couple qui lui montre autre chose, le transforme, le fait sortir de lui-même.
Il est difficile d'isoler des passages de citations car tout se tient dans le roman. Les phrases sont longues, articulées, le style intimiste. On entend les voix intérieures des personnages, c'est un roman de voix et de voyages intérieurs.
Avner, alors :
"Elle chuchote, ne t'inquiète pas, tu seras bientôt soulagé, et Avner hoche la tête, reconnaissant, comme si cette promesse réconfortante lui était adressée, tu seras bientôt soulagé, ne t'inquiète pas, mais comment ne s'inquiéterait-il pas s'il n'entrevoit pas d'issue, voilà des années que les mêmes questions le taraudent, qu'est-ce que je fais avec cette femme, qu'est-ce que je fais avec ce travail, qu'est-ce que je fais avec ce pays ? Pendant longtemps il avait pensé être utile à quelque chose en accomplissant sa mission, mais depuis peu il a l'impression d'avoir perdu une certaine légitimité, celle-là même qui, sans jamais avoir été démontrée, offrait au moins une explication simple, du genre, à démarche erronée catastrophe annoncée et à démarche juste salut assuré, avec le temps, il sent que des forces souterraines triomphent de la logique qui guidait ses pas, il ne peut s'empêcher de penser que s'il avait eu sa chance il l'avait loupée, mais peut-être n'avait-il jamais eu sa chance.
Je suis piégé, aimerait-il raconter à la femme en chemisier de satin rouge, j'ai été piégé très jeune et n'ai pas réussi à me libérer. J'avais à peine vingt-trois ans que j'épousais ma première petite amie, aujourd'hui encore je ne comprends pas comment je me suis laissé prendre. Pendant des années, je me suis réfugié dans le travail mais je n'ai plus d'énergie, j'ai perdu espoir, tandis que le voisin, lui, en a encore, de l'espoir, du moins d'après ce qu'il répond à sa femme d'une voix grave et agréable, oui je sais, et pour un instant sa certitude, leur certitude à tous les deux, semble pouvoir vaincre les avis des médecins, les pronostics et les statistiques, je sais qu'il n'y a aucune raison de s'inquiéter, je sais que bientôt je serai soulagé."
Zeruya Shalev, Ce qui reste de nos vies, Folio, 50-51