vendredi 18 décembre 2015

Lire des recettes

livres de recettesJe l'ai déjà écrit ici, j'adore lire des recettes. Et les sites de recettes. Et les blogs de cuisine. Je regarde avec plaisir ma collection de livres, sur l'étagère. Les photos de plats. Les émissions télé culinaires.

Manger par procuration.

La période de Noël, c'est la période de Michka, des amis qui passent, je me mets aux fourneaux. La semaine dernière, en dessert, en plus du fondant au chocolat habituel, j'ai hésité à proposer un truc léger, semi-diétiétique : salade d'oranges ou coulis de fruits rouges. Mais j'ai renoncé, justement parce que c'est la période de Noël, de Michka, du sentiment qui dégouline, du lourd quoi.

Alors j'ai fait dégouliner le sentiment, avec une crème anglaise bien sucrée, bien réconfortante, la même que celle que ma mère confectionnait, quand j'étais petite, pour accompagner les oeufs à la neige au caramel. Parfois, elle la ratait, le mélange bouillait quand il ne faut pas qu'il bout, elle devait rattraper la crème triée en la secouant dans une bouteille, râlait à moitié, rigolait beaucoup (comme je l'admire d'avoir continué tout ça, sa cuisine, ses plats du dimanche, la bonne humeur, malgré les enfants tout le temps dans ses jupes...).  

La crème anglaise était réussie, cette fois, même si j'avais préparé la bouteille au cas où. Une petite fille qui porte un prénom d'héroïne de la comtesse de Ségur en a bu la moitié à elle toute seule. Ca faisait longtemps que je n'avais pas vu une toute petite fille dans mon salon, tendre son bol, demander "encore" avec cet appétit, cette joie de l'enfant.

Pour ce week-end, je cherche encore l'alchimie du déjeuner du dimanche. J'ai consulté Marmiton, PetitChef, C'est moi qui l'ai fait, Elle à table... Ca ne vient pas. J'ai l'idée du plat, une recette inavouable de gratin au saumon. Pour le reste, on verra.

Je suis fatiguée de lire des recettes, je crois. Fatiguée de lire, tout court. Fatiguée de tout, en fait.

Ce qui me guide le mieux en cuisine, ce ne sont pas les recettes que je lis, c'est le souvenir... Dimanche, je ferai peut-être bien la bûche aux marrons de ma grand-mère, en dessert. Avec une crème anglaise, qui sait.


samedi 21 novembre 2015

La grande Sophie, Nos histoires

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C'est de la musique, pas de la lecture, cet album de La grande Sophie intitulé Nos histoires. Ce qui frappe, c'est d'abord la voix, grave et chaude. Qui accélère, qui traîne, on entend les changements de rythme associés à de chouettes arrangements, la guitare, le piano.

Les mots sont jolis aussi. C'est comme si elle racontait mes petites histoires, cette Grande Sophie. Je l'écoute, je l'écoute, je ferme les yeux, pars loin, ailleurs. Je reviens. 

C'est comme si elle racontait notre petite histoire, et celle de tant d'autres qui se sont croisés un jour. Nos histoires.

Elles étaient belles les promesses
Qui brillaient au bout des doigts
Sur le papier avec adresse
Les rendez-vous, on se reverra

Elles étaient comme des caresses
J'imaginais le grain de ta voix
Et puis un jour, c'est la paresse
Qui nous retient je ne sais quoi

On ne s'est jamais revu, vu, vu le temps qui passe
Les années qui défilent et je regarde en face
Les portes claquent sur mes joues
Les questions à devenir fou
Vu, vu, vu le temps qui presse
Les traces sur mes joues laissent des maladresses
Pourquoi on s'est dit tu ?
De toute façon on ne se reverra plus

 https://www.youtube.com/watch?v=GippWyleskU

jeudi 12 novembre 2015

Le livre de ma mère

Albert Cohen, Le livre de ma mère
Au moment où ma mère chancelle et où je suis impuissante à la retenir, je pense au Livre de ma mère d'Albert Cohen. Ces phrases du début, qui m'ont tant accompagnée autrefois,  que j'ai copiées et recopiées, qui résument peut-être toute ma vie : "chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte. Ce n'est pas une raison pour ne pas se consoler, ce soir, dans les bruits finissants de la rue, se consoler, ce soir, avec des mots".

La déclaration d'amour et de regret de Cohen à sa mère tant aimée, mise à distance parfois parce que comme toutes les mères, c'est à la fois la plus tendre des chattes et  la plus insatiable des mantes religieuses, cette déclaration d'amour et de regret m'avait touchée, quand j'avais peut-être 18 ans. Mais je ne me rendais pas compte, je ne pensais qu'à celui qui m'avait recommandé ce livre et qui avait approximativement l'âge que j'ai aujourd'hui. Et qui avait perdu sa mère. Aujourd'hui, je comprends mieux, davantage, plus profondément. Et je sais que je comprendrai encore mieux un jour, après le grand départ, quand il ne restera plus rien, quand je ne pourrai plus lire ce livre ou n'en aurai plus besoin.

"O mon temps passé, ma petite enfance, ô chambrette, coussins brodés de petits chats rassurants, vertueuses chromos, conforts et confitures, tisanes, pâtes pectorales, arnica, papillon du gaz dans la cuisine, sirop d'orgeat, antiques dentelles, odeurs, naphtalines, veilleuses de porcelaine, petits baisers du soir, baisers de Maman qui me disait, après avoir bordé mon lit, que maintenant j'allais faire mon petit voyage dans la lune avec mon mon ami un écureuil. O mon enfance, gelées de coings, bougies roses, journaux illustrés du jeudi, ours en peluche, convalescences chéries, anniversaires, lettres du Nouvel An sur du papier à dentelures, dindes de Noël, fables de la Fontaine idiotement récitées debout sur la table, bonbons à fleurettes, attentes des vacances, cerceaux, diabolos, petites mains sales, genoux écorchés et j'arrachais la croûte toujours trop tôt, balançoires des foires, cirque Alexandre auquel elle me menait une fois par an et auquel je pensais des mois à l'avance, cahiers neufs de la rentrée, sac d'école en faux léopard, plumiers japonais, plumiers à plusieurs étages, plumes sergent-major, plumes baïonnette de Blanzy Poure,  goûters de pain et de chocolat, noyaux d'abricots thésaurisés, boîtes à herboriser, billes d'agate, chansons de Maman, leçons qu'elle me faisait repasser le matin,  heures passées à la regarder cuisiner avec importance, enfance, petites paix, petits bonheurs, gâteaux de Maman, sourires de Maman, ô tout ce que je n'aurai plus, ô charmes, ô sons morts du passé, fumées enfuies et dissoutes saisons. Les rives s'éloignent. Ma mort approche".
 

Albert Cohen, Le livre de ma mère, Folio, p. 55-56

 
"Avec les plus aimés, amis, filles et femmes aimantes, il me faut un peu paraître, dissimuler un peu. Avec ma mère, je n'avais qu'à être ce que j'étais, avec mes angoisses, mes pauvres faiblesses, mes misères du corps et de l'âme. Elle ne n'aimait pas moins. Amour de ma mère, à nul autre pareil".
 

Albert Cohen, Le livre de ma mère, Folio, p. 105