Je pourrais écrire un roman, en cinq courts chapitres.
L'histoire d'une rencontre entre un type qui écrit dans son coin et une lectrice de hasard.
Premier chapitre, Rencontre
Soleil de juin, je portais un chemisier blanc et un
pantalon noir, ma tenue de concert avant la représentation que je donnerai ce
soir. Je l'attendais à cette terrasse de
café. Quand son regard a croisé le mien, mon cœur a sursauté ;
ensuite je suis restée en difficulté pour parler. Je souriais
et écoutais, faute de mieux. C'est qu'il est différent de ce que j'imaginais. Fin et drôle. Et la jeunesse de la voix. Ca ressemblait à un rêve
dont je ne voulais pas me réveiller, un rêve de découverte. Je pensais à tout ce qu'il avait écrit, que j'avais tellement aimé. Je pensais qu'enfin je le rencontrais et ça me rendait heureuse.
En même temps, j'avais à faire, cette représentation me préoccupait. Il y assistait et presque tout le temps je l'ai regardé en coin. Plus tard, des proches se sont inquiétés, ils me trouvaient bizarre, ailleurs, comment j'étais arrivée là et pourquoi j'étais incapable de répondre à telle question. Rien de grave pourtant, juste un peu perdue dans mes pensées oniriques, avec sa voix dans mon oreille. Et voilà, maintenant rentrée chez moi, je rêve encore. Soupirs.
En même temps, j'avais à faire, cette représentation me préoccupait. Il y assistait et presque tout le temps je l'ai regardé en coin. Plus tard, des proches se sont inquiétés, ils me trouvaient bizarre, ailleurs, comment j'étais arrivée là et pourquoi j'étais incapable de répondre à telle question. Rien de grave pourtant, juste un peu perdue dans mes pensées oniriques, avec sa voix dans mon oreille. Et voilà, maintenant rentrée chez moi, je rêve encore. Soupirs.
Deuxième chapitre, Restaurant japonais
Quelques mois se sont écoulés. Une autre soirée face à face, devant des sushis, à me heurter au fait que j'aurai beau faire
et dire, je ne serai jamais dans son film intime. A la
lisière, c'est ma place. Que demander de plus, à quoi bon hein, à part pour se faire incendier, traiter de jalouse, d'inflammable ou je ne sais quoi.
Ce qui m'anime dégouline et l'écoeure, cette gentillesse, ce pathos, ça pue et ça lui colle aux basques en plus de sentir le brûlé. Une résine dont il cherche à se débarrasser.
Justement, je me souviens que c'était vers décembre
et que j'étais habillée entièrement en vert sapin. Il portait une veste de cuir. J'étais si fatiguée, j'aurais aimé m'endormir sur son
épaule au café. Nous avons parlé,
longtemps, trop longtemps et à la fois pas assez. Après quoi, ça a mal tourné, il a allumé la lance à incendie et j'en ai pris plein la gueule. Soupirs et
pleurs. Fâcherie. Puis dissipation de la fâcherie.
Troisième chapitre, Satyajit Ray
Au fil du temps, le feu s'est éteint, remplacé par la cendre, car le type qui écrit est le champion toutes catégories de la bonne distance. Quand le
hasard nous réunit cette fois encore, je lui assigne la même place que celle
qu'il m'assigne, celle du voyageur de passage. Je ne cherche plus à l'émouvoir, m'habille juste un peu pour sortir dans cet endroit où j'avais envie d'aller mais où nous ne nous rendrons finalement pas, mets une robe noire et mes
chaussures à paillettes. Il porte des chaussettes à rayures. Ce
soir là, on passe un bon moment. On marche et on dîne et on regarde un film. J'erre dans un
décor qui n'est pas le mien, dans une vie tellement autre que la mienne. Ses livres me sont étrangers, ses préoccupations aussi, je ne sais d'où vient cette sensation de proximité. Les soupirs, cette fois, c'est à cause du film, les
personnages, la justesse de Satyajit Ray. A la fin, il se débarrasse de moi
avec délicatesse. Le lendemain, j'ouvre les yeux, je pense :
c'était bien.
Quatrième chapitre, Le parc
Ce jour-là, nous avons pris le soleil. L'ombre aussi. Le soleil surtout.
J'avais l'impression de retrouver un vieil ami, de lui raconter mes histoires et
d'écouter les siennes. La magie du début manquait peut-être, elle s'était transformée en apaisement, on ne peut pas tout avoir.
J'ai pensé que finalement je le voyais tel qu'il est
vraiment, et paradoxalement qu'il resterait à jamais un mystère. Je lui ai souri.
N'ai pas pris ses mains dans les miennes, cela ne lui ressemble pas.
Il était fatigué.
Peut-être retrouvait-il une amie à qui il racontait ses histoires et
dont il écoutait les siennes. Je me demandais s'il s'ennuyait avec moi,
qu'est-ce qu'il faisait là finalement, hein, celui qui écrit dans son coin, celui qui n'attend rien de la
vie ni des autres ? Toujours cette crainte qu'il ne soit venu que
par politesse.
Je l'ai trouvé un peu
amaigri, dans sa chemise à carreaux, me suis demandée s'il me trouvait
grossie, ridée, fanée. Nous nous regardions vieillir, à travers ces rencontres
sporadiques habitées et entrecoupées de récits. Peut-être étions-nous déjà un
peu morts. Peut-être nous étions-nous rencontrés au soleil du temps qui passe
pour nous regarder et nous écouter vieillir et puis mourir. Au moment de partir, lui
faisant un dernier signe, c'est ce que j'ai pensé : que quand je le
reverrai, je serai un peu plus vieille et lui aussi, que c'était ainsi. Il
faisait encore beau. La nostalgie déjà m'assaillait, je l'entendais approcher
doucement du fond de mon cerveau même si la joie ne m'avait pas quittée. Une
petite larme a coulé sur ma joue droite, je l'ai essuyée dans un
sourire.
Cinquième chapitre, Il n'y aura pas de prochaine fois
Cela fait quelques temps que j'ai renoncé à ces rencontres, avec tristesse. La dernière fois, l'hésitation à y aller m'a montré le chemin de la fin. C'était comme une peine qui me tenaillait, me poussait à laisser ces épisodes derrière moi, car il n'en sortirait rien de bon, que de l'indifférence muette et du faux-semblant. Il n'avait plus rien à me dire et son silence résonnait tellement fort qu'il me faisait mal aux oreilles. J'en avais marre, d'être le bon public gentiment consentant, la résine collée aux basques du type qui préfère rester dans son coin.
Il valait mieux partir alors. J'ai encore écrit quelques mots, versé quelques larmes. Et puis hop, c'était fini, ou plutôt non, ça n'en finit pas de finir car je suis comme ça, je ne sais pas finir.
P.S: l'illustration vient du blog d'une femme qui écrit vraiment, ici