Je connais peu d'environnements aussi apaisants et propices à la réflexion que la Bibliothèque Nationale de France. La promenade pour s'y rendre traverse le beau jardin Yitzhak Rabin, puis la Seine. A l'arrivée, l'air est frais, climatisé. Il faut s'armer de patience, arpenter de longs couloirs quasi-déserts avant d'atteindre les salles de lecture. La nature presque sauvage du patio se laisse regarder par les baies vitrées, mais impossible d'y accéder, le travail ici ne se conçoit qu'en milieu clos.
Les sons sont étouffés dans l'épaisse moquette, si bien qu'on est presque surpris d'entendre des voix à proximité des rares lieux où la conversation est autorisée. Vérification de la carte de lecteur, chuchotement de rigueur, un peu comme au couvent. Une salle immense, de grandes tables éclairées, il est temps de s'installer, dans le silence. Si besoin, un employé viendra aimablement rappeler les règles de bonne conduite à ceux qui ne les respectent pas.
Je me sens comme un moine dans un monastère, étudiant laborieusement, à l'écart du monde, dans le respect des règles, avec la marche lente et répétée comme compagne. Car à part lire et écrire, tout en ce lieu nécessite des pas : marcher longtemps pour obtenir un café, marcher longtemps pour aller aux toilettes, marcher longtemps pour revenir au vestiaire chercher un mouchoir, marcher encore pour rejoindre sa place.
La bibliothèque exige des pas lents et des gestes mesurés, de la délicatesse, de la détermination, de la concentration. Entre les murs épais des salles d'études, on a la sensation physique de sa mission de conservation du patrimoine, de sa grandeur et de sa solidité. Les documents sont bien classés et bien protégés, nous aussi, on voudrait camper à l'abri de ses murs, éternellement hébergé dans l'antre de la bête. Se laisser écraser de cette puissance tutélaire, disparaître. La mère-bibliothèque invincible enveloppe et avale ses enfants-lecteurs. S'agit-il de les dévorer, finira-t-elle par les régurgiter, la journée terminée ? A la fin, on ne sait plus si on est au cœur du plus merveilleux endroit du monde, ou dans le système totalitaire le plus abouti. Le dilemme de la fusion maternelle, au bout du compte.