vendredi 12 septembre 2014

Merci pour ce moment

Merci pour ce moment
On m'a envoyé le fichier en pdf alors j'ai lu. Comment ne pas. Je m'intéresse à la politique depuis toujours. Et aux faits-divers. Et à l'infidélité. Je ne vais pas me justifier d'avoir lu la prose de Valérie Trierweiler, dont des dizaines de milliers d'exemplaires sont déjà vendus. Enfin si, car j'avais clamé avant de céder à la tentation du pdf que je ne lirais pas, que je ne cautionnais pas ces déballages d'intimité, quelle obscénité, quelle indignité dans un contexte aussi difficile en France (et toi, que fais-tu ma fille sur ce blog, sous couvert d'anonymat, hein ?).

J'ai lu quelques heures, en survolant car c'est mal écrit et que l'amertume à haute dose fatigue les yeux et le coeur, mais quelques heures, j'ai lu et ai été plus touchée que je n'aurais cru. C'est le cri de désespoir d'une femme brisée, trahie par celui qu'elle aime. Comme tant d'autres parmi lesquels je m'inclus, on dirait qu'elle aimerait que sa vie soit un roman. Un roman Harlequin. J'hésite entre la considérer comme complètement naïve ou assez retorse pour jouer le rôle de l'innocente victime sacrifiée à la République ; je préfère opter pour la première hypothèse.

Valérie se raconte une belle histoire de prince charmant. Elle est mariée, quadra ou presque, trois enfants, un travail, une maison. Le prince charmant, un homme politique de premier plan puis de seconde zone, la connaît depuis longtemps puisqu'elle suit ses déplacements et autres faits d'armes. Ils se séduisent platoniquement mais cela reste innocent pendant des années. Puis, un jour en Corrèze, peut-être à son initiative à lui, cela devient de l'amour. C'est un jeudi, un baiser à Tulle.
Valérie alors construit sa belle histoire : elle a rencontré l'homme de sa vie. Elle divorce, lui aussi, ils vivent ensemble, il est disponible, dans une sorte de traversée du désert médiatico-politique. Un moment de faiblesse temporaire où il se laisse aller à l'amour, à la distraction, à faire place à autrui dans son cœur et sa vie. C'est le bonheur, les rires, la légèreté, la plage, les promenades.

Quelques rebondissements et campagnes électorales plus tard, Valérie se rendra compte que le prince n'était peut-être pas si charmant ; revenu aux affaires et même élu Président, il se mue en monstre froid, fuyant l'échange direct, préférant l'ambiguïté et le double langage. En fait, il redevient ce qu'il n'a jamais cessé d'être, un ego politique tout à son dessein (et son destin) présidentiel. Pas loin d'être menteur comme un arracheur de dents, ce qui ne manque pas de sel pour qui qualifie les pauvres de "sans dents" (p. 96). Elle somatise, sent sa place petit à petit détricotée par mille menaces qui vont de l'ex-femme au conseiller en passant par le directeur de cabinet . Extrait, p. 62 :

"Je n'ai assisté qu'à une seule réunion avec des conseillers "de l'autre côté". Il s'agissait de préparer la journée des Femmes du 8 mars. Mes idées ont été jugées excellentes, aucune n'a été retenue."
Valérie n'a pas les ressources internes ni la modestie d'accepter la situation et de réaliser qu'elle n'est ni coupable, ni autonome de ses mouvements dans cette affaire. Qu'elle n'avait la première place que du fait de circonstances antérieures. Au contraire, dans "l'aile Madame" de l'Elysée, ses failles narcissiques un moment comblées par le prince charmant se rouvrent telles des plaies béantes. Elle apparaît jalouse, peu sûre d'elle, se laisse aller à quelques petites crises assez typiques de l'hystérie (je me suis reconnue, là...). La voilà vilipendée et caricaturée par la presse. L'ex-prince devenu Président ne fait rien pour que cela change évidemment, il est tout à son destin (et à son dessein). Bientôt, il la quittera, lui qui il y a quelques jours à peine niait toute relation avec la jolie actrice.

C'est dur de se réveiller du rêve. On a tous ressenti cela un jour, la désillusion ultime de la dislocation de l'amour, de la fusion qu'on croyait atteinte. C'est la principale charge émotionnelle du livre.  La dureté de la séparation, d'être désaimé-e, délaissé-e pour un-e autre. Extrait, p.14 :
"François et moi nous retrouvons l’un en face de l’autre, chacun assis sur un canapé différent. Ils ont beau être fleuris, l’ambiance est pesante, la distance est déjà palpable. C’est alors qu’il me parle de séparation. Je ne comprends pas la logique des choses. C’est lui qui est pris sur le fait et c’est moi qui paie les pots cassés, mais c’est ainsi. Sa décision ne semble pas encore irrévocable, mais je n’ai pas la force d’argumenter. Il tente de se montrer le moins dur possible mais la sentence est terrible. Je ne réalise pas vraiment, je suis comme anesthésiée.Nous rejoignons la salle à manger pour le dîner. Avec la présence des maîtres d’hôtel, la conversation devient presque banale. Nous allons nous coucher, chacun dans une chambre différente. Cela ne nous était jamais arrivé. Cette fois, il veut marquer la fin. Ma nuit est agitée de cauchemars et d’hallucinations, sous l’effet des médicaments. Je me réveille en sursaut, convaincue que quelqu’un est dans la pièce. Je pense à François ouvrant ses bras à une autre femme. Qui a fait le premier pas ? Que lui a-t-il dit de nous ? Que cherchait-il chez elle que je ne peux pas lui donner ? Les images me blessent, je les repousse, mais elles remontent, encore et encore. Elles m’étouffent et je m’étrangle dans mes sanglots."
Après, évidemment, arrivent les regrets. Valérie se rend compte qu'il avait peut-être un peu honte d'elle, une sorte de mépris social, qu'il lui reproche de façon commode à elle sa popularité en chute à lui. C'est vrai que politiquement, Trierweiler, ça n'a jamais été très payant. Surtout après l'affaire du tweet de soutien au rival de Ségolène, fruit du malentendu qui habite la relation et le livre (elle pensait le couple central, lui faisait de la politique).
Valérie avait oublié que l'obsessionnel compulsif ne se donne jamais entièrement, qu'il fait même assez peu cas de l'autre en situation normale, c'est-à-dire quand il est en pleine possession de ses moyens. Et que ses obsessions, ses objets d'amour, sont changeants et même, largement accessoires. Que l'hystérique n'y peut rien, si ce n'est plus elle l'objet d'amour ou d'attention. Elle ne fait qu'éloigner davantage l'obsessionnel, à chaque crise de manque (je devrais m'en souvenir, tiens, apprend-on jamais des erreurs des autres, et même des siennes ?).  Elle croit qu'en hurlant, en exposant son manque, en faisant une tentative de suicide, elle obtiendra de quoi rafistoler la faille narcissique qui avait été tellement bien comblée quand elle était objet d'amour. Mais non, absolument pas, c'est le contraire : l'obsessionnel est effrayé par la faille, tellement occupé à camoufler les siennes, à emmurer ses émotions, il fuit, de plus en plus loin, se renferme en lui-même ou se tourne vers de nouveaux objets d'amour ou d'attention.  Elle réalise qu'elle s'accrochait à une illusion qui a eu des conséquences majeures sur sa vie. Elle le regrette. Extrait, p. 57 :
"Je me sens coupable. Il y a neuf ans, j’ai sacrifié ma famille pour un homme qui s’est débarrassé de moi à la première occasion. Si j’avais su résister à cet amour, mes enfants auraient une jeunesse anonyme et protégée. J’étais folle amoureuse, me voici folle de rage. Personne ou presque n’imaginait François président de la République. Pas même moi. J’ai le sentiment qu’il m’a tout volé. Presque dix ans de ma vie. Je regagne l’autre rive, seule, épuisée par la traversée et recouverte de boue. Combien de temps me faudra-t-il pour ne plus me sentir salie par tous les qualificatifs dont on m’a affublée : putain, favorite, manipulatrice, hystérique et j’en passe ? J’ai le sentiment de ne pas avoir été défendue. Celui à qui j’avais tout donné n’a pas eu un mot, un geste pour apaiser cette folie. Au contraire, il l’a entretenue et m’a abandonnée."
Pourtant, au bout d'un moment, on en a un peu ras-le-bol de Cosette-Valérie au pays des méchants. On se dit : certes, elle venait d'un milieu pauvre, n'avait pas les codes et peut-être a-t-elle été abusée, mais à plus de 45 ans et en une vingtaine d'années à Paris Match, n'a-t-elle donc rien appris des coups bas et des stratégies des milieux politiques ? Était-elle à ce point aveuglée par l'amour ? N'a-t-elle donc aucune notion élémentaire de psychanalyse ? Son côté adolescente attardée me chagrine en même temps qu'il me la rend sympathique. Valérie l'idéaliste voudrait que le monde politique soit comme elle le souhaite, un monde où tout le monde est franc, honnête et transparent (Une société totalitaire ?). Où les médias sont comme des miroirs du réel. Mais le monde politique fonctionne autrement, dans une distorsion entre réel et représentation (médiatique) avec laquelle elle composerait mieux si elle se souvenait de ses cours de sciences sociales (DESS de communication politique à la Sorbonne) et avait un peu plus de maturité et d'intelligence des situations. Au lieu de jouer selon les règles ou de carrément s'éloigner de ce monde si inhospitalier, elle endosse le rôle de la victime consentante, enchaîne maladresses, prises de médicaments et malaises en tous genres. Et elle attend que le bourreau frappe et bien sûr il frappe et elle pleure. 
Puis, le style, l'absence de style, et son avarice sans cesse justifiée, je n'en pouvais plus, alors j'ai arrêté. J'avais envie de lui dire : vous devriez prendre rendez-vous chez un psy, chère Valérie (c'est également valable pour François). Par moments, vous me faites penser à Bénédicte Ombredanne (et à moi).


Quoi qu'il en soit, merci pour ce moment.

lundi 8 septembre 2014

Chagall

There's nothing like a Chagall painting to make me feel peaceful.



Marc Chagall, Above the City




This is "Above the city" (in which city,  Moscow ?)









Marc Chagall, the Dream








This is "The dream', in Washington D.C.




mercredi 3 septembre 2014

L'amour et les forêts

Eric Reinhardt, L'amour et les forêts
L'amour et les forêts, d'Eric Reinhardt, est un roman auquel il est facile de s'identifier. Cela se passe dans une ville que je fréquente, aux lieux et aux personnages familiers, le libraire, l'hôpital, l'autoroute même. Le romancier appelle l'héroïne "ma lectrice" ; la rencontre entre eux, d'abord épistolaire, s'opère à l'occasion d'une expression d'admiration. Ca aurait pu être moi, cette fille, en plus élégant. On fait à peu près le même métier. Et l'écrivain, ça aurait pu être quelqu'un que je connais, ils ont comme un vague air de ressemblance, sur la photo, un quelque chose dans les cheveux. Dans les premiers chapitres, je pensais à ça, surtout : comment une expression d'admiration mêlée à des confidences presque involontairement lâchées finit par devenir matière pour écrivain chevelu.

Mais le processus d'identification s'est arrêté là parce qu'elle me faisait pitié, la fille. Le roman me remue, l'héroïne me fait pitié.  L'écrivain aussi, à sa façon, qui se repaît des confidences de sa victime, dont il se fait un devoir de raconter l'histoire, tout en n'entreprenant rien pour l'aider concrètement. Est-ce qu'il vaut mieux que le mari qui la harcèle, ce n'est pas sûr. Bénédicte est aux prises avec des hommes faibles, lâches et méprisants, elle ne sait pas sa propre valeur ni sa liberté. Elle se laisse faire quand ils s'appuient sur elles pour survivre, quand ils la dévorent toute crue. Elle avait 20 ans, l'homme qu'elle aimait l'avait quittée. Elle s'est rabattue sur un autre, un abruti, une victime qui fait des victimes. Elle est sa victime. Il la poursuit, la possède, la claquemure, lui ôte toute joie. Elle est d'une exigence extrême, essaie d'être à la hauteur de ses attentes à lui, qui sont aussi ses attentes à elle, qui ne cessent de grandir tandis qu'ils vivent ensemble et que les enfants naissent. Au bout de 15 ans, exténuée, elle se tourne une nuit de lassitude vers Meetic. C'est un des excellents moments du livre, hilarant de connerie mâle, une jubilation. Sur Meetic, Benedicte fait enfin une belle rencontre. Belle rencontre qui donne encore lieu à quelques pages magnifiques, très romantiques, on se croirait dans un roman du XVIIIème siècle, chez un type de la forêt, merveilleux, délicat ; on espère pour elle, on compte sur le Prince charmant qui d'un baiser réveillera la princesse endormie. Extrait (p. 100) :

"Leur baiser dura longtemps.
Tant d'évidence dans l'entente instinctive de leurs bouches étonna Bénédicte Ombredanne, elle qu'aucun homme n'avait plus embrassée depuis de très nombreuses années (son mari n'utilisait jamais ses lèvres pour enchanter les siennes, exception faite des smacks qu'ils échangeaient quotidiennement, matin et soir, de pure routine, comme une carte magnétique qu'on passe sur une cellule optique pour entrer et sortir d'un bâtiment). Un chant d'oiseau lui parvenait, un peu de vent caressait son visage. Leur baiser fut vorace, tendre, lascif, sérieux, mélancolique et ambitieux - à l'égal d'une pensée en mouvement, une pensée qui s'accomplit brillamment jusqu'à sa conclusion victorieuse."

(L'image du smack de pure routine comme une carte magnétique qu'on passe sur une cellule optique est formidable, n'est-ce pas ?). Cependant, ce baiser, cet amour et ce bonheur qui réveillent Bénédicte ne changent rien, car Bénédicte est trop attachée à son malheur. Trop ancrée dedans, depuis trop longtemps. Elle se raconte des histoires pour tenir le coup, mais la vérité c'est qu'elle est devenue le malheur et qu'elle est bien incapable d'en sortir. Ce qu'on apprendra à la fin, comme il se doit, l'écrivain par la même occasion se dédouanant de toute responsabilité.  Evidemment, allons, il s'agit d'une fiction.

Je ne sais pas si j'ai aimé ce roman pour son réalisme psychologisant et sa dénonciation implicite du bovarysme contemporain, ou si je l'ai détesté, tellement il montrait une femme impuissante à s'échapper du piège qu'elle s'était construit, ses rêves romanesques, sa naïveté littéraire et son idéalisme confrontés à une certaine ineptie masculine. Un lapin pris dans les phares d'une voiture, comme il est dit p. 19, une expression qu'on avait également employée à mon sujet il y a quelques années (cela m'a fait drôle). Je me suis surprise 1000 fois à penser : je ne suis pas comme ça. Je sens la vie qui bat et je me fais plaisir dans mon jardin secret et jamais je ne me laisserai autant humilier. Pourquoi avoir besoin de le penser et se le dire, alors ? Ah, ça...

jeudi 14 août 2014

Télécospage

blackberry
Tout se téléscope, de bon matin, les lunettes à peine enfilées et le thé pas encore infusé. Une invitation à dîner, profiter que les enfants soient partis pour se faire une soirée entre adultes irresponsables. Chouette. Un coup de fil aux enfants justement, bien dormi bien mangé tout va bien bla bla bla. Un message Facebook de ma sœur pour  les emmener a la playa, toujours ses expressions qui me font sourire. Un mail de l'ami d'outre-mer à propos de l'idéologie du dire, du vite-dire et de la décharge par le dire. Comme il a raison, je ne manquerai pas de le lui dire.  Une offre d'achat d'aspirateur, une super occase ! à saisir, écrit mon compagnon. Ca dépend du poids de l'engin, je réponds, de toutes façons l'électroménager, au petit déjeuner, hein. J'aimerais plutôt un sms érotique, un bonjour plein de désir, de la tendresse, bordel. Soupir, faut pas rêver, ma fille.

C'est un autre sms qui me bouleverse. Un sms tragique. La mort d'un petit garçon, là-bas, loin, au bord de l'Océan, qui anéantit toute une famille et mon amie, lui répondre, trouver les mots, comment faire.

J'ai pas encore allumé l'ordinateur. Ni ouvert le journal. Ni la boîte aux lettres. Ni cet Homme des îles sur lequel je voulais écrire un billet. Juste lu mon téléphone et déjà le tragique et la simultanéité des événements me saisissent. 

Pas non plus attaqué ma tasse de thé. Au point où nous nous sommes, je vais plutôt me faire un café.

Qu'est-ce donc que cette étrange journée. Une journée particulière ? J'enfile mon tablier et je me mets à l'aspirateur et au balai en rêvassant à d'autres vies que la mienne, telle Sofia Loren autrefois.