mercredi 3 septembre 2014

L'amour et les forêts

Eric Reinhardt, L'amour et les forêts
L'amour et les forêts, d'Eric Reinhardt, est un roman auquel il est facile de s'identifier. Cela se passe dans une ville que je fréquente, aux lieux et aux personnages familiers, le libraire, l'hôpital, l'autoroute même. Le romancier appelle l'héroïne "ma lectrice" ; la rencontre entre eux, d'abord épistolaire, s'opère à l'occasion d'une expression d'admiration. Ca aurait pu être moi, cette fille, en plus élégant. On fait à peu près le même métier. Et l'écrivain, ça aurait pu être quelqu'un que je connais, ils ont comme un vague air de ressemblance, sur la photo, un quelque chose dans les cheveux. Dans les premiers chapitres, je pensais à ça, surtout : comment une expression d'admiration mêlée à des confidences presque involontairement lâchées finit par devenir matière pour écrivain chevelu.

Mais le processus d'identification s'est arrêté là parce qu'elle me faisait pitié, la fille. Le roman me remue, l'héroïne me fait pitié.  L'écrivain aussi, à sa façon, qui se repaît des confidences de sa victime, dont il se fait un devoir de raconter l'histoire, tout en n'entreprenant rien pour l'aider concrètement. Est-ce qu'il vaut mieux que le mari qui la harcèle, ce n'est pas sûr. Bénédicte est aux prises avec des hommes faibles, lâches et méprisants, elle ne sait pas sa propre valeur ni sa liberté. Elle se laisse faire quand ils s'appuient sur elles pour survivre, quand ils la dévorent toute crue. Elle avait 20 ans, l'homme qu'elle aimait l'avait quittée. Elle s'est rabattue sur un autre, un abruti, une victime qui fait des victimes. Elle est sa victime. Il la poursuit, la possède, la claquemure, lui ôte toute joie. Elle est d'une exigence extrême, essaie d'être à la hauteur de ses attentes à lui, qui sont aussi ses attentes à elle, qui ne cessent de grandir tandis qu'ils vivent ensemble et que les enfants naissent. Au bout de 15 ans, exténuée, elle se tourne une nuit de lassitude vers Meetic. C'est un des excellents moments du livre, hilarant de connerie mâle, une jubilation. Sur Meetic, Benedicte fait enfin une belle rencontre. Belle rencontre qui donne encore lieu à quelques pages magnifiques, très romantiques, on se croirait dans un roman du XVIIIème siècle, chez un type de la forêt, merveilleux, délicat ; on espère pour elle, on compte sur le Prince charmant qui d'un baiser réveillera la princesse endormie. Extrait (p. 100) :

"Leur baiser dura longtemps.
Tant d'évidence dans l'entente instinctive de leurs bouches étonna Bénédicte Ombredanne, elle qu'aucun homme n'avait plus embrassée depuis de très nombreuses années (son mari n'utilisait jamais ses lèvres pour enchanter les siennes, exception faite des smacks qu'ils échangeaient quotidiennement, matin et soir, de pure routine, comme une carte magnétique qu'on passe sur une cellule optique pour entrer et sortir d'un bâtiment). Un chant d'oiseau lui parvenait, un peu de vent caressait son visage. Leur baiser fut vorace, tendre, lascif, sérieux, mélancolique et ambitieux - à l'égal d'une pensée en mouvement, une pensée qui s'accomplit brillamment jusqu'à sa conclusion victorieuse."

(L'image du smack de pure routine comme une carte magnétique qu'on passe sur une cellule optique est formidable, n'est-ce pas ?). Cependant, ce baiser, cet amour et ce bonheur qui réveillent Bénédicte ne changent rien, car Bénédicte est trop attachée à son malheur. Trop ancrée dedans, depuis trop longtemps. Elle se raconte des histoires pour tenir le coup, mais la vérité c'est qu'elle est devenue le malheur et qu'elle est bien incapable d'en sortir. Ce qu'on apprendra à la fin, comme il se doit, l'écrivain par la même occasion se dédouanant de toute responsabilité.  Evidemment, allons, il s'agit d'une fiction.

Je ne sais pas si j'ai aimé ce roman pour son réalisme psychologisant et sa dénonciation implicite du bovarysme contemporain, ou si je l'ai détesté, tellement il montrait une femme impuissante à s'échapper du piège qu'elle s'était construit, ses rêves romanesques, sa naïveté littéraire et son idéalisme confrontés à une certaine ineptie masculine. Un lapin pris dans les phares d'une voiture, comme il est dit p. 19, une expression qu'on avait également employée à mon sujet il y a quelques années (cela m'a fait drôle). Je me suis surprise 1000 fois à penser : je ne suis pas comme ça. Je sens la vie qui bat et je me fais plaisir dans mon jardin secret et jamais je ne me laisserai autant humilier. Pourquoi avoir besoin de le penser et se le dire, alors ? Ah, ça...

jeudi 14 août 2014

Télécospage

blackberry
Tout se téléscope, de bon matin, les lunettes à peine enfilées et le thé pas encore infusé. Une invitation à dîner, profiter que les enfants soient partis pour se faire une soirée entre adultes irresponsables. Chouette. Un coup de fil aux enfants justement, bien dormi bien mangé tout va bien bla bla bla. Un message Facebook de ma sœur pour  les emmener a la playa, toujours ses expressions qui me font sourire. Un mail de l'ami d'outre-mer à propos de l'idéologie du dire, du vite-dire et de la décharge par le dire. Comme il a raison, je ne manquerai pas de le lui dire.  Une offre d'achat d'aspirateur, une super occase ! à saisir, écrit mon compagnon. Ca dépend du poids de l'engin, je réponds, de toutes façons l'électroménager, au petit déjeuner, hein. J'aimerais plutôt un sms érotique, un bonjour plein de désir, de la tendresse, bordel. Soupir, faut pas rêver, ma fille.

C'est un autre sms qui me bouleverse. Un sms tragique. La mort d'un petit garçon, là-bas, loin, au bord de l'Océan, qui anéantit toute une famille et mon amie, lui répondre, trouver les mots, comment faire.

J'ai pas encore allumé l'ordinateur. Ni ouvert le journal. Ni la boîte aux lettres. Ni cet Homme des îles sur lequel je voulais écrire un billet. Juste lu mon téléphone et déjà le tragique et la simultanéité des événements me saisissent. 

Pas non plus attaqué ma tasse de thé. Au point où nous nous sommes, je vais plutôt me faire un café.

Qu'est-ce donc que cette étrange journée. Une journée particulière ? J'enfile mon tablier et je me mets à l'aspirateur et au balai en rêvassant à d'autres vies que la mienne, telle Sofia Loren autrefois. 

samedi 2 août 2014

Une journée particulière

Gananoque, Canada, bar-livres
Avec mon vieux téléphone, j'ai pris en photo ce bar dans un village au bord du lac Ontario. Un bar parfait pour une lectrice, constitué de piles de livres, et qu'on l'imagine attenant à une bouquinerie, rétro juste ce qu'il faut, des étagères bien remplies de neuf et d'occasion, des gens qui s'installent un moment pour découvrir, boire un verre, bavarder (en réalité, le bar est attenant à une boutique de vêtements vintage qui fait aussi brocante. Hipster, comme diraient mes ados. Ce qui n'empêche pas les clients de s'installer et bavarder).
Quelques minutes, j'ai rêvé de tenir un tel bar, servir des bières aux passants et des limonades aux enfants. Ai pensé que même les poivrots, je les supporterais stoïquement, si j'avais choisi d'être là (quand j'étais enfant, les samedis à midi, mon père m'emmenait avec lui au café La coupole, où il buvait un pastis avec des connaissances du quartier. J'avais toujours peur des poivrots, malgré la présence rassurante de mon père et le diabolo qu'il commandait pour moi et qui me motivait spécialement à l'accompagner, en plus de la fierté d'être associée à cet événement hebdomadaire). Mais je n'avais pas choisi d'être là, je prenais juste une photo de cet endroit insolite, en rêvassant et pensant à une bibliothécaire.
Un rêve éveillé, un de plus, un pour rien. Je rêve de changer de vie, comme à chaque fois en vacances, d'ouvrir une crêperie, un café, une librairie, un cabinet de voyance extralucide. M'installer dans un endroit que j'aurais vraiment adopté, et pour longtemps, alors que je n'ai choisi aucun des endroits où j'ai vécu jusqu'à présent et que je n'envisage toujours que de partir. Ou bien, dans un immense élan de surprise heureuse, être emportée au loin par un prince charmant, ne plus rien avoir à porter ni supporter, devenir princesse. Comme m'avait dit une fois ma psy, c'est assez contradictoire, de rêver à la fois de poser ses propres choix et d'être totalement prise en charge. Oui, j'avais acquiescé. En même temps, ça a à voir avec l'Autre, ce n'est pas sorcier à comprendre quand même. Ca a aussi avoir avec la bougeotte, bien sûr. Fuir ses responsabilités.
Chaque matin de vacances, j'ouvre les yeux en ayant rêvé une autre vie que la mienne. Me demande comment ce serait, sans compagnon, sans enfant (situation pourtant difficile à imaginer parce que j'ai toujours été incluse (embourbée) dans un schéma familial). Comment ce serait, un autre métier, plus dur physiquement, si je serais moins grosse, plus ridée, plus lasse, moins torturée. Comment ce serait, si à tel ou tel moment, j'avais fait un autre choix. Si, par exemple, j'avais appris à me lever très tôt et m'étais déshabituée de disposer de mes week-ends. Ou si j'avais déjà empoché un paquet d'argent, si j'avais eu le sens du commerce. Je me demande, c'est d'ailleurs pour ça que j'aime autant L'insoutenable légèreté de l'être. Je suis comme Tomas dans L'insoutenable légèreté, je me demande mais laisse le cours des choses, ou l'Autre, décider pour moi. Je ne change pas de vie, tout reste identique, d'ailleurs je ne vais pas tarder à prendre des résolutions de rentrée bien contraignantes, qui me fixeront encore plus à mes rails quotidiens. Adieu, le fugace rêve de bar-livres. En attendant, je regarde la photo. Quand je serais rentrée aussi, je la regarderai, et le lac Ontario, tâche bleue de la mappemonde affichée sur le mur de la cuisine, un rêve de plus. Une journée particulière.

dimanche 13 juillet 2014

Rendez-vous

Ecole de la cause freudienne
Je crois que ma psy n'exerce plus. Alors, sa phrase "j'attends votre appel", ne tient plus. C'est un rendez-vous qui tenait dans l'instant, l'instant d'il y a 5 ans qui me revient maintenant, mais qui ne tient plus.

Ca doit être ça, vieillir : ceux qui vous avaient donné rendez-vous ont disparu. On est seul. Les fils invisibles ne nous raccrochent plus.