jeudi 29 mai 2014

Le bal des importants

Thierry Galineau, Le bal des importants
Ce n'est pas de la littérature, c'est même assez mal écrit. On dirait un livre de journaliste, un documentariste sinon. Ne cherchons pas le style, donc, de toutes façons on s'en fout du style, personnellement je m'en suis toujours foutue, même quand mon professeur de lettres de première, le regretté M.Bigot, essayait de m'expliquer  à quel point c'était passionnant de disséquer le style, de s'inventer un style, d'écrire avec style. J'ai toujours préféré mon prof de philo, l'année suivante, parce qu'il n'exigeait rien dans ce domaine. Il disait : écrivez comme vous voulez,  il s'agit de penser. Tout de suite, on s'est compris. Ce soir, je me souviens de ses yeux bruns malicieux, qu'aurait-il pensé de ce monde dans lequel on vit.

Donc, ce n'est pas de la littérature, c'est une fable politique, passionnante. Parce qu'elle est ancrée dans les faits réels du néo-libéralisme et de la finance mondiale. On croise les banquiers de Goldman Sachs, les hedge funds, DSK, et surtout les ultra-riches. On comprend que la Grèce est une proie pour des capitalistes sans foi ni loi qui ne pensent qu'à faire fructifier leur bas de laine en spéculant sur l'effondrement du pays, et à couler des jours heureux sur des yachts. Que l'euro, c'est peut-être bien le joujou des Américains et des Chinois, qui aimeraient que les citoyens européens s'endettent, ça leur permettrait d'écouler leur came (des fringues aux cigarettes électroniques, ah ah ah) et de tirer leur croissance vers le haut, le temps que la population des pays émergents atteigne un niveau de vie comparable à celui de l'Occident. Un peu de paranoïa ? Oui, sans doute, en même temps une paranoïa tellement plausible... Le livre est visionnaire, sur certains points :

"Nos gouvernements ont bourré leurs citoyens de crédit et se sont eux-mêmes gavés de dettes pour faire durer un peu le cocktail sur le pont du Titanic. A présent il ne reste plus que vous et vos entreprises à saturer d'impôts pour pouvoir passer encore quelques années la tête dans le sable. Ce jeu dangereux touche aujourd'hui à ses limites et les prochaines échéances électorales dans nos nations vont brutalement sonner la fin des illusions" (p. 128).
Et surtout, il y a des observations magnifiques sur les riches. Ce sont des gens très malins, ils se sont organisés en un réseau social ultra-sécurisé, un genre de Facebook pour riches... On discute placements, recherche de personnel de maison, vacances, combines fiscales. On décide aussi à qui et à quoi on donnera sa fortune - sûrement pas aux services publics, on veut non seulement savoir où va l'argent (accumulé notamment en échappant à l'impôt) mais décider à quoi il sera employé. Puisqu'on est riche, on sait ce qui est bon pour la collectivité mieux que l'Etat. C'est comme ça que j'ai découvert Giving Pledge et cette remarque, excellente :
"Même leur philantropie est louche. L'humanitaire, pour eux, c'est juste un nouveau paradis fiscal". (p. 194).

Les ultra-riches ont une super idée : acheter un pays qu'ils sauveront de la misère et où ils concentreront leur fortune en échanges de conditions fiscales privilégiées et d'une protection contre les hordes de pauvres qui cherchent à les dépouiller et qui commencent à se révolter, surtout en Europe.

"La richesse est une quête inlassable de ce qui ne s'achète pas... pour l'acheter.
Et il faut bien convenir que beaucoup de choses s'achètent en vérité : les entreprises, l'obéissance, l'influence, le luxe, le sexe, les îles, les politiciens, etc. Alors, oui, pourquoi pas un pays ?" (p. 253-254).

Ca se lit comme un thriller, un enchevêtrement d'opérations financières, de coups tordus, d'utilisation d'Internet et de Wikileaks, sans oublier ce qu'il faut de suspens et d'assasinats. Au milieu de tout ça, les acteurs politiques sont de toutes petites choses, soit incompétentes, soit corrompues, au mieux absentes. Ca ne fait pas rêver, mais ça aide peut-être à comprendre...
  

mardi 6 mai 2014

Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil

Haruki Murakami, Au sud de la frontière, à l'ouest du soleilJ'achève la relecture de Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil d'Haruki Murakami. Je relis peu, mais ai été attirée par le rouge à lèvres de la couverture et l'angoisse d'avoir (déjà) tout oublié de cette histoire à peine deux ans plus tard. Et ce titre assez bizarre, allusion à l'hysteria siberiana, qui fait fuir les paysans sibériens vers l'ouest du soleil quand ils n'en peuvent plus de l'étendue plate et vide qui leur sert d'horizon.

C'est une histoire de passé qui revient. Hajime est un homme ordinaire. Réservé, plus complexe qu'il ne le paraît et pas complètement moral, comme il le constate lui-même dès le lycée, en faisant souffrir profondément autrui. Suivent 10 ans de solitude et de profond ennui. Hajime est correcteur dans une maison d'édition, s'acquittant mécaniquement de tâches sans intérêt ; et sans amour à l'horizon.
 "Telle fut la troisième étape de ma vie : ces douze années entre mon entrée à l'université et mes trente ans, je les passai dans la solitude, le silence et le désespoir. Ce furent des années glacées, au cours desquelles je ne rencontrai pratiquement personne qui me paraisse en accord avec mon cœur" (p. 55).
A 30 ans, Hajime rencontre Yukiko. Enfin, il est amoureux, se marie, fonde une famille, ouvre deux clubs de jazz grâce à de l'argent prêté par le père de Yukiko, un homme d'affaires. Tout semble aller pour le mieux, la vie comblée et plutôt facile d'un Japonais fortuné, même si parfois, le doute l'envahit :
 "il m'arrivait de penser : "On dirait que tout ceci n'est pas ma vie", comme si je suivais un destin préparé pour moi par un autre, dans un lieu que je n'avais pas choisi (...). Pourtant, dans l'ensemble, je menais une vie heureuse, dépourvue de la moindre insatisfaction" (p. 77).
Jusqu'à ce que le passé resurgisse. Un passé qui n'avait jamais vraiment quitté Hajime, Hajime qui n'oublie personne, surtout pas les femmes qu'il a aimées. Hajime retrouve donc, par le plus grand des hasards, son amie d'enfance, Shimamato-San. Shimamato-San est très belle et porte du rouge à lèvres bien rouge et des vêtements coûteux. C'est bien plus qu'une amie, son doux secret, celle à qui il n'a jamais cessé de penser depuis ses 12 ans, à qui il ouvrait son cœur et peut l'ouvrir à nouveau. Leur relation est tout en subtilité, en non dits, platonique et pourtant envahie de désir, rythmée par les longues absences de la si mystérieuse Shimamato-San. Hajime est perturbé, il dort près de sa femme en pensant à une autre.
"Mon travail me passionnait et me rapportait des revenus confortables. Nous avions un appartement de quatre pièces à Aoyama, une petite maison dans la campagne à Hakone, une BMW et une Jeep Cherokee. Nous formions une famille unie. Ma femme et moi adorions nos filles. Que demander de plus à la vie ? (...) Ma vie familiale était parfaite. Je ne pouvais imaginer existence plus agréable que celle-là. Pourtant, depuis que  Shimamato-San avait disparu, j'avais l'impression de vivre sur la lune, privé d'oxygène. Sans Shimamato-San, je n'avais plus un seul lieu au monde où ouvrir mon cœur. (...). Ce serait bien si les souvenirs finissaient par s'user à force de les voir et de les revoir, me disais-je. Mais celui-là ne s'effaçait pas, loin de là." (p. 163-164).
Il faudra attendre la fin du roman, poignante, pour que quelques petites choses, très partielles, soient dites entre Hajime et Shimamato-San. On en reste aussi secoué et pantelant qu'Hajime, aussi amoureux et désespérément prisonnier. Prisonnier par exemple de l'argent, l'argent n'est pas innocent dans l'histoire. Prisonnier peut-être du fantasme, car Shimamato-San est iréelle. Et on reprend comme lui le cours de sa vie, dans la maison lézardée, le doute et la peur au ventre de ne pouvoir résister si cela recommençait.

J'en ai eu les larmes aux yeux tellement c'était juste. C'est un roman touchant mais qui ne cède jamais à la facilité de l'étalage émotionnel. La culpabilité lui est étrangère, il s'agit de décrire précisément des faits et des sentiments (les sentiments se nourrissant aussi des faits). Peut-être n'étais-je pas dans les dispositions d'esprit me permettant de goûter sa poésie réaliste, la première fois ; trop d'identification tue le plaisir de lire.

dimanche 27 avril 2014

A la recherche du lecteur perdu

A la recherche du lecteur perdu
« Pour lire, il faut pouvoir se couper d'une réalité afin de pénétrer une autre. Or, on rentre chez soi le soir avec des mails auxquels il faut répondre, des textos… L'homme moderne est en permanence en lien avec les autres. Les gens sont saturés d'information, ils n'ont plus d'espace intérieur pour désirer. »

Marie-Rose Guarnieri, libraire, citée par Laurent Carpentier, Le Monde, 25 avril 2014


Je suis donc un homme moderne.  Oui. Parfaitement.

mercredi 23 avril 2014

Sac


sacJ'ai fait des dizaines de rêves de sacs. Je voudrais les avoir tous consignés, m'en souvenir, les comprendre. Mais ils se dérobent tandis que le signifiant sac remonte impertubablement de mon inconscient. Il en reste des traces dans de vieilles notes éparses. Parfois, c'est un bagage, un cabas, le plus souvent un sac à main... des histoires de vols, de voyages, de peurs...

14 septembre 1998__ Rêve : je suis dans un grand hôtel.  Par inadvertance, je prends un sac de voyage qui n'est pas à moi. Quand je m'en aperçois, je décide de garder ce très beau sac. Je commets un vol. Comme je suis avec ma fille, je ne suis pas découverte comme auteure du vol. Conclusion : c'est mon bébé (ou le fait d'être mère) qui me disculpe d'un vol que j'ai commis.

14 septembre 1998__  Connexion avec un autre rêve que j'ai fait, à un autre moment de mon analyse : je possédais un très beau sac à main. Je rendais visite à mon père. Il "rangeait" (cachait) mon sac et ne voulait pas me le rendre, voulait me l'échanger contre un morceau de viande rouge que je ne voulais pas.

24 mai 2006 __ Rêve : je suis heureuse et amoureuse, je vais rejoindre Curedan. Je dois prendre le train, mais je n'arrive pas à trouver le chemin de la gare. Finalement, j'y arrive, l'horloge indique que le train est sur le point de partir, je cherche le quai, me dépêche. Et puis je réalise que j'ai oublié ma valise, j'hésite, je ne peux pas partir et pourtant je veux partir, il me manque. J'ai peur. Je me réveille.

Il y a deux ou trois nuits, je me promenais, sac à main habituel sous le bras, dans une ville méditerranéenne, espagnole ou italienne. C'était l'après-midi, par beau temps, un soleil éclatant. La pierre orangée des bâtiments anciens me faisait de l'œil.
En levant les yeux pour admirer une de ces façades lumineuses, j'apercevais un collègue,  quinquagénaire séduisant, posté en haut d'un muret ; nous devisions gaiement jusqu'à ce qu'il dise: "viens, grimpe ici, on sera mieux pour bavarder". Alors, j'escaladais le muret, laissant le sac trop lourd au sol, sans m'en préoccuper... Un oubli involontaire dans l'insouciance du moment ? Ou volontaire, laisser derrière soi ce qui pèse ? Pourquoi le choix de l'ascension proposée par un autre plutôt que de continuer mon propre chemin ? La conversation continuait, la recherche, la lutte, la politique ; jusqu'à ce que je me rende compte qu'à mes pieds, bien rangés, bien protégés, se trouvaient ses sacs à lui, l'universitaire soigneux aux deux sacs alignés, prêt à partir, on ne sait jamais, deux précautions valent mieux qu'une, les mandarins le savent.

Alors, dans la panique, je me souvenais du mien, de sac, toute ma vie dedans. Mes clés. Mon ordinateur. Les photos de mes enfants.  Les papiers d'identité qui me permettraient de quitter la ville.  M'y sentais soudain extrêmement attachée, à mon vieux sac rempli de toutes mes affaires si précieuses. Je me précipitais au bas des escaliers devant nous, refaisais le tour du bâtiment, constatais l'emplacement vide  au pied du muret, ne voulait pas qu'il en soit ainsi. Puis, dans un coup d'œil circulaire, j'apercevais le sac s'éloigner dans les bras d'un vieil homme, l'allure pauvre, les cheveux blancs, le regard triste ; j'allais vers lui et violemment reprenais mon bien (probablement en criant). En me sentant gênée et coupable. Effrayée. Demi-sommeil. Me conduire ainsi, de façon barbare, pour rien, une conversation au soleil et l'incapacité à prendre des précautions minimales en présence d'un intellectuel séduisant. Goût de cendres. Réveil.