mercredi 23 avril 2014

Sac


sacJ'ai fait des dizaines de rêves de sacs. Je voudrais les avoir tous consignés, m'en souvenir, les comprendre. Mais ils se dérobent tandis que le signifiant sac remonte impertubablement de mon inconscient. Il en reste des traces dans de vieilles notes éparses. Parfois, c'est un bagage, un cabas, le plus souvent un sac à main... des histoires de vols, de voyages, de peurs...

14 septembre 1998__ Rêve : je suis dans un grand hôtel.  Par inadvertance, je prends un sac de voyage qui n'est pas à moi. Quand je m'en aperçois, je décide de garder ce très beau sac. Je commets un vol. Comme je suis avec ma fille, je ne suis pas découverte comme auteure du vol. Conclusion : c'est mon bébé (ou le fait d'être mère) qui me disculpe d'un vol que j'ai commis.

14 septembre 1998__  Connexion avec un autre rêve que j'ai fait, à un autre moment de mon analyse : je possédais un très beau sac à main. Je rendais visite à mon père. Il "rangeait" (cachait) mon sac et ne voulait pas me le rendre, voulait me l'échanger contre un morceau de viande rouge que je ne voulais pas.

24 mai 2006 __ Rêve : je suis heureuse et amoureuse, je vais rejoindre Curedan. Je dois prendre le train, mais je n'arrive pas à trouver le chemin de la gare. Finalement, j'y arrive, l'horloge indique que le train est sur le point de partir, je cherche le quai, me dépêche. Et puis je réalise que j'ai oublié ma valise, j'hésite, je ne peux pas partir et pourtant je veux partir, il me manque. J'ai peur. Je me réveille.

Il y a deux ou trois nuits, je me promenais, sac à main habituel sous le bras, dans une ville méditerranéenne, espagnole ou italienne. C'était l'après-midi, par beau temps, un soleil éclatant. La pierre orangée des bâtiments anciens me faisait de l'œil.
En levant les yeux pour admirer une de ces façades lumineuses, j'apercevais un collègue,  quinquagénaire séduisant, posté en haut d'un muret ; nous devisions gaiement jusqu'à ce qu'il dise: "viens, grimpe ici, on sera mieux pour bavarder". Alors, j'escaladais le muret, laissant le sac trop lourd au sol, sans m'en préoccuper... Un oubli involontaire dans l'insouciance du moment ? Ou volontaire, laisser derrière soi ce qui pèse ? Pourquoi le choix de l'ascension proposée par un autre plutôt que de continuer mon propre chemin ? La conversation continuait, la recherche, la lutte, la politique ; jusqu'à ce que je me rende compte qu'à mes pieds, bien rangés, bien protégés, se trouvaient ses sacs à lui, l'universitaire soigneux aux deux sacs alignés, prêt à partir, on ne sait jamais, deux précautions valent mieux qu'une, les mandarins le savent.

Alors, dans la panique, je me souvenais du mien, de sac, toute ma vie dedans. Mes clés. Mon ordinateur. Les photos de mes enfants.  Les papiers d'identité qui me permettraient de quitter la ville.  M'y sentais soudain extrêmement attachée, à mon vieux sac rempli de toutes mes affaires si précieuses. Je me précipitais au bas des escaliers devant nous, refaisais le tour du bâtiment, constatais l'emplacement vide  au pied du muret, ne voulait pas qu'il en soit ainsi. Puis, dans un coup d'œil circulaire, j'apercevais le sac s'éloigner dans les bras d'un vieil homme, l'allure pauvre, les cheveux blancs, le regard triste ; j'allais vers lui et violemment reprenais mon bien (probablement en criant). En me sentant gênée et coupable. Effrayée. Demi-sommeil. Me conduire ainsi, de façon barbare, pour rien, une conversation au soleil et l'incapacité à prendre des précautions minimales en présence d'un intellectuel séduisant. Goût de cendres. Réveil.

lundi 14 avril 2014

Origami

origami
Lecture des mails du jour, surprise : une amie ressurgit. Elle pensait à moi, m'a cherchée sur internet, internet ce mouchard qui livre sans broncher CV, centres d'intérêt, photos, même ma voix qui résonne dans son appartement à 1000km de là. Ah bon. C'est de ma faute, aussi, c'est moi qui nourrit la bête virtuelle.


Il faut croire que cela ne suffisait pas, ces traces digitales officielles. Alors, elle m'a écrit. Un mot, deux, trois, savoir ce que je deviens, ce que je lis. Comme autrefois. Autrefois au lycée. Autrefois quand je pensais que toute notre vie nous serions amies. Un peu comme les amours : éternelles, pensais-je à l'époque lointaine du papier à lettres noirci, du choix des mots avant d'écrire, raturer ça fait des pâtés. L'âge des absolus, l'âge des certitudes. Des timbres, des enveloppes et de l'attente.


La lectrice lit l'amie très chère de l'âge des absolus et des certitudes à  l'âge de la maturité et des illusions perdues. Les illusions perdues sont le poison qui freine le torrent de l'affection bouillonnante du temps des certitudes. L'amie est revenue. Pourquoi. On l'a interrogée sur ses amis alors elle s'est tout à coup souvenue de moi. Ah tiens. Ou bien elle avait besoin de stimulation intellectuelle, références bibliographiques, questions-réponses existentielles, mes domaines d'expertise depuis les années lycée. Voilà ce que cyniquement, je pense. Est-ce qu'elle s'envolera à nouveau, oiseau de papier, origami bientôt réduit en copeaux. Est-ce que ça me blessera, l'essentiel en fait est là. Je raisonne pour ne pas m'emballer, ne m'engage pas trop.


Pourtant je ne peux pas m'empêcher de raconter, lui raconter très vite et beaucoup et intimement. C'est ainsi, c'est mon amie, mon amie aimée et envolée, perdue et revenue. Oiseau de papier. Mon cœur se gonfle de joie de te retrouver, je n'y peux rien à cette joie qui est encore là le lendemain et les jours suivant. Mais je sais maintenant que les amis, c'est comme les amours, ça va, ça vient. Plus de nouvelles, ça arrive. On souffre un peu, beaucoup, un jour, deux jours ou bien au-delà, on n'en meurt pas, on continue. Au bout du compte, rester disponible, ne pas se laisser envahir par la méfiance ou la déception, sentir intacte l'envie d'aller vers autrui malgré la lucidité.

mercredi 9 avril 2014

Encore une citation

Stefan Zweig, Trois poètes de leur vieIl y a des matins où on se réveille rêveuse, se remémorant la justesse d'un paragraphe lu la veille. En musique, il s'accommoderait  parfaitement  de Schönberg (La nuit transfigurée).



"En effet, c'est là l'éternel tragique de l'intellectuel : tandis qu'il est fait pour connaître toute l'ampleur et la volupté de l'existence et qu'il brûle de le pouvoir, il reste malgré tout, lié à sa tâche, esclave de son labeur, assujetti par des devoirs qui lui sont imposés, captif de l'ordre et de la terre.
Tout artiste véritable vit la plus grosse moitié de son existence dans la solitude et dans le duel qui se poursuit entre lui et sa création ; ce n'est pas immédiatement, mais rien qu'au miroir de celle-ci qu'il lui est permis de goûter la multiplicité désirée de l'existence. Seul celui qui vit pour vivre, celui qui n'est pas créateur, qui se borne à jouir, peut être libre et prodigue. Celui qui se propose des fins à atteindre passe à côté de la belle aventure : un artiste ne décrit le plus souvent que ce qu'il a négligé de vivre.
Quant aux jouisseurs sans entraves, qui sont la contrepartie de l'artiste, il leur manque presque toujours la puissance d'élaborer les multiples événements de la vie. Ils se perdent dans le moment et ainsi ce moment est perdu pour tous les autres, alors que l'artiste sait éterniser même la plus petite chose. Par là les buts divergent, au lieu de se compléter fructueusement : aux uns manque le vin et aux autres la coupe. Paradoxe insoluble : les hommes d'action et de plaisir auraient à raconter plus de choses vécues que tous les poètes, mais ils en sont incapables. Au contraire, les créateurs sont obligés d'inventer parce que rarement ils ont assez d'expérience vécue pour en faire l'objet d'un récit."


Stegan Zweig, Trois poètes de leur vie, p. 127, à propos de Casanova



 Je ne me sens ni créatrice, ni jouisseuse, peut-être quelque part entre les deux ?, comme la sensation d'un écartèlement perpétuel entre l'élaboration calme, ascétique et solitaire et la jouissance pressée de l'abandon vital sans pensée.

Mais je rencontre parfois des poètes qui inventent plus qu'ils ne vivent et des jouisseurs incapables d'élaborer.

mardi 8 avril 2014

Musique

Je voudrais que sur ce blog il y ait, quand on ouvre un billet, la musique de l'humeur de la lectrice. Pas une vidéo qu'on met en marche, juste une petite musique qui monterait du texte et ferait corps avec lui.


Dimanche à Pondichéry, ce serait une musique lancinante de Nusrat Fateh Ali Kahn, Mustt Mustt. Aujourd'hui, journée mi-figue mi-raisin, spleen et fatigue mêlés de soleil, ce serait Barbara, mal de vivre et joie de vivre.

BarbaraQu´on soit de Rome ou d´Amérique
Qu´on soit de Londres ou de Pékin
Qu´on soit d´Egypte ou bien d´Afrique
Ou de la porte Saint-Martin
On fait tous la même prière
On fait tous le même chemin
Qu´il est long lorsqu´il faut le faire
Avec son mal au creux des reins

Ils ont beau vouloir nous comprendre
Ceux qui nous viennent les mains nues
Nous ne voulons plus les entendre
On ne peut pas, on n´en peut plus
Et tous seuls dans le silence
D´une nuit qui n´en finit plus
Voilà que soudain on y pense
A ceux qui n´en sont pas revenus

Du mal de vivre
Leur mal de vivre
Qu´ils devaient vivre
Vaille que vivre

Et sans prévenir, ça arrive
Ça vient de loin
Ça c´est promené de rive en rive
Le rire en coin
Et puis un matin, au réveil
C´est presque rien
Mais c´est là, ça vous émerveille
Au creux des reins

La joie de vivre
La joie de vivre
Oh, viens la vivre
Ta joie de vivre

Et demain ? Demain est un autre jour, comme disait Scarlett.