Voici ce que recopie ma gamine de 12 ans. Voici ce qu'on lit au milieu des mangas qui traînent et des jeux Nintendo DS. Serait-elle atteinte de la même pathologie que sa mère, la manie du recopiage de citations dans lesquelles on cherche... quoi ? Quelque chose. Rien. Ca m'a prise à peu près au même âge. Je me souviens encore de ma pochette cartonnée à élastiques couverte de phrases et d'autocollants, "la culture c'est comme la confiture" ou "J'avais 20 ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie". "Nucléaire, non merci". Une manie dont je ne me suis jamais vraiment débarrassée. Encore maintenant, je lis : "Quand je me sens des plis amers autour de la bouche, quand mon âme est un bruineux et dégoulinant novembre, quand je me surprends arrêté devant une boutique de pompes funèbres ou suivant chaque enterrement que je rencontre, et surtout lorsque mon cafard prend tellement le dessus que je dois me tenir à quatre pour ne pas, délibérément, descendre dans la rue pour y envoyer valser les chapeaux des gens, je comprends alors qu'il est grand temps de prendre le large" et je suis émue. A 15 ans, je pensais que je garderais toujours le bout de papier dans ma poche, pour le jour où je prendrais le large. Je m'appelle Ismaël. Ca me donnera du courage. Fera-t-elle de même, la petite fille de 12 ans bientôt grande, rêve-t-elle de partir, avec son morceau de Schopenhauer roulé en boule dans le blouson, d'être seule, déjà ?
Mais non, arrête de regarder le monde comme si tu en étais le centre, elle a ses raisons qui ne te regardent pas, pensé-je dans un mélange de fierté (qu'elle lise une parcelle, même minuscule et probablement glanée sur internet, de philosophie) et d'effroi (que sait-elle de la solitude, que sait-elle de la liberté, à 12 ans, cette grande fille qui il n'y a pas si longtemps était encore un bébé ? Je ne t'ai ni vu ni entendu grandir, ma grande petite fille).