mercredi 5 novembre 2014

Never Let me Go


Never Let me Go
"I keep thinking about this river somewhere, with the water moving really fast. And these two people in the water, trying to hold onto each other, holding on as hard as they can, but in the end it's just too much. The current's too strong...They've got to let go, drift apart. That's how it is with us. It's a shame, Kath, because we've loved each other all our lives. But in the end, we can't stay together forever."

Kazuo Ishihuro, Never Let me Go





dimanche 12 octobre 2014

Fumer tue

Fumer tue
Un grand moment, j'ai eu ça sous les yeux : Fumer tue. J'écoutais la conversation, participais de temps en temps,  je sentais la douceur et l'intimité du moment mêlées à la fatigue en même temps que je lisais et relisais avec insistance ce Fumer tue. Qu'est-ce que c'est violent et qu'est-ce que c'est con comme formule, Fumer tue. Au Canada, on te met en plus des photos de poumons abîmés sous les yeux. Pour que tu comprennes bien que Fumer tue.

Fumer tue oui. Mais qu'est-ce qui ne tue pas ?
Conduire tue environ 3000 fois par an.
Manger (salé, gras, sucré) tue, crises cardiaques, diabète etc.
Baiser tue : sida, papillomavirus etc.

Vivre tue, la vie est une maladie mortelle et sexuellement transmissible, comme disait je ne sais plus qui. Même le sport en tue certains : pauvre Brigitte Cavagnoud qui a sa piste dédiée à la Clusaz.

Moi ce sont mes émotions qui me tueront, un jour, mais au moins je les aurai vécues.  Et sans filtre. 

mardi 7 octobre 2014

Did I ever love you... by Leonard Cohen

 

Great words.  Great old artist who sings how I feel.

Was it ever settled
Was it ever over
And is it still raining
Back in November

The lemon trees blossom
The almond trees whither
Was I ever someone
Who could love you forever

Did I ever love you
Does it really matter
Did I ever fight you
You don't need to answer

samedi 4 octobre 2014

Moi, mon truc...

Moi, mon truc...
Cela faisait plusieurs jours que je ruminais un billet de blog qui s'intitulerait "lire les calories". J'avais même pensé prendre une photo d'un de ces tableaux techniques au verso d'emballages. Car je lis consciencieusement les étiquettes de décompte des lipides, glucides et autres kilojoules. Je compare le yaourt X et le yaourt Y et je prends toujours le moins énergétique.  J'hésite 10 minutes devant le plus innocent des paquets de gâteaux. Cogitations : le moins cher est sûrement plus gras, plus salé, plus sucré. Prendre un plus cher, alors, mais est-ce que la différence de prix est justifiée ? Neuf fois sur 10, je choisirai l'option chère, on ne sait jamais. Et je m'inquiète aussi de savoir combien de calories j'ai dépensé à la salle de sport : 120 en vélo classique, 120 en footing, 60 en vélo elliptique c'est pas assez, même pas un dîner, pfff la semaine prochaine je me bougerai plus. 

Je fais tout ça, je pense tout ça, mais ce n'est pas moi. La lectrice de calories est tout le contraire de moi, c'est une créature échappée d'un magazine féminin qui prend possession de mon cerveau quand je suis de passage au supermarché ou à la salle de gym. La lectrice de calories est le symptôme de mon aliénation à la société de consommation et aux stéréotypes de genre. Pourquoi faire un billet de blog sur cet avatar famélique et inatteignable quand j'adore le pain trempé dans l'huile d'olive avec un brin de basilic et une pincée de parmesan ;  quand je me rue sur le chocolat ; quand je ne refuse presque jamais un verre de vin. La plupart du temps, je m'en balance, des calories, je me les balance plutôt dans le gosier. Je ne lis pas les calories, je les absorbe. Avec plaisir. Et là, c'est moi, ma silhouette ronde et mon estomac solide. Et je tiens très bien l'alcool, si si.

Je me souviens du jour où je suis tombée sur ce livre, à la librairie, il y a peut-être cinq ans. J'avais pensé : ce n'est pas la Joconde, on s'en fout de la Joconde, Louvre éditions, c'est un alibi pour parler aux filles comme moi. Ensuite, j'ai égaré le joli petit livre. Ensuite, je l'ai oublié. Aujourd'hui, miracle, il est reparu. Voilà pourquoi il n'y a pas lieu d'écrire sur les calories. Parce qu'il y a ce livre. Et parce que ce n'est pas mon truc. Moi, mon truc c'est... le même truc que celui de la Joconde, si si... Femmes de tous les pays, unissez-vous et lisez le livre, vous verrez, vous vous sentirez tellement mieux.

5 euros pour échapper à l'aliénation, 5 euros le petit livre vert, c'est pas cher payé.

vendredi 12 septembre 2014

Merci pour ce moment

Merci pour ce moment
On m'a envoyé le fichier en pdf alors j'ai lu. Comment ne pas. Je m'intéresse à la politique depuis toujours. Et aux faits-divers. Et à l'infidélité. Je ne vais pas me justifier d'avoir lu la prose de Valérie Trierweiler, dont des dizaines de milliers d'exemplaires sont déjà vendus. Enfin si, car j'avais clamé avant de céder à la tentation du pdf que je ne lirais pas, que je ne cautionnais pas ces déballages d'intimité, quelle obscénité, quelle indignité dans un contexte aussi difficile en France (et toi, que fais-tu ma fille sur ce blog, sous couvert d'anonymat, hein ?).

J'ai lu quelques heures, en survolant car c'est mal écrit et que l'amertume à haute dose fatigue les yeux et le coeur, mais quelques heures, j'ai lu et ai été plus touchée que je n'aurais cru. C'est le cri de désespoir d'une femme brisée, trahie par celui qu'elle aime. Comme tant d'autres parmi lesquels je m'inclus, on dirait qu'elle aimerait que sa vie soit un roman. Un roman Harlequin. J'hésite entre la considérer comme complètement naïve ou assez retorse pour jouer le rôle de l'innocente victime sacrifiée à la République ; je préfère opter pour la première hypothèse.

Valérie se raconte une belle histoire de prince charmant. Elle est mariée, quadra ou presque, trois enfants, un travail, une maison. Le prince charmant, un homme politique de premier plan puis de seconde zone, la connaît depuis longtemps puisqu'elle suit ses déplacements et autres faits d'armes. Ils se séduisent platoniquement mais cela reste innocent pendant des années. Puis, un jour en Corrèze, peut-être à son initiative à lui, cela devient de l'amour. C'est un jeudi, un baiser à Tulle.
Valérie alors construit sa belle histoire : elle a rencontré l'homme de sa vie. Elle divorce, lui aussi, ils vivent ensemble, il est disponible, dans une sorte de traversée du désert médiatico-politique. Un moment de faiblesse temporaire où il se laisse aller à l'amour, à la distraction, à faire place à autrui dans son cœur et sa vie. C'est le bonheur, les rires, la légèreté, la plage, les promenades.

Quelques rebondissements et campagnes électorales plus tard, Valérie se rendra compte que le prince n'était peut-être pas si charmant ; revenu aux affaires et même élu Président, il se mue en monstre froid, fuyant l'échange direct, préférant l'ambiguïté et le double langage. En fait, il redevient ce qu'il n'a jamais cessé d'être, un ego politique tout à son dessein (et son destin) présidentiel. Pas loin d'être menteur comme un arracheur de dents, ce qui ne manque pas de sel pour qui qualifie les pauvres de "sans dents" (p. 96). Elle somatise, sent sa place petit à petit détricotée par mille menaces qui vont de l'ex-femme au conseiller en passant par le directeur de cabinet . Extrait, p. 62 :

"Je n'ai assisté qu'à une seule réunion avec des conseillers "de l'autre côté". Il s'agissait de préparer la journée des Femmes du 8 mars. Mes idées ont été jugées excellentes, aucune n'a été retenue."
Valérie n'a pas les ressources internes ni la modestie d'accepter la situation et de réaliser qu'elle n'est ni coupable, ni autonome de ses mouvements dans cette affaire. Qu'elle n'avait la première place que du fait de circonstances antérieures. Au contraire, dans "l'aile Madame" de l'Elysée, ses failles narcissiques un moment comblées par le prince charmant se rouvrent telles des plaies béantes. Elle apparaît jalouse, peu sûre d'elle, se laisse aller à quelques petites crises assez typiques de l'hystérie (je me suis reconnue, là...). La voilà vilipendée et caricaturée par la presse. L'ex-prince devenu Président ne fait rien pour que cela change évidemment, il est tout à son destin (et à son dessein). Bientôt, il la quittera, lui qui il y a quelques jours à peine niait toute relation avec la jolie actrice.

C'est dur de se réveiller du rêve. On a tous ressenti cela un jour, la désillusion ultime de la dislocation de l'amour, de la fusion qu'on croyait atteinte. C'est la principale charge émotionnelle du livre.  La dureté de la séparation, d'être désaimé-e, délaissé-e pour un-e autre. Extrait, p.14 :
"François et moi nous retrouvons l’un en face de l’autre, chacun assis sur un canapé différent. Ils ont beau être fleuris, l’ambiance est pesante, la distance est déjà palpable. C’est alors qu’il me parle de séparation. Je ne comprends pas la logique des choses. C’est lui qui est pris sur le fait et c’est moi qui paie les pots cassés, mais c’est ainsi. Sa décision ne semble pas encore irrévocable, mais je n’ai pas la force d’argumenter. Il tente de se montrer le moins dur possible mais la sentence est terrible. Je ne réalise pas vraiment, je suis comme anesthésiée.Nous rejoignons la salle à manger pour le dîner. Avec la présence des maîtres d’hôtel, la conversation devient presque banale. Nous allons nous coucher, chacun dans une chambre différente. Cela ne nous était jamais arrivé. Cette fois, il veut marquer la fin. Ma nuit est agitée de cauchemars et d’hallucinations, sous l’effet des médicaments. Je me réveille en sursaut, convaincue que quelqu’un est dans la pièce. Je pense à François ouvrant ses bras à une autre femme. Qui a fait le premier pas ? Que lui a-t-il dit de nous ? Que cherchait-il chez elle que je ne peux pas lui donner ? Les images me blessent, je les repousse, mais elles remontent, encore et encore. Elles m’étouffent et je m’étrangle dans mes sanglots."
Après, évidemment, arrivent les regrets. Valérie se rend compte qu'il avait peut-être un peu honte d'elle, une sorte de mépris social, qu'il lui reproche de façon commode à elle sa popularité en chute à lui. C'est vrai que politiquement, Trierweiler, ça n'a jamais été très payant. Surtout après l'affaire du tweet de soutien au rival de Ségolène, fruit du malentendu qui habite la relation et le livre (elle pensait le couple central, lui faisait de la politique).
Valérie avait oublié que l'obsessionnel compulsif ne se donne jamais entièrement, qu'il fait même assez peu cas de l'autre en situation normale, c'est-à-dire quand il est en pleine possession de ses moyens. Et que ses obsessions, ses objets d'amour, sont changeants et même, largement accessoires. Que l'hystérique n'y peut rien, si ce n'est plus elle l'objet d'amour ou d'attention. Elle ne fait qu'éloigner davantage l'obsessionnel, à chaque crise de manque (je devrais m'en souvenir, tiens, apprend-on jamais des erreurs des autres, et même des siennes ?).  Elle croit qu'en hurlant, en exposant son manque, en faisant une tentative de suicide, elle obtiendra de quoi rafistoler la faille narcissique qui avait été tellement bien comblée quand elle était objet d'amour. Mais non, absolument pas, c'est le contraire : l'obsessionnel est effrayé par la faille, tellement occupé à camoufler les siennes, à emmurer ses émotions, il fuit, de plus en plus loin, se renferme en lui-même ou se tourne vers de nouveaux objets d'amour ou d'attention.  Elle réalise qu'elle s'accrochait à une illusion qui a eu des conséquences majeures sur sa vie. Elle le regrette. Extrait, p. 57 :
"Je me sens coupable. Il y a neuf ans, j’ai sacrifié ma famille pour un homme qui s’est débarrassé de moi à la première occasion. Si j’avais su résister à cet amour, mes enfants auraient une jeunesse anonyme et protégée. J’étais folle amoureuse, me voici folle de rage. Personne ou presque n’imaginait François président de la République. Pas même moi. J’ai le sentiment qu’il m’a tout volé. Presque dix ans de ma vie. Je regagne l’autre rive, seule, épuisée par la traversée et recouverte de boue. Combien de temps me faudra-t-il pour ne plus me sentir salie par tous les qualificatifs dont on m’a affublée : putain, favorite, manipulatrice, hystérique et j’en passe ? J’ai le sentiment de ne pas avoir été défendue. Celui à qui j’avais tout donné n’a pas eu un mot, un geste pour apaiser cette folie. Au contraire, il l’a entretenue et m’a abandonnée."
Pourtant, au bout d'un moment, on en a un peu ras-le-bol de Cosette-Valérie au pays des méchants. On se dit : certes, elle venait d'un milieu pauvre, n'avait pas les codes et peut-être a-t-elle été abusée, mais à plus de 45 ans et en une vingtaine d'années à Paris Match, n'a-t-elle donc rien appris des coups bas et des stratégies des milieux politiques ? Était-elle à ce point aveuglée par l'amour ? N'a-t-elle donc aucune notion élémentaire de psychanalyse ? Son côté adolescente attardée me chagrine en même temps qu'il me la rend sympathique. Valérie l'idéaliste voudrait que le monde politique soit comme elle le souhaite, un monde où tout le monde est franc, honnête et transparent (Une société totalitaire ?). Où les médias sont comme des miroirs du réel. Mais le monde politique fonctionne autrement, dans une distorsion entre réel et représentation (médiatique) avec laquelle elle composerait mieux si elle se souvenait de ses cours de sciences sociales (DESS de communication politique à la Sorbonne) et avait un peu plus de maturité et d'intelligence des situations. Au lieu de jouer selon les règles ou de carrément s'éloigner de ce monde si inhospitalier, elle endosse le rôle de la victime consentante, enchaîne maladresses, prises de médicaments et malaises en tous genres. Et elle attend que le bourreau frappe et bien sûr il frappe et elle pleure. 
Puis, le style, l'absence de style, et son avarice sans cesse justifiée, je n'en pouvais plus, alors j'ai arrêté. J'avais envie de lui dire : vous devriez prendre rendez-vous chez un psy, chère Valérie (c'est également valable pour François). Par moments, vous me faites penser à Bénédicte Ombredanne (et à moi).


Quoi qu'il en soit, merci pour ce moment.

lundi 8 septembre 2014

Chagall

There's nothing like a Chagall painting to make me feel peaceful.



Marc Chagall, Above the City




This is "Above the city" (in which city,  Moscow ?)









Marc Chagall, the Dream








This is "The dream', in Washington D.C.




mercredi 3 septembre 2014

L'amour et les forêts

Eric Reinhardt, L'amour et les forêts
L'amour et les forêts, d'Eric Reinhardt, est un roman auquel il est facile de s'identifier. Cela se passe dans une ville que je fréquente, aux lieux et aux personnages familiers, le libraire, l'hôpital, l'autoroute même. Le romancier appelle l'héroïne "ma lectrice" ; la rencontre entre eux, d'abord épistolaire, s'opère à l'occasion d'une expression d'admiration. Ca aurait pu être moi, cette fille, en plus élégant. On fait à peu près le même métier. Et l'écrivain, ça aurait pu être quelqu'un que je connais, ils ont comme un vague air de ressemblance, sur la photo, un quelque chose dans les cheveux. Dans les premiers chapitres, je pensais à ça, surtout : comment une expression d'admiration mêlée à des confidences presque involontairement lâchées finit par devenir matière pour écrivain chevelu.

Mais le processus d'identification s'est arrêté là parce qu'elle me faisait pitié, la fille. Le roman me remue, l'héroïne me fait pitié.  L'écrivain aussi, à sa façon, qui se repaît des confidences de sa victime, dont il se fait un devoir de raconter l'histoire, tout en n'entreprenant rien pour l'aider concrètement. Est-ce qu'il vaut mieux que le mari qui la harcèle, ce n'est pas sûr. Bénédicte est aux prises avec des hommes faibles, lâches et méprisants, elle ne sait pas sa propre valeur ni sa liberté. Elle se laisse faire quand ils s'appuient sur elles pour survivre, quand ils la dévorent toute crue. Elle avait 20 ans, l'homme qu'elle aimait l'avait quittée. Elle s'est rabattue sur un autre, un abruti, une victime qui fait des victimes. Elle est sa victime. Il la poursuit, la possède, la claquemure, lui ôte toute joie. Elle est d'une exigence extrême, essaie d'être à la hauteur de ses attentes à lui, qui sont aussi ses attentes à elle, qui ne cessent de grandir tandis qu'ils vivent ensemble et que les enfants naissent. Au bout de 15 ans, exténuée, elle se tourne une nuit de lassitude vers Meetic. C'est un des excellents moments du livre, hilarant de connerie mâle, une jubilation. Sur Meetic, Benedicte fait enfin une belle rencontre. Belle rencontre qui donne encore lieu à quelques pages magnifiques, très romantiques, on se croirait dans un roman du XVIIIème siècle, chez un type de la forêt, merveilleux, délicat ; on espère pour elle, on compte sur le Prince charmant qui d'un baiser réveillera la princesse endormie. Extrait (p. 100) :

"Leur baiser dura longtemps.
Tant d'évidence dans l'entente instinctive de leurs bouches étonna Bénédicte Ombredanne, elle qu'aucun homme n'avait plus embrassée depuis de très nombreuses années (son mari n'utilisait jamais ses lèvres pour enchanter les siennes, exception faite des smacks qu'ils échangeaient quotidiennement, matin et soir, de pure routine, comme une carte magnétique qu'on passe sur une cellule optique pour entrer et sortir d'un bâtiment). Un chant d'oiseau lui parvenait, un peu de vent caressait son visage. Leur baiser fut vorace, tendre, lascif, sérieux, mélancolique et ambitieux - à l'égal d'une pensée en mouvement, une pensée qui s'accomplit brillamment jusqu'à sa conclusion victorieuse."

(L'image du smack de pure routine comme une carte magnétique qu'on passe sur une cellule optique est formidable, n'est-ce pas ?). Cependant, ce baiser, cet amour et ce bonheur qui réveillent Bénédicte ne changent rien, car Bénédicte est trop attachée à son malheur. Trop ancrée dedans, depuis trop longtemps. Elle se raconte des histoires pour tenir le coup, mais la vérité c'est qu'elle est devenue le malheur et qu'elle est bien incapable d'en sortir. Ce qu'on apprendra à la fin, comme il se doit, l'écrivain par la même occasion se dédouanant de toute responsabilité.  Evidemment, allons, il s'agit d'une fiction.

Je ne sais pas si j'ai aimé ce roman pour son réalisme psychologisant et sa dénonciation implicite du bovarysme contemporain, ou si je l'ai détesté, tellement il montrait une femme impuissante à s'échapper du piège qu'elle s'était construit, ses rêves romanesques, sa naïveté littéraire et son idéalisme confrontés à une certaine ineptie masculine. Un lapin pris dans les phares d'une voiture, comme il est dit p. 19, une expression qu'on avait également employée à mon sujet il y a quelques années (cela m'a fait drôle). Je me suis surprise 1000 fois à penser : je ne suis pas comme ça. Je sens la vie qui bat et je me fais plaisir dans mon jardin secret et jamais je ne me laisserai autant humilier. Pourquoi avoir besoin de le penser et se le dire, alors ? Ah, ça...

jeudi 14 août 2014

Télécospage

blackberry
Tout se téléscope, de bon matin, les lunettes à peine enfilées et le thé pas encore infusé. Une invitation à dîner, profiter que les enfants soient partis pour se faire une soirée entre adultes irresponsables. Chouette. Un coup de fil aux enfants justement, bien dormi bien mangé tout va bien bla bla bla. Un message Facebook de ma sœur pour  les emmener a la playa, toujours ses expressions qui me font sourire. Un mail de l'ami d'outre-mer à propos de l'idéologie du dire, du vite-dire et de la décharge par le dire. Comme il a raison, je ne manquerai pas de le lui dire.  Une offre d'achat d'aspirateur, une super occase ! à saisir, écrit mon compagnon. Ca dépend du poids de l'engin, je réponds, de toutes façons l'électroménager, au petit déjeuner, hein. J'aimerais plutôt un sms érotique, un bonjour plein de désir, de la tendresse, bordel. Soupir, faut pas rêver, ma fille.

C'est un autre sms qui me bouleverse. Un sms tragique. La mort d'un petit garçon, là-bas, loin, au bord de l'Océan, qui anéantit toute une famille et mon amie, lui répondre, trouver les mots, comment faire.

J'ai pas encore allumé l'ordinateur. Ni ouvert le journal. Ni la boîte aux lettres. Ni cet Homme des îles sur lequel je voulais écrire un billet. Juste lu mon téléphone et déjà le tragique et la simultanéité des événements me saisissent. 

Pas non plus attaqué ma tasse de thé. Au point où nous nous sommes, je vais plutôt me faire un café.

Qu'est-ce donc que cette étrange journée. Une journée particulière ? J'enfile mon tablier et je me mets à l'aspirateur et au balai en rêvassant à d'autres vies que la mienne, telle Sofia Loren autrefois. 

samedi 2 août 2014

Une journée particulière

Gananoque, Canada, bar-livres
Avec mon vieux téléphone, j'ai pris en photo ce bar dans un village au bord du lac Ontario. Un bar parfait pour une lectrice, constitué de piles de livres, et qu'on l'imagine attenant à une bouquinerie, rétro juste ce qu'il faut, des étagères bien remplies de neuf et d'occasion, des gens qui s'installent un moment pour découvrir, boire un verre, bavarder (en réalité, le bar est attenant à une boutique de vêtements vintage qui fait aussi brocante. Hipster, comme diraient mes ados. Ce qui n'empêche pas les clients de s'installer et bavarder).
Quelques minutes, j'ai rêvé de tenir un tel bar, servir des bières aux passants et des limonades aux enfants. Ai pensé que même les poivrots, je les supporterais stoïquement, si j'avais choisi d'être là (quand j'étais enfant, les samedis à midi, mon père m'emmenait avec lui au café La coupole, où il buvait un pastis avec des connaissances du quartier. J'avais toujours peur des poivrots, malgré la présence rassurante de mon père et le diabolo qu'il commandait pour moi et qui me motivait spécialement à l'accompagner, en plus de la fierté d'être associée à cet événement hebdomadaire). Mais je n'avais pas choisi d'être là, je prenais juste une photo de cet endroit insolite, en rêvassant et pensant à une bibliothécaire.
Un rêve éveillé, un de plus, un pour rien. Je rêve de changer de vie, comme à chaque fois en vacances, d'ouvrir une crêperie, un café, une librairie, un cabinet de voyance extralucide. M'installer dans un endroit que j'aurais vraiment adopté, et pour longtemps, alors que je n'ai choisi aucun des endroits où j'ai vécu jusqu'à présent et que je n'envisage toujours que de partir. Ou bien, dans un immense élan de surprise heureuse, être emportée au loin par un prince charmant, ne plus rien avoir à porter ni supporter, devenir princesse. Comme m'avait dit une fois ma psy, c'est assez contradictoire, de rêver à la fois de poser ses propres choix et d'être totalement prise en charge. Oui, j'avais acquiescé. En même temps, ça a à voir avec l'Autre, ce n'est pas sorcier à comprendre quand même. Ca a aussi avoir avec la bougeotte, bien sûr. Fuir ses responsabilités.
Chaque matin de vacances, j'ouvre les yeux en ayant rêvé une autre vie que la mienne. Me demande comment ce serait, sans compagnon, sans enfant (situation pourtant difficile à imaginer parce que j'ai toujours été incluse (embourbée) dans un schéma familial). Comment ce serait, un autre métier, plus dur physiquement, si je serais moins grosse, plus ridée, plus lasse, moins torturée. Comment ce serait, si à tel ou tel moment, j'avais fait un autre choix. Si, par exemple, j'avais appris à me lever très tôt et m'étais déshabituée de disposer de mes week-ends. Ou si j'avais déjà empoché un paquet d'argent, si j'avais eu le sens du commerce. Je me demande, c'est d'ailleurs pour ça que j'aime autant L'insoutenable légèreté de l'être. Je suis comme Tomas dans L'insoutenable légèreté, je me demande mais laisse le cours des choses, ou l'Autre, décider pour moi. Je ne change pas de vie, tout reste identique, d'ailleurs je ne vais pas tarder à prendre des résolutions de rentrée bien contraignantes, qui me fixeront encore plus à mes rails quotidiens. Adieu, le fugace rêve de bar-livres. En attendant, je regarde la photo. Quand je serais rentrée aussi, je la regarderai, et le lac Ontario, tâche bleue de la mappemonde affichée sur le mur de la cuisine, un rêve de plus. Une journée particulière.

dimanche 13 juillet 2014

Rendez-vous

Ecole de la cause freudienne
Je crois que ma psy n'exerce plus. Alors, sa phrase "j'attends votre appel", ne tient plus. C'est un rendez-vous qui tenait dans l'instant, l'instant d'il y a 5 ans qui me revient maintenant, mais qui ne tient plus.

Ca doit être ça, vieillir : ceux qui vous avaient donné rendez-vous ont disparu. On est seul. Les fils invisibles ne nous raccrochent plus.

vendredi 4 juillet 2014

Insomnie (avec Jérôme Ferrari)

Insomnie, Jérôme FerrariNuit d'insomnie avec Jérôme Ferrari. Je tournais dans les draps, écoutant le souffle paisible de mon compagnon, espérant qu'il me contaminerait de sa tranquillité de corps et d'esprit. A un moment, lasse d'attendre, je me suis décidée à attraper mes lunettes, et ce Un dieu, un animal pas encore ouvert et avec lequel j'avais peur de m'ennuyer, rapport à l'expérience précédente d'Aleph zéro. Me suis affalée sur le canapé telle un cachalot échoué sur la plage, nouée de ces angoisses qui se réveillent dans l'obscurité, qu'il faut supporter jusqu'à ce qu'elles passent. Aux premières pages, me voilà prise et surprise. Pas commencé depuis cinq minutes que je me noie dans des phrases de dix lignes de long, des considérations qui commencent à l'adolescence et parsèment une vie d'homme, des histoires de deuil et de village. Jérôme Ferrari a de ces fulgurances, j'en ai fini le bouquin, au petit matin. C'est bien plus profond que Le sermon sur la chute de Rome. La même écriture lente et forte mais dans une veine plus tragique, au service de l'errance et de la solitude. L'amitié entre des garçons devenus mercenaires par hasard, par désoeuvrement, par ras-le-bol du village ; la guerre ; le souvenir d'une fille qui marque l'un d'eux, le fait revenir vers elle un instant, puis s'éloigner. On voudrait croire un moment en l'amour, mais ça ne dure pas car les anciens mondes ne reviennent jamais. A la fin,  il ne reste que la disparition ou le retour à la norme ; la vie, c'est marche ou crève, voilà la morale de l'histoire, en tout cas celle que je ré-interprète dans mon habit de cachalot ensommeillé et surexcité à la fois.

L'insomnie avec Jérôme Ferrari, ça laisse comme une sorte de fièvre, ça donne envie de recopier citation sur citation. Tu te retrouves à corner des pages comme une malade. Et puis à recopier, aujourd'hui, un peu comme à l'école, hein, d'ailleurs Ferrari est prof.

"Il fait apporter une bouteille de whisky et un seul verre, il t'a servi à boire et il a dit, certains pensent qu'ils sont venus pour l'argent, d'autres doivent inventer chaque jour la raison pour laquelle ils sont ici, mais, toi et moi, nous savons la vérité depuis le début, nous n'avons pas besoin de nous raconter de conneries, nous ne mentons pas, nous sommes venus pour la guerre, la seule raison valable, la guerre, ces histoires de défaite et de victoire ne nous intéressent pas, laisse ça aux Arabes, laisse ça aux Américains, tu vaux mieux que ça, et tu as acquiescé mais tu t'es dit qu'il commençait à t'emmerder avec sa philosophie nazie." p. 17
 "L'émotion se répand comme un gaz toxique", p. 27

"Elle sait bien que le charme irrésistible des vies qu'on n'a pas eues, c'est qu'elles n'existent pas. Les regrets n'ont aucun sens. Elle n'a renoncé à rien. Elle a simplement ajusté ses choix en fonction de ce qu'elle était et à quoi elle ne pouvait rien. Elle a fait de son mieux. Elle a suivi toutes les règles. Les règles visibles, les règles cachées. Les règles de la réussite professionnelle, les règles de l'épanouissement individuel. Il n'est pas possible de désigner un coupable. Les choses tournent mal. Car les hommes ont besoin, pour vivre, de quelque chose de plus grand qu'eux et, en désignant ce qui est grand, ils ne donnent que leur propre mesure." p. 53-54

"Tu lui assures que tu ne méprises personne mais elle ne te croit pas, elle dit qu'il n'y a rien de plus facile que de tourner les gens en ridicule mais qu'il est inévitable qu'ils s'attachent à leur travail et le trouvent important, comment vivraient les hommes s'ils étaient incapables d'accorder de l'importance à ce qu'ils font ? comment as-tu vécu toi-même ? et tu lui fais remarquer que c'est un sujet que tu n'as même pas abordé mais elle ne t'écoute pas, je t'ai vu, répète-t-elle, je t'ai vu, et plus elle parle, plus elle est en colère, il faut faire preuve d'un peu de bienveillance, tout le monde a droit à un peu de bienveillance, pas seulement toi, mais les autres aussi, tu ne peux pas dire aux gens que leur vie ne vaut rien, tu ne peux pas juger le monde comme ça et, encore une fois, elle se sent déborder d'un inexplicable amour fraternel pour ses collègues et elle est soudain triste et désabusée parce que tu as rejeté une part d'elle-même." p. 92-93

dimanche 29 juin 2014

Dormir longtemps

Dormir
J'ai dormi longtemps. Rêvé semi-éveillée qu'un homme me tenait dans ses bras et me caressait les cheveux, c'était doux. Je ressens moins de désir sexuel et plus de désir de tendresse, je vieillis, ai-je pensé dans un demi-sommeil. Avant de faire une liste mentale de courses, ne pas oublier le shampoing et le chocolat. M'est revenu aussi que je n'avais pas encore répondu à des mails de boulot. Il vaudrait mieux décliner cette responsabilité qu'on me propose. Savoir dire non. Depuis combien de temps n'ai-je pas passé une journée entière sans allumer l'ordinateur ni consulter mon téléphone portable ? Des siècles... serais-je capable de ne pas travailler, d'oublier tout ça ? Faire un test, aux prochaines vacances, pour voir ? Mais alors, il ne restera plus rien.

Le rayon de soleil passant dans la lucarne doucement se posait sur le lit et j'avais envie de me rendormir. J'ai somnolé, un peu, laissé vagabonder mes pensées vers mon compagnon dont je sentais l'absence avec ma main gauche, déjà levé comment il fait, quelle énergie, mes enfants qui dormaient, les embrasser longuement ce matin c'est le week-end, maman, papa,  Sensei je me demande comment il va, Venus à qui je devrais porter des framboises s'il en reste, Minerva et Origami mes copines, l'ancien amant, toi aussi tu as vieilli, Darling, peut-être ressens-tu moins de désir sexuel et plus de désir de tendresse... Je vais cuisiner un filet mignon aujourd'hui. J'aime bien la dame qui encaisse les fruits et légumes au magasin, toujours le mot pour rire. Ca fera une chouette ratatouille.


J'ai dormi longtemps pour mieux me replonger dans ma discothèque intime, car on a chacun ses vieux disques rayés qu'on écoute tout le temps et qu'on fait subir aux autres, comme dit mon correspondant, artisan habile de métaphores à qui je pense aussi, bien tranquille dans mon lit. Misanthropie, n'importe quoi, je ne fais que penser à des gens (des Jean), ne peux m'en abstraire. De ceux que j'ai choisis.
Aujourd'hui je mettrai mon pantalon bleu et mon t-shirt orange, refaire le vernis à ongles des pieds en mandarine, ce sera plus joli. Aller courir, pourquoi pas.

Ou ne rien faire, rester là, sourire. Je sens mes rides se plisser quand je souris, plus le temps va passer plus je serai comme ma grand-mère, une vieille pomme ridée.


Jouer avec le drap. Prendre un livre. En attrapant le premier roman de Jérôme Ferrari, Aleph Zéro, je me rends compte qu'il m'échappe sans cesse, pas seulement des mains. Je n'arrive pas à m'y accrocher, malgré plusieurs tentatives ces derniers jours. C'est trop décousu, alambiqué, intello qui se la pète. Qu'il mentionne  Clément Rosset et Jorge Luis Borges ne change rien à l'affaire, même si on y trouve déjà l'idée, tellement bien exploitée dans Le sermon sur la chute de Rome, des mondes qu'on se construit puis auxquels on ne comprend plus rien. Là, c'est un monde étrange que celui du personnage principal, un mix de physique quantique et de salle des profs, dans lequel on s'ennuie terriblement. Je soupçonne comme une arnaque d'éditeur, pour une fois qu'ils ont un Goncourt, chez Actes Sud.

mardi 24 juin 2014

Au dîner


Keep calm
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Au dîner des copines j'ai pu glisser deux phrases sur Confiteor et Le sermon sur la chute de Rome. Une fille a parlé d'Eldorado et ça m'a donné envie de le lire, mais  on est très vite passées à autre chose, ça n'intéresse plus personne, lire c'est tellement old fashioned. A la limite, discuter liseuse, Kindle contre Kobo.

Par contre traiter un type de vieux gaucho, raconter que sa femme l'a quittée pour une autre, si si c'est confirmé une autre femme, on me l'a dit à la sortie de l'école ; ou s'extasier sur une magnifique maison à 350 000 euros, pas chère parce qu'éloignée de la ville, là, c'est bien, les commentaires pleuvent. Après, se raconter qu'on risque de se faire agresser, il ne faut pas prendre de risques inutiles, les violeurs courent les rues c'est bien connu, elle ne fait plus son footing seule (moi, si, mais je n'ai pas osé le dire car quelques instants plus tôt, j'étais déjà passée pour une cinglée d'avoir mentionné ma fille rentrant seule en vélo l'autre soir, récolté un : "je ne le ferais pas"). Se plaindre des cambriolages. Se plaindre des jeunes qui fument et qui boivent, sauf bien sûr leurs enfants tellement parfaits. Faire en sorte qu'ils ne succombent pas aux jeux vidéos ou réseaux sociaux, limitons internet ce démon. Se plaindre de la qualité des soins, même en clinique rendez vous compte.  Des gens qui ne sont plus solidaires, et que tout le monde est tellement individualiste bla bla bla. Disent-elles en pensant à leurs expatriations, à leurs vacances de luxe et à moins payer d'impôts.



J'écoute mes amies, j'entends la connerie et la peur qui suintent, je ne reconnais plus rien de cette ville. Je ne combats même plus.



Je me revois, écoutant des vieux quand j'étais jeune, ressentant la même impuissance devant la connerie. Me taisant et souriant. C'est comme ça que je me fais une réputation de fille très sympa.  Keep calm. Je reprendrais bien un verre de vin.

vendredi 20 juin 2014

Le sermon sur la chute de Rome

Ferrari
Le titre n'a que très peu à voir avec le récit. Le récit est celui d'une amitié entre deux garçons autour d'un village corse où s'enracinent, comme malgré elles, des familles, au fil des générations. Et d'un café dans un village corse. Et d'un grand père dont la biographie s'entremêle aux garçons, au café et aux familles. Un grand-père qui regarde une photo. Il y est question du XXème siècle, de la première guerre mondiale, des colonies, des liens fraternels. Tant de choses.

Il vaut mieux ne pas raconter, lire plutôt, se plonger dedans comme on lézarderait au jardin un après-midi, dans la moiteur des conversations familiales, des anecdotes entendues mille fois et des potins du moment... "Tu te souviens, le champ où  la jument m'avait mordue ?  Comme on avait eu la trouille, comme on avait couru. Eh bien figure toi que les untels habitent là maintenant, ils se sont fait construire une maison. Y'en a qui ont de la chance, hein... Moi aussi, y'a des moments ça me travaille de revenir habiter là, tu vois... Une résidence secondaire, c'est trop cher. Au moins, être enterrée au cimetière du village, j'ai toujours adoré ce cimetière, les chrysanthèmes, la Toussaint... Ca m'arrive même d'avoir envie de retourner à la messe, pour te dire, quand ça prend la nostalgie, comme c'est".

C'est cette moiteur nostalgique et douce qui s'exprime dans Le sermon sur la chute de Rome. Dans un style lent, de longues phrases, de virgules, qui laisse à la moiteur le temps de s'installer et d'exprimer toute son épaisseur. Qui montre comme les personnages sont pris dans les plis du village, même s'ils cherchent à y échapper. Qui montre qu'il n'y a pas de morale, pas de certitude, que des individus perdus qui fuient, reviennent, se cherchent, s'oublient. Que toujours, le vide guette, même quand l'harmonie semble atteinte et même peut-être l'amour, dans un monde où on est bien au chaud. Qu'à la fin, on se sent minable de ce qu'on est devenu, il n'y a pas d'autre issue que la chute de l'Empire, la fin d'un monde.

La sauvagerie de la campagne, de la vie à la ferme s'expriment également, ça me rappelle tant de choses.

Extrait :
"Il y avait deux mondes, peut-être une infinité d'autres, mais pour lui seulement deux. Deux mondes absolument séparés, hiérarchisés, sans frontières communes et il voulait faire sien celui qui lui était le plus étranger, comme s'il avait découvert que la part essentielle de lui-même était précisément celle qui lui était le plus étrangère et qu'il lui fallait maintenant la découvrir et la rejoindre, parce qu'elle lui avait été arrachée, bien avant sa naissance, et on l'avait condamné à vivre une vie d'étranger, sans même qu'il pût s'en rendre compte, une vie dans laquelle tout ce qui lui était familier était devenu haïssable et qui n'était pas même une vie, mais une parodie mécanique de la vie, qu'il voulait oublier, en laissant par exemple le vent froid de la montagne fouetter son visage tandis qu'il montait avec Libero à l'arrière d'un 4X4 cahotant conduit par Sauveur Pintus sur la route défoncée qui menait à sa bergerie. Matthieu avait seize ans et passait maintenant toutes ses vacances d'hiver au village et il évoluait dans l'inextricable fratrie des Pintus avec une aisance d'ethnologue chevronné. Le frère ainé de Libero leur avait proposé de venir passer la journée avec lui et, quand ils arrivèrent à la bergerie, ils trouvèrent Virgile Ordioni occupé à châtrer les jeunes verrats regroupés dans un enclos. Il les attirait avec de la nourriture tout en poussant différents grognements modulés censés sonner agréablement à l'oreille d'un porc et quand l'un d'eux, envoûté par le charme de cette musique ou,  plus prosaïquement, aveuglé par la voracité, s'approchait imprudemment, Virgile lui sautait dessus, le balançait par terre comme un sac de patates, le retournait en l'attrapant par les pattes arrière avant de s'installer à califourchon sur son ventre, enserrant dans l'étau implacable de ses grosses cuisses la bête fourvoyée qui poussait maintenant des hurlements abominables, pressentant sans doute qu'on ne lui voulait rien de bon, et Virgile, couteau en main, incisait le scrotum d'un geste sûr et plongeait les doigts dans l'ouverture pour en extraire un premier testicule dont il tranchait le cordon avant de faire subir le même sort au second et de les jeter ensemble dans une grande bassine à moitié remplie."

Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome, Actes Sud/Babel, 2012, p. 37-38.




Ce roman, c'est aussi une affaire de style. J'ai comme envie de retirer ce que j'ai écrit récemment sur ce blog concernant le style : on ne s'en fout pas, du style, même moi avec mes gros sabots je me rends compte que les choses sont bien différentes, bien plus vivantes, quand il y en a.


Jérôme Ferrari a eu le Goncourt ? Ah. J'ai lu le Goncourt ? Ah. Personne n'est parfait, que voulez-vous.

mercredi 11 juin 2014

The ghost is back (again)

The ghost is back. I just read him in my mail box. I am a reader, used to read, I should be stronger than him. But I'm not. I'm weak, always tempted to reply when he opens his big mouth and whispers my name with his large tongue and his big white teeth.


He's not a ghost, he's a snake charmer. And I'm the fucking snake. The big ugly snake with its eyes wide opened and its glasses and its demanding body. I can't bite him, there's always some kind of charm going on, something that alienates me.


snake



Fucking snake charmer. He has nothing to do with me, for sure. The rest is only in my brain.


Only silence is stronger than him.

dimanche 8 juin 2014

Les moineaux

Bird People
Je viens de voir Bird People, le film de Pascale Ferran dont les radios publiques parlent  beaucoup ces derniers jours. Pascale Ferran m'avait donné envie de voir son film, l'autre soir chez Kathleen Evin. J'y allais pour Gary, l'associé d'une entreprise américaine de technologies, toujours entre deux avions, deux business trips, deux hôtels Hilton semblables, air conditioning, good bed, internet connection et blackberry.  Ultra-connecté, très pro, en apparence d'un calme olympien, Gary me faisait penser à une personne de ma connaissance. Un jour, Gary en a marre, de son boulot, de sa femme et de sa vie. Un vide sidéral le saisit, alors il plaque tout : ses actions, son patron et sa femme par Skype (ce qui est assez savoureux et poignant en même temps). Il se trouve que quand ça lui tombe dessus, Gary est à Paris, précisément à Roissy Charles de Gaulle. Au Hilton.

J'avais également envie de voir le film à cause de Roissy. Certaines scènes mémorables de ma vie s'y sont déroulées, la plupart du temps en solitaire connectée, comme dans le film. Avant un vol transatlantique, prise d'une crise de panique assez similaire à celle de Gary, j'avais écrit mes dernières volontés,  devant mon ordinateur ; à l'arrivée, les envoyer à une amie chère m'avait tranquillisée. De retour de mon dernier voyage à l'étranger, en arpentant les couloirs sans fin, j'ai hurlé au téléphone contre ma fille qui ramenait un mauvais bulletin scolaire, juste avant de m'embarquer dans un road movie surréaliste.  C'est aussi à Roissy qu'il y a des années, j'ai rompu avec Curedan, dans une scène d'un pathétique rare. Larmes et angoisses, perte de repères, on est un peu paumé en voyage. Mais il m'arrive de piquer des fous rires, quand je regarde les touristes étrangers essayer de se dépatouiller de l'achat des tickets de RER, par exemple (après, je les aide, on n'est pas des sauvages, quand même). A Roissy, je lis, rêvasse, téléphone,  travaille rarement, le bruit fait obstacle. De temps en temps, une tasse de thé ou de café, un truc à grignoter. Une petite sortie à l'air libre pour fumer, respirer l'air déconditionné, pollué. Le temps passe jusqu'au départ, ou jusqu'au train du retour.

Je ne crois pas avoir particulièrement aimé le film, il est trop long, trop allusif, ennuyeux par moments. Mais j'y ai vu des instants magiques, poétiques, comme : un dessinateur asiatique qui fait des croquis à l'encre de Chine ; un survol de l'aéroport, la nuit, sur la chanson Space Oddity ; un échange de regards entre Gary et un oiseau, un échange de mots, à la fin... Un peu comme un rêve. Je me surprends aujourd'hui à observer les moineaux.




jeudi 29 mai 2014

Le bal des importants

Thierry Galineau, Le bal des importants
Ce n'est pas de la littérature, c'est même assez mal écrit. On dirait un livre de journaliste, un documentariste sinon. Ne cherchons pas le style, donc, de toutes façons on s'en fout du style, personnellement je m'en suis toujours foutue, même quand mon professeur de lettres de première, le regretté M.Bigot, essayait de m'expliquer  à quel point c'était passionnant de disséquer le style, de s'inventer un style, d'écrire avec style. J'ai toujours préféré mon prof de philo, l'année suivante, parce qu'il n'exigeait rien dans ce domaine. Il disait : écrivez comme vous voulez,  il s'agit de penser. Tout de suite, on s'est compris. Ce soir, je me souviens de ses yeux bruns malicieux, qu'aurait-il pensé de ce monde dans lequel on vit.

Donc, ce n'est pas de la littérature, c'est une fable politique, passionnante. Parce qu'elle est ancrée dans les faits réels du néo-libéralisme et de la finance mondiale. On croise les banquiers de Goldman Sachs, les hedge funds, DSK, et surtout les ultra-riches. On comprend que la Grèce est une proie pour des capitalistes sans foi ni loi qui ne pensent qu'à faire fructifier leur bas de laine en spéculant sur l'effondrement du pays, et à couler des jours heureux sur des yachts. Que l'euro, c'est peut-être bien le joujou des Américains et des Chinois, qui aimeraient que les citoyens européens s'endettent, ça leur permettrait d'écouler leur came (des fringues aux cigarettes électroniques, ah ah ah) et de tirer leur croissance vers le haut, le temps que la population des pays émergents atteigne un niveau de vie comparable à celui de l'Occident. Un peu de paranoïa ? Oui, sans doute, en même temps une paranoïa tellement plausible... Le livre est visionnaire, sur certains points :

"Nos gouvernements ont bourré leurs citoyens de crédit et se sont eux-mêmes gavés de dettes pour faire durer un peu le cocktail sur le pont du Titanic. A présent il ne reste plus que vous et vos entreprises à saturer d'impôts pour pouvoir passer encore quelques années la tête dans le sable. Ce jeu dangereux touche aujourd'hui à ses limites et les prochaines échéances électorales dans nos nations vont brutalement sonner la fin des illusions" (p. 128).
Et surtout, il y a des observations magnifiques sur les riches. Ce sont des gens très malins, ils se sont organisés en un réseau social ultra-sécurisé, un genre de Facebook pour riches... On discute placements, recherche de personnel de maison, vacances, combines fiscales. On décide aussi à qui et à quoi on donnera sa fortune - sûrement pas aux services publics, on veut non seulement savoir où va l'argent (accumulé notamment en échappant à l'impôt) mais décider à quoi il sera employé. Puisqu'on est riche, on sait ce qui est bon pour la collectivité mieux que l'Etat. C'est comme ça que j'ai découvert Giving Pledge et cette remarque, excellente :
"Même leur philantropie est louche. L'humanitaire, pour eux, c'est juste un nouveau paradis fiscal". (p. 194).

Les ultra-riches ont une super idée : acheter un pays qu'ils sauveront de la misère et où ils concentreront leur fortune en échanges de conditions fiscales privilégiées et d'une protection contre les hordes de pauvres qui cherchent à les dépouiller et qui commencent à se révolter, surtout en Europe.

"La richesse est une quête inlassable de ce qui ne s'achète pas... pour l'acheter.
Et il faut bien convenir que beaucoup de choses s'achètent en vérité : les entreprises, l'obéissance, l'influence, le luxe, le sexe, les îles, les politiciens, etc. Alors, oui, pourquoi pas un pays ?" (p. 253-254).

Ca se lit comme un thriller, un enchevêtrement d'opérations financières, de coups tordus, d'utilisation d'Internet et de Wikileaks, sans oublier ce qu'il faut de suspens et d'assasinats. Au milieu de tout ça, les acteurs politiques sont de toutes petites choses, soit incompétentes, soit corrompues, au mieux absentes. Ca ne fait pas rêver, mais ça aide peut-être à comprendre...
  

mardi 6 mai 2014

Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil

Haruki Murakami, Au sud de la frontière, à l'ouest du soleilJ'achève la relecture de Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil d'Haruki Murakami. Je relis peu, mais ai été attirée par le rouge à lèvres de la couverture et l'angoisse d'avoir (déjà) tout oublié de cette histoire à peine deux ans plus tard. Et ce titre assez bizarre, allusion à l'hysteria siberiana, qui fait fuir les paysans sibériens vers l'ouest du soleil quand ils n'en peuvent plus de l'étendue plate et vide qui leur sert d'horizon.

C'est une histoire de passé qui revient. Hajime est un homme ordinaire. Réservé, plus complexe qu'il ne le paraît et pas complètement moral, comme il le constate lui-même dès le lycée, en faisant souffrir profondément autrui. Suivent 10 ans de solitude et de profond ennui. Hajime est correcteur dans une maison d'édition, s'acquittant mécaniquement de tâches sans intérêt ; et sans amour à l'horizon.
 "Telle fut la troisième étape de ma vie : ces douze années entre mon entrée à l'université et mes trente ans, je les passai dans la solitude, le silence et le désespoir. Ce furent des années glacées, au cours desquelles je ne rencontrai pratiquement personne qui me paraisse en accord avec mon cœur" (p. 55).
A 30 ans, Hajime rencontre Yukiko. Enfin, il est amoureux, se marie, fonde une famille, ouvre deux clubs de jazz grâce à de l'argent prêté par le père de Yukiko, un homme d'affaires. Tout semble aller pour le mieux, la vie comblée et plutôt facile d'un Japonais fortuné, même si parfois, le doute l'envahit :
 "il m'arrivait de penser : "On dirait que tout ceci n'est pas ma vie", comme si je suivais un destin préparé pour moi par un autre, dans un lieu que je n'avais pas choisi (...). Pourtant, dans l'ensemble, je menais une vie heureuse, dépourvue de la moindre insatisfaction" (p. 77).
Jusqu'à ce que le passé resurgisse. Un passé qui n'avait jamais vraiment quitté Hajime, Hajime qui n'oublie personne, surtout pas les femmes qu'il a aimées. Hajime retrouve donc, par le plus grand des hasards, son amie d'enfance, Shimamato-San. Shimamato-San est très belle et porte du rouge à lèvres bien rouge et des vêtements coûteux. C'est bien plus qu'une amie, son doux secret, celle à qui il n'a jamais cessé de penser depuis ses 12 ans, à qui il ouvrait son cœur et peut l'ouvrir à nouveau. Leur relation est tout en subtilité, en non dits, platonique et pourtant envahie de désir, rythmée par les longues absences de la si mystérieuse Shimamato-San. Hajime est perturbé, il dort près de sa femme en pensant à une autre.
"Mon travail me passionnait et me rapportait des revenus confortables. Nous avions un appartement de quatre pièces à Aoyama, une petite maison dans la campagne à Hakone, une BMW et une Jeep Cherokee. Nous formions une famille unie. Ma femme et moi adorions nos filles. Que demander de plus à la vie ? (...) Ma vie familiale était parfaite. Je ne pouvais imaginer existence plus agréable que celle-là. Pourtant, depuis que  Shimamato-San avait disparu, j'avais l'impression de vivre sur la lune, privé d'oxygène. Sans Shimamato-San, je n'avais plus un seul lieu au monde où ouvrir mon cœur. (...). Ce serait bien si les souvenirs finissaient par s'user à force de les voir et de les revoir, me disais-je. Mais celui-là ne s'effaçait pas, loin de là." (p. 163-164).
Il faudra attendre la fin du roman, poignante, pour que quelques petites choses, très partielles, soient dites entre Hajime et Shimamato-San. On en reste aussi secoué et pantelant qu'Hajime, aussi amoureux et désespérément prisonnier. Prisonnier par exemple de l'argent, l'argent n'est pas innocent dans l'histoire. Prisonnier peut-être du fantasme, car Shimamato-San est iréelle. Et on reprend comme lui le cours de sa vie, dans la maison lézardée, le doute et la peur au ventre de ne pouvoir résister si cela recommençait.

J'en ai eu les larmes aux yeux tellement c'était juste. C'est un roman touchant mais qui ne cède jamais à la facilité de l'étalage émotionnel. La culpabilité lui est étrangère, il s'agit de décrire précisément des faits et des sentiments (les sentiments se nourrissant aussi des faits). Peut-être n'étais-je pas dans les dispositions d'esprit me permettant de goûter sa poésie réaliste, la première fois ; trop d'identification tue le plaisir de lire.

dimanche 27 avril 2014

A la recherche du lecteur perdu

A la recherche du lecteur perdu
« Pour lire, il faut pouvoir se couper d'une réalité afin de pénétrer une autre. Or, on rentre chez soi le soir avec des mails auxquels il faut répondre, des textos… L'homme moderne est en permanence en lien avec les autres. Les gens sont saturés d'information, ils n'ont plus d'espace intérieur pour désirer. »

Marie-Rose Guarnieri, libraire, citée par Laurent Carpentier, Le Monde, 25 avril 2014


Je suis donc un homme moderne.  Oui. Parfaitement.

mercredi 23 avril 2014

Sac


sacJ'ai fait des dizaines de rêves de sacs. Je voudrais les avoir tous consignés, m'en souvenir, les comprendre. Mais ils se dérobent tandis que le signifiant sac remonte impertubablement de mon inconscient. Il en reste des traces dans de vieilles notes éparses. Parfois, c'est un bagage, un cabas, le plus souvent un sac à main... des histoires de vols, de voyages, de peurs...

14 septembre 1998__ Rêve : je suis dans un grand hôtel.  Par inadvertance, je prends un sac de voyage qui n'est pas à moi. Quand je m'en aperçois, je décide de garder ce très beau sac. Je commets un vol. Comme je suis avec ma fille, je ne suis pas découverte comme auteure du vol. Conclusion : c'est mon bébé (ou le fait d'être mère) qui me disculpe d'un vol que j'ai commis.

14 septembre 1998__  Connexion avec un autre rêve que j'ai fait, à un autre moment de mon analyse : je possédais un très beau sac à main. Je rendais visite à mon père. Il "rangeait" (cachait) mon sac et ne voulait pas me le rendre, voulait me l'échanger contre un morceau de viande rouge que je ne voulais pas.

24 mai 2006 __ Rêve : je suis heureuse et amoureuse, je vais rejoindre Curedan. Je dois prendre le train, mais je n'arrive pas à trouver le chemin de la gare. Finalement, j'y arrive, l'horloge indique que le train est sur le point de partir, je cherche le quai, me dépêche. Et puis je réalise que j'ai oublié ma valise, j'hésite, je ne peux pas partir et pourtant je veux partir, il me manque. J'ai peur. Je me réveille.

Il y a deux ou trois nuits, je me promenais, sac à main habituel sous le bras, dans une ville méditerranéenne, espagnole ou italienne. C'était l'après-midi, par beau temps, un soleil éclatant. La pierre orangée des bâtiments anciens me faisait de l'œil.
En levant les yeux pour admirer une de ces façades lumineuses, j'apercevais un collègue,  quinquagénaire séduisant, posté en haut d'un muret ; nous devisions gaiement jusqu'à ce qu'il dise: "viens, grimpe ici, on sera mieux pour bavarder". Alors, j'escaladais le muret, laissant le sac trop lourd au sol, sans m'en préoccuper... Un oubli involontaire dans l'insouciance du moment ? Ou volontaire, laisser derrière soi ce qui pèse ? Pourquoi le choix de l'ascension proposée par un autre plutôt que de continuer mon propre chemin ? La conversation continuait, la recherche, la lutte, la politique ; jusqu'à ce que je me rende compte qu'à mes pieds, bien rangés, bien protégés, se trouvaient ses sacs à lui, l'universitaire soigneux aux deux sacs alignés, prêt à partir, on ne sait jamais, deux précautions valent mieux qu'une, les mandarins le savent.

Alors, dans la panique, je me souvenais du mien, de sac, toute ma vie dedans. Mes clés. Mon ordinateur. Les photos de mes enfants.  Les papiers d'identité qui me permettraient de quitter la ville.  M'y sentais soudain extrêmement attachée, à mon vieux sac rempli de toutes mes affaires si précieuses. Je me précipitais au bas des escaliers devant nous, refaisais le tour du bâtiment, constatais l'emplacement vide  au pied du muret, ne voulait pas qu'il en soit ainsi. Puis, dans un coup d'œil circulaire, j'apercevais le sac s'éloigner dans les bras d'un vieil homme, l'allure pauvre, les cheveux blancs, le regard triste ; j'allais vers lui et violemment reprenais mon bien (probablement en criant). En me sentant gênée et coupable. Effrayée. Demi-sommeil. Me conduire ainsi, de façon barbare, pour rien, une conversation au soleil et l'incapacité à prendre des précautions minimales en présence d'un intellectuel séduisant. Goût de cendres. Réveil.

lundi 14 avril 2014

Origami

origami
Lecture des mails du jour, surprise : une amie ressurgit. Elle pensait à moi, m'a cherchée sur internet, internet ce mouchard qui livre sans broncher CV, centres d'intérêt, photos, même ma voix qui résonne dans son appartement à 1000km de là. Ah bon. C'est de ma faute, aussi, c'est moi qui nourrit la bête virtuelle.


Il faut croire que cela ne suffisait pas, ces traces digitales officielles. Alors, elle m'a écrit. Un mot, deux, trois, savoir ce que je deviens, ce que je lis. Comme autrefois. Autrefois au lycée. Autrefois quand je pensais que toute notre vie nous serions amies. Un peu comme les amours : éternelles, pensais-je à l'époque lointaine du papier à lettres noirci, du choix des mots avant d'écrire, raturer ça fait des pâtés. L'âge des absolus, l'âge des certitudes. Des timbres, des enveloppes et de l'attente.


La lectrice lit l'amie très chère de l'âge des absolus et des certitudes à  l'âge de la maturité et des illusions perdues. Les illusions perdues sont le poison qui freine le torrent de l'affection bouillonnante du temps des certitudes. L'amie est revenue. Pourquoi. On l'a interrogée sur ses amis alors elle s'est tout à coup souvenue de moi. Ah tiens. Ou bien elle avait besoin de stimulation intellectuelle, références bibliographiques, questions-réponses existentielles, mes domaines d'expertise depuis les années lycée. Voilà ce que cyniquement, je pense. Est-ce qu'elle s'envolera à nouveau, oiseau de papier, origami bientôt réduit en copeaux. Est-ce que ça me blessera, l'essentiel en fait est là. Je raisonne pour ne pas m'emballer, ne m'engage pas trop.


Pourtant je ne peux pas m'empêcher de raconter, lui raconter très vite et beaucoup et intimement. C'est ainsi, c'est mon amie, mon amie aimée et envolée, perdue et revenue. Oiseau de papier. Mon cœur se gonfle de joie de te retrouver, je n'y peux rien à cette joie qui est encore là le lendemain et les jours suivant. Mais je sais maintenant que les amis, c'est comme les amours, ça va, ça vient. Plus de nouvelles, ça arrive. On souffre un peu, beaucoup, un jour, deux jours ou bien au-delà, on n'en meurt pas, on continue. Au bout du compte, rester disponible, ne pas se laisser envahir par la méfiance ou la déception, sentir intacte l'envie d'aller vers autrui malgré la lucidité.

mercredi 9 avril 2014

Encore une citation

Stefan Zweig, Trois poètes de leur vieIl y a des matins où on se réveille rêveuse, se remémorant la justesse d'un paragraphe lu la veille. En musique, il s'accommoderait  parfaitement  de Schönberg (La nuit transfigurée).



"En effet, c'est là l'éternel tragique de l'intellectuel : tandis qu'il est fait pour connaître toute l'ampleur et la volupté de l'existence et qu'il brûle de le pouvoir, il reste malgré tout, lié à sa tâche, esclave de son labeur, assujetti par des devoirs qui lui sont imposés, captif de l'ordre et de la terre.
Tout artiste véritable vit la plus grosse moitié de son existence dans la solitude et dans le duel qui se poursuit entre lui et sa création ; ce n'est pas immédiatement, mais rien qu'au miroir de celle-ci qu'il lui est permis de goûter la multiplicité désirée de l'existence. Seul celui qui vit pour vivre, celui qui n'est pas créateur, qui se borne à jouir, peut être libre et prodigue. Celui qui se propose des fins à atteindre passe à côté de la belle aventure : un artiste ne décrit le plus souvent que ce qu'il a négligé de vivre.
Quant aux jouisseurs sans entraves, qui sont la contrepartie de l'artiste, il leur manque presque toujours la puissance d'élaborer les multiples événements de la vie. Ils se perdent dans le moment et ainsi ce moment est perdu pour tous les autres, alors que l'artiste sait éterniser même la plus petite chose. Par là les buts divergent, au lieu de se compléter fructueusement : aux uns manque le vin et aux autres la coupe. Paradoxe insoluble : les hommes d'action et de plaisir auraient à raconter plus de choses vécues que tous les poètes, mais ils en sont incapables. Au contraire, les créateurs sont obligés d'inventer parce que rarement ils ont assez d'expérience vécue pour en faire l'objet d'un récit."


Stegan Zweig, Trois poètes de leur vie, p. 127, à propos de Casanova



 Je ne me sens ni créatrice, ni jouisseuse, peut-être quelque part entre les deux ?, comme la sensation d'un écartèlement perpétuel entre l'élaboration calme, ascétique et solitaire et la jouissance pressée de l'abandon vital sans pensée.

Mais je rencontre parfois des poètes qui inventent plus qu'ils ne vivent et des jouisseurs incapables d'élaborer.

mardi 8 avril 2014

Musique

Je voudrais que sur ce blog il y ait, quand on ouvre un billet, la musique de l'humeur de la lectrice. Pas une vidéo qu'on met en marche, juste une petite musique qui monterait du texte et ferait corps avec lui.


Dimanche à Pondichéry, ce serait une musique lancinante de Nusrat Fateh Ali Kahn, Mustt Mustt. Aujourd'hui, journée mi-figue mi-raisin, spleen et fatigue mêlés de soleil, ce serait Barbara, mal de vivre et joie de vivre.

BarbaraQu´on soit de Rome ou d´Amérique
Qu´on soit de Londres ou de Pékin
Qu´on soit d´Egypte ou bien d´Afrique
Ou de la porte Saint-Martin
On fait tous la même prière
On fait tous le même chemin
Qu´il est long lorsqu´il faut le faire
Avec son mal au creux des reins

Ils ont beau vouloir nous comprendre
Ceux qui nous viennent les mains nues
Nous ne voulons plus les entendre
On ne peut pas, on n´en peut plus
Et tous seuls dans le silence
D´une nuit qui n´en finit plus
Voilà que soudain on y pense
A ceux qui n´en sont pas revenus

Du mal de vivre
Leur mal de vivre
Qu´ils devaient vivre
Vaille que vivre

Et sans prévenir, ça arrive
Ça vient de loin
Ça c´est promené de rive en rive
Le rire en coin
Et puis un matin, au réveil
C´est presque rien
Mais c´est là, ça vous émerveille
Au creux des reins

La joie de vivre
La joie de vivre
Oh, viens la vivre
Ta joie de vivre

Et demain ? Demain est un autre jour, comme disait Scarlett.

dimanche 6 avril 2014

Bienvenue chez Pondychérie (a statistical story)

Pondichéry
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encoreunelectrice.blogspot.com
et j'imagine que pendant ce temps-là,sous le pont mirabeau coule la seine
exercice sur michka le petit ours
femme wonder woman
femmes russes belles
film wonder woman
film wonderoman
fuke je n'ai marre
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inde Pondichéry
j'en ai marre
la lecture abandonnée
lectrice
lectrice de nouvelle fuck you
marre des klaxons à Pondichéry
modes de paris
off!
paris années 70
patchwork vacances
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pondichery 2013
pondichery photo
pondy ville
pondychérie
ras le bol de tout
ressenti de la maitresse apres avoir ete quittee
sri aurobindo leonard Cohen
"franz bartelt"


C'est la liste des mots clés qui ont amenés des visiteurs ici depuis juin 2013. On vient pour l'Inde, pour la carte et la beauté de Pondichéry.  Erreur d'aiguillage, malheureusement Pondichéry je n'en parle que très peu même si l'endroit reste beau, dans mes souvenirs d'il y a bientôt 20 ans. Après Bombay, Goa, Madras, nous étions arrivés à Pondichéry. Des amoureux très amoureux (ce qui ne m'a pas empêché d'entamer une psychanalyse à mon retour en Europe quelques jours ou semaines plus tard ; un trop-plein de spleen et d'angoisse, malgré l'amour). Je me rappelle une soirée dans un restaurant français, celui du consulat ou de l'ambassade je crois. Nous étions heureux, le choc culturel encaissé, les épisodes de turista derrière nous, enfin acclimatés au pays, avec plein de sensations et d'images colorées dans la tête. J'avais croqué dans ma première baguette depuis 3 semaines. Bu un verre de vin rouge. Dégusté un plat en sauce. Je m'étais alors sentie pleinement, entièrement française ; c'est peut-être l'instant de ma vie où j'ai été le plus française. Ensuite, nous avions dormi dans un lit blanc, dans la paix et le silence de l'ashram. J'en garde un goût jamais démenti depuis lors pour les lits blancs, beiges, crèmes, à la limite taupe ou gris, des tons neutres et de préférence lumineux. Au matin, la lumière entrait à flots dans la chambre. Un intérieur dépouillé. Au-delà de la fenêtre, un jardin avec des palmiers. Plus loin, l'océan, le ressac. Derrière l'immeuble, le bruit des scooters et des interpellations en tamoul. C'est loin, Pondichéry. Si loin, si proche.


Pendant la période de juin 2013 à aujourd'hui, 62,9% des visiteurs n'ont fait qu'une seule visite sur le blog. Les 37,1% de visites restantes correspondent pour l'essentiel (31,8%) aux visites de deux personnes : les miennes, les plus nombreuses (16,8%) et celles d'un lecteur (15,0%) que je connais personnellement et qui est pour beaucoup dans la création de ce carnet de lectrice (bien qu'il pense le contraire). Je soupçonne également qu'une bonne partie des visiteurs restant sont d'autres moi-mêmes, car je reconnais mes destinations de voyage parmi les localisations géographiques.

Je vérifie ainsi empiriquement une théorie bien connue dans les mondes numériques : une très faible quantité de l'internet est vraiment fréquentée et lue. On l'estime généralement à moins de 1% de l'ensemble des contenus disponibles, parfois 0,5%. Cette partie fréquentée est celle où des auteurs interagissent entre eux dans des communautés, ou disposent d'une légitimité personnelle qu'ils reconvertissent sur internet. C'est celle qui est repérée par les moteurs de recherche. Le reste est constitué de petits espaces confidentiels qui n'intéressent que ceux qui les rédigent.


Cela me convient très bien. Je trouve même rassurant de savoir que je ne serai pas démasquée de sitôt.