Si je suis devenue lectrice, c'est surtout parce que j'ai eu un gros chagrin d'amour. Un chagrin d'amour comme on pourrait en avoir à 16 ans, sauf que j'en avais 36. Des enfants, une maison, un boulot, un compagnon même. Mais je me foutais de tout, j'étais juste triste. Une tristesse incommensurable. Un été, l'été où ça s'est passé, juste après l'hiver où tout avait commencé à aller de travers, j'étais allée rejoindre cet homme que j'aimais. Il faisait beau et on s'est allongé dans l'herbe d'un parc. Dans ses bras, je me sentais toujours heureuse et à ma place, mais ce jour là, je me suis mise à trembler. Il a dit, je t'aime, ma chérie, mais tu sais qu'on ne peut plus être ensemble, je veux vivre autre chose... ne m'attends pas. J'ai répondu, tandis que je m'effondrais : pourquoi tu es comme ça, tu ne m'aimes plus ? Dis moi au moins que tu ne m'aimes plus, s'il te plaît, je me suis mise à supplier, s'il te plaît, dis le moi, sinon je vais mourir, tu me tues. Je me suis recroquevillée sur moi-même, tenant ma tête dans mes mains parce que j'avais l'impression qu'elle allait exploser. Lui a répondu, avec son sourire irrésistible, et son sang-froid habituel, tout en me ramenant dans ses bras et me caressant le dos comme autrefois, mais je t'aime toujours, je t'aimerai toujours, pas de la même façon, c'est tout. Ca me détruisait, cette affection au rabais, un mal de chien... Alors, je suis partie, j'en pouvais plus de son sourire, de ses tendresses minables, de ses phrases toutes faites, tellement positives, I feel good na na na na na.
Je suis allée me réfugier chez une amie, en montagne. Je lui ai demandé, à elle, "mais enfin pourquoi il ne m'aime plus ?". Elle a seulement répondu : "les gens changent... il a changé...". C'est vrai que les gens changent. Il n'y a peut être que moi qui reste la même, toujours dans l'affectif, à y croire, à vouloir l'éternité. A me heurter au réel et à me faire mal. Ou peut-être que je me raconte que je suis au-dessus de tout ça, une héroïne, toujours dans l'absolu, toujours mieux que les autres, toujours à souffrir. J'écoute "In my secret life" de Léonard Cohen, je pense : c'est moi.
Alors ma vie s'est vidée comme la baignoire se vide en faisant gloup gloup gloup. Je faisais gloup gloup gloup avec mes sanglots, pendant des bains interminables, je regardais ma vie s'écouler comme une pluie sale dans le caniveau. J'ai basculé dans le virtuel, pour oublier un peu la douleur, regarder la vie des autres qui ne me voyaient pas, me consoler avec leurs mots et leurs malheurs. J'en ai lu des journaux intimes en ligne, des histoires de séparation, d'adultère, de divorces, des blogs de mode et des recettes de cuisine... des forums sur les parents, sur les enfants, sur les amants, sur les maris, sur les gentils, sur les méchants, sur les malades, sur les bien-portants. Plusieurs années après, quand enfin ma vie s'est mise à aller mieux, que j'ai repris goût au travail, à la cuisine, aux livres, j'ai commencé à taper des phrases rituelles dans un moteur de recherche - parfois je tombais sur l'homme du chagrin d'amour, je le regardais, tantôt avec nostalgie, tantôt avec dégoût.
De temps en temps, je découvrais autre chose. C'est comme ça que je suis arrivée sur une île, à mille miles de toute terre habitée. Il n'y avait personne, je pouvais me promener tranquillement, m'asseoir sur un banc et lire. Le climat était doux. Je me sentais bien, comme si j'avais enfin atteint la destination finale de ce long voyage. Le Robinson qui vivait sur cette île n'était pas liant. A chaque fois que je lui parlais, tentais vainement de lui dire à quel point j'étais bien sur son banc, il m'envoyait bouler. Ca me blessait. J'imaginais que ce Robinson n'était pas le vrai, que c'était un imposteur qui avait été placé là par hasard, pour remplacer le véritable gardien de phare parti en voyage, qui lui m'aurait accueillie différemment, comme Robinson avait accueilli Vendredi.
De temps en temps, je découvrais autre chose. C'est comme ça que je suis arrivée sur une île, à mille miles de toute terre habitée. Il n'y avait personne, je pouvais me promener tranquillement, m'asseoir sur un banc et lire. Le climat était doux. Je me sentais bien, comme si j'avais enfin atteint la destination finale de ce long voyage. Le Robinson qui vivait sur cette île n'était pas liant. A chaque fois que je lui parlais, tentais vainement de lui dire à quel point j'étais bien sur son banc, il m'envoyait bouler. Ca me blessait. J'imaginais que ce Robinson n'était pas le vrai, que c'était un imposteur qui avait été placé là par hasard, pour remplacer le véritable gardien de phare parti en voyage, qui lui m'aurait accueillie différemment, comme Robinson avait accueilli Vendredi.
Après, j'ai compris, que Robinson se protégeait. Mais c'est une autre histoire, son histoire, que j'ignorais alors totalement.