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lundi 5 novembre 2012

Bagatelle


Lingerie
Esméralda est la seule personne de ma famille qui m'ait jamais livré des secrets de séduction. Quand j'étais ado, elle m'offrait de la lingerie fine, elle disait : c'est de ton âge !, et ma mère même si elle n'était pas d'accord et trouvait que ce n'était pas du tout de mon âge, n'osait pas contrarier sa soeur.
Un peu plus tard, elle m'a dit : tu sais qu'il y n'a que deux choses pour retenir un homme, la cuisine et la bagatelle. S'il va voir ailleurs, tu pourras toujours faire la cuisine... On riait, quand elle disait ce genre de chose. Encore maintenant.
La lingerie a une histoire. Elle a connu une mutation fabuleuse au début du XXème siècle, quand les femmes ont abandonné le corset pour des dessous plus légers, qui se sont généralisés. Cependant, le soutien-gorge fait plus de mal que de bien, paraît-il, surtout dans les pays d'Europe du Sud où il est porté très précocément. En quelques années, les muscles qui soutiennent les seins s'atrophient, la poitrine tombe, rendant ainsi plus nécessaire le soutien-gorge. Si on ne portait jamais de soutien-gorge, les seins ne tomberaient pas (ou beaucoup plus tardivement). Le soutien-gorge est donc une invention géniale de l'industrie pour nous faire croire qu'elle règle, de façon élégante et sexy, un problème qu'elle a elle-même créé. C'est en tout cas ce qu'affirme un médecin du sport de Bensançon, qui a mené des expériences "seins libres" et effectué des mesures précises du redressement des seins ayant renonçé au soutien-gorge.
Pas si facile pourtant d'enterrer les bustiers et la dentelle... Que deviendrons-nous sans eux, et sans la bagatelle ? Ne serait-ce que dans nos pauvres fantasmes contraints par l'industrie textile.
Récemment, j'ai appris que la bagatelle est... une recette de cuisine, du Québec, un genre de trifle, doux et réconfortant, comme Esméralda. Quand nous serons bien vieilles, le soir, à la chandelle, il restera toujours la bagatelle culinaire...

Liaisons dangereuses

Liaisons dangereuses
Avant-hier, ma tante Esméralda, une femme charmante mais un peu sorcière, qui s'est toujours sentie concernée par la séduction, m'a parlé rencontres sur internet. Ca l'intéresse,  à près de 70 ans et après plus de 40 ans de mariage. Moi aussi. Intriguants, en effet, tous ces  hasards qui se produisent dans les souterrains cybernétiques, on se demande à qui on a affaire, il faudrait rester méfiant et puis on risque des déceptions, mais quand même, il se trame de bien jolies histoires parfois... Vas-y  je t'écoute, je lui dis, c'est pour mes recherches (tu parles...). Elle : tu te souviens de Babe ? Une de mes amies, une voisine, qui avait deux enfants. Eh bien, raconte-t-elle émoustillée, elle s'est mise à jouer au scrabble sur internet. Elle a toujours joué, et là elle avait les parties à domicile, alors tu penses...  jusqu'à trouver un partenaire en ligne. Ils ont bavardé, sympathisé, charmant le type, et puis exerçant quasiment la même profession que le mari... qu'elle a fini par quitter pour son partenaire de scrabble, tandis que lui quittait sa femme. Ils se sont mariés, depuis. 
Après, elle me dit : et t'as pas connu toi, Gédéon, le copain de Phœbus (Phœbus est le mari d'Esméralda) ? Non, tu dois pas te souvenir, t'étais petite... Il y a quelques années, il a perdu sa femme. Il l'aimait tellement, en admiration il était, on se disait qu'il n'en trouverait jamais une autre... eh bien six mois plus tard, il était amoureux ! Il s'était fabriqué une fiche sur Mie-tic, espérant lutter contre la solitude. La soeur de sa (future) dulcinée a vu cette fiche et a dit à cette femme : je crois que ce type te conviendrait. Quand ils se sont rencontrés, sur un parking (note romantique du récit), ça a été le coup de foudre, il paraît. Et tu vois, cette femme ressemblait trait pour trait à celle qui était morte... ça m'a fait bizarre, à moi, de voir comme une copie de ma copine en plus jeune.
Je lui réponds : il paraît qu'on cherche toujours la même personne, il y a une dimension inconsciente là-dedans. Et pour ne pas être en reste : tu sais ce que j'ai entendu à la caisse du supermarché l'autre jour ? Une caissière qui demandait à une dame pourquoi son fils ne l'accompagnait plus pour faire ses courses. La dame avait un air dépité. Elle a dit : il a quitté la maison, du jour au lendemain. Une femme est venue le chercher, avec ses affaires. 12 ans de plus que lui, bon c'est pas une question d'âge mais vous vous rendez compte, elle n'est même pas montée me dire bonjour, à moi, alors que je marche avec une canne, aucun respect pour une handicapée. Il vit avec elle, maintenant, à l'autre bout de la France. Trop bonne pâte, il lui refait sa maison de 200 mètres carrés (on aurait dit que la précision du nombre de mètres carrés ajoutait à la démonstration : elle l'a répété plusieurs fois). Mais est-ce qu'elle va le garder, après ? C'est pas sûr. En tout cas, qu'il ne s'avise pas de revenir à la maison, il n'aura plus de chambre ! Tout ça, c'est internet, il y passait des heures, ah il avait bien préparé son coup...

On sentait toute l'amertume et la mesquinerie de la femme délaissée. On avait envie de lui dire : laissez-le donc vivre un peu, votre fils, madame.
Autrefois, il y avait eu cette chanson de Barbara : Madame, quand la mère avait gagné.

Je reçois, à l'instant où je rentre chez moi
Votre missive bleue, Madame.
Vingt fois je la relis, et mes yeux n'y croient pas.
Pourtant, c'est écrit là, Madame
Et de votre douleur, je me sens pénétrée
Mais je ne pourrais rien, Madame.
Vous savez, aujourd'hui, que de l'avoir perdu,
C'est lourd à supporter, Madame.
Vous demandez pardon de n'avoir pas compris
Ce qu'était notre amour, Madame.
Vous n'aviez que ce fils, vous aviez peur pour lui
Et vous l'avez gardé, Madame.
Ne me demandez pas ce qu'a été ma vie
Quand vous me l'avez pris, Madame.
Je me suis toujours tu, ce n'est pas aujourd'hui
Que je vous le dirais, Madame. 
etc.

Là, la mère avait perdu. Esméralda, tellement maternelle, dont un enfant est mort, était choquée qu'on puisse tirer un trait sur un fils. Pourtant c'est ainsi que les femmes se comportent, à se bagarrer pour être la préférée, à éliminer la mère ou la conjointe indésirable, à s'arracher les hommes... Rivalités conscientes et inconscientes, le marché télématique n'est pas différent. La nuit dernière, j'ai justement rêvé d'une grande scène d'engueulade avec ma belle-mère, sous les yeux de son fils qui est aussi mon compagnon et qui semblait incapable de choisir son camp...