Quelque part dans des rayonnages de bibliothèques universitaires, il y a un livre que je n'ai pas lu en entier et dans lequel je figure pourtant. Je l'avais reçu dans ma boîte aux lettres : un de ces ouvrages arides auxquels je ne comprends pas grand chose. Je me demandais pourquoi l'homme du chagrin d'amour me l'avait envoyé, à part pour se vanter de l'avoir écrit...
J'ai ouvert. Et j'ai vu, imprimé, en petits caractères, sur une des premières pages : "A Lectrice". Il me l'avait donc dédié, ce livre. J'en ai pleuré de bonheur, d'être là dans ce qui était tellement lui, son œuvre, ce dont il est le plus fier. C'était une belle surprise (il y a également, camouflée dans l'introduction, une expression qu'il utilisait pour me nommer tendrement, qui m'a tout autant touchée). Puis, quand nous en avons parlé, il a dit qu'il m'avait dédié ce livre en pensant que toute personne qui l'ouvrirait verrait que nous étions liés, et que cela serait éternellement ainsi, même bien après que nous aurons disparu de cette terre, quand les bibliothèques elles-mêmes auront disparu. C'était très romantique. Parfois, de passage dans une librairie, il le faisait commander, pour s'amuser, disait avec un clin d'œil à la vendeuse : c'est un super livre, dommage que vous ne l'ayez pas.
Le livre a été publié en poche, récemment, je ne sais pas si la dédicace y figure toujours. J'ai appris depuis que je n'étais pas la première femme objet d'une dédicace de cet auteur ; il y en avait eu une autre avant, à qui il déclarait sa flamme de façon plus explicite. Pour les livres suivants, il est devenu prudent, met désormais la dame du moment dans les remerciements - ça ne ferait pas très sérieux, pour la postérité, ce grand intellectuel qui papillonne de femme en femme et jure à chacune l'amour éternel en en-tête de ses livres...