A la faveur d'une pêche improbable dans une boîte à livres, j'ai (re)passé un moment avec Le poulpe, le héros de la série éponyme créée par Jean-Bernard Pouy. Le poulpe, alias Gabriel Lecouvreur, enquêteur improbable, habitué du café au Pied de porc à la Sainte-Scholasse, renifleur hors pair d'affaires louches, amant de la belle Cheryl et ami à la vie à la mort de Pedro, antifranquiste et imprimeur de talent (pratique pour les faux papiers et les armes de contrebande).
Le poulpe, c'est toute ma jeunesse, je l'ai connu étudiante, à un festival du polar, me suis laissé emprisonner dans ses tentacules parce qu'on ne pouvait pas faire autrement, à l'époque. J'ai une tendresse particulière pour les poulpes de Didier Daenincx, Nazis dans le métro et Ethique en toc (qui porte sur l'incendie de la bibliothèque universitaire de Lyon II). J'avais aussi bien aimé La petite ecuyère a cafté, de Jean-Bernard Pouy, et Les Pis Rennais, de Pascal Dessaint, et ensuite, j'ai décroché. Je saturais de toute cette noirceur, qui me minait. Et puis ce style lourdingue et ces intrigues compliquées, la répétition des personnages et des situations, ça suffisait. C'est comme ça que j'ai arrêté.
Et puis hop, 20 ans plus tard, je tombe sur J'aurai ta Pau, bien planqué au fond du bac. Vu que c'est Cesare Battisti, ça sent le souffre, et je trouve rigolo de revenir au poulpe après tout ce temps. Et puis, je me demandais ce que devenait Battisti. Je vois sur Wikipedia qu'il n'a toujours pas réglé ses problèmes de statut et de fugitif. A plus de 60 ans, quelle vie.
Mais revenons à la lecture de J'aurai ta Pau, livre court, mais pas très efficace question intrigue. Je trouve que ça a mal vieilli, ces histoires de notables de province qui tiennent tout, de l'usine du coin à la mairie en passant par le commissariat et le trafic de stups. Je n'arrive même plus à y croire un tout petit peu, le tout petit peu nécessaire à une concentration sans faille sur l'intrigue.
Ca existe sûrement encore, mais on y croit plus, peut-être parce que des intrigues politico-affairistes, on en bouffe toute la journée, et pas que localement, de nos jours.
En plus, dans celui-là, on croise à peine Cheryl et Vlad.
Une déception donc, malgré mon amitié pour la cité de Pau, dont Minerva est originaire. La confirmation qu'il ne faut jamais revenir aux anciennes amours, on est toujours déçu.e.
Petite citation quand même, pour la route, qui est longue jusqu'aux Pyréenées :
"Gabriel regarda l'heure, la Lilly allait exploser dans exactement huit minutes. Il sourit, les dents serrées, parce que, pour quelqu'un qui joue sa vie sur un coup de dé, c'est déjà beaucoup qu'il ne le fasse pas avec des larmes dans les yeux. Il glissa sa main dans sa poche et répandit sur le bureau une poignée de petits éléphants roses. Le tic de Cuomo entra de nouveau en action.
_ La brigade des stups est déjà sur place et si je ne sors pas d'ici il faudra ajouter le meurtre de flics à votre CV.
Cuomo le regarda incrédule, hocha la tête et éclata de rire.
Gabriel sentit quelque chose de froid et de dur contre sa nuque. Au même moment, il vit la silhouette d'une mitraillette passant la porte."