vendredi 5 juin 2015

Les mains du miracle

Joseph Kessel, Les mains du miracle

Pactiser avec l'ennemi

Pactiser avec l'ennemi. Le faut-il et si oui, pourquoi et comment ? Ces questions sont au cœur du roman de Joseph Kessel, Les mains du miracle, paru en 1960 et qui n'a pas pris une ride. Une histoire vraie de la période nazie en Allemagne, la vie très romanesque de Frédéric Kersten, thérapeute manuel d'Heinrich Himmler. C'est mon premier Kessel, je n'ai même pas lu Le lion. Dans Les mains du miracle, le style me semble journalistique et inutilement dramatisé, pourtant on va jusqu'au bout sans avoir envie de s'arrêter en route, c'est déjà pas mal.

Soigner l'ennemi

Kersten n'a guère le choix que de soigner l'ennemi. Suédois exerçant son art de la kinésithérapie à Berlin dans les années 20 où il est venu faire ses études, il a pignon sur rue, avec une clientèle internationale partagée entre Berlin, la ville de ses études ; La Haye, où il possède une résidence secondaire ; et Rome, où il soigne la noblesse italienne. Il se tient à l'écart de la politique, n'apprendra l'arrivée d'Hitler au pouvoir que par ses patients. Pour lui, rien ne change pendant plusieurs années, le tumulte des années 1930 ne le touche pas. Fortune faite, il possède un beau domaine à la campagne, où sa femme élève leurs enfants et fait pousser de jolis légumes. Des joies simples, et la satisfaction de guérir. Jusqu'à ce qu'Himmler en personne lui demande de le soigner, et c'est là que ça se corse. Il ne peut refuser, cela serait imprudent.

Réduire l'ennemi

Puis, il se découvre puissant, et même très puissant, quand il comprend qu'Himmler ne peut se passer de lui. Que lui Kersten, le pacifiste, l'homme tranquille qui ignore la guerre, a même le pouvoir d'arracher à Himmler des juifs promis à la chambre à gaz, par la seule puissance de ses mains. Pactiser avec l'ennemi signifie ainsi réduire, contourner l'ennemi, sauver des êtres humains condamnés à la prison ou à la déportation. Procurer le soulagement du massage en échange de services. Avec la peur au ventre, quand même, pour le Dr. Kesrten et sa famille. A la fin de la guerre, quand Hitler ordonne de faire sauter tous les camps de concentration, Kersten dissuade Himmler d'appliquer la directive. Il joue sur l'orgueil immense d'Himmler, lui faisant croire qu'il restera dans l'histoire comme le sauveur des juifs... Ce n'est pas la première fois que Kersten utilise la ruse :
"Le 17 mars [1945, NDL], pendant l'un de ses derniers traitements, le docteur demanda de la façon la plus naturelle à Himmler :
- Que diriez-vous si un délégué du Congrès Mondial Juif venait mettre complètement au point avec vous la libération des Juifs que vous m'avez promise ?
Himmler fit un bond sur sa couche et cria :
- Mais vous êtes fou, voyons ! Fou à lier ! Mais Hitler me ferait fusiller sur-le-champ ! Quoi ! Les Juifs sont nos ennemis mortels et vous voulez que moi, le second dans le Reich, je reçoive un de leurs représentants ?
Kersten secoua la tête.
- Ce n'est plus le moment, dit-il, pour l'Allemagne , ni pour vous, de compter qui sont les amis et qui sont les ennemis. Vous ne devez plus avoir qu'un seul souci : l'opinion du monde et de l'Histoire. Eh bien, si après tout ce qui a été fait en Allemagne contre les Juifs, vous recevez un de leurs représentants, l'opinion dira : "Il n'y a eu dans le IIIème Reich qu'un seul chef germanique vraiment courageux et vraiment intelligent : Heinrich Himmler".
Déjà le Reichsführer n'était plus sûr de lui, hésitait. Il demanda :
- Vous le croyez vraiment ?
- J'en ai la certitude absolue, dit Kersten."

         Joseph Kessel, Les mains du miracle, p. 363 

 

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