Il se confirme que j'apprécie Nouveau Dentiste l'Optimiste. Un type bienveillant, qui s'enquiert de savoir si j'ai mal, fait une petite blague en passant quand la fraise s'enfonce douloureusement dans mes chairs à vif. Et il voit les choses du bon côté, t'inquiète pas, laissons faire le temps, on va la sauver ta dent. Comme j'aimerais le croire.
Depuis toujours, je goûte le mystère et la dissimulation, preuves tangibles qu'il est possible de se soustraire au regard de l'Autre. Chez Nouveau Dentiste l'Optimiste, je suis servie. En se croisant dans le couloir, on fait mine de rien, un vague sourire, me reconnaît-il seulement, je ne sais. Ensuite, je m'installe dans la salle d'attente avec un livre, que je ne lirai pas puisque j'écoute les conversations. Dissimulation. J'entends dire que Nouveau Dentiste l'Optimiste est pénible parce qu'il est toujours en retard ; mais qu'il est tellement agréable et compétent. C'est vrai, pensé-je. Je reste longtemps, dans la salle d'attente, me faufile dans le cabinet entre deux patients, on me regarde bizarrement, je ne vais quand même pas leur dire que je me surajoute à son agenda déjà archi-plein. Je suis la première à détester les privilèges, c'est tellement énervant. Je m'énerve moi-même d'être venue, qu'est-ce que je fous là, c'est quoi cette idée qu'un copain d'un copain me soigne, n'importe quoi.
Au bout d'un moment, l'assistante me fait entrer, elle devine la relation vaguement amicale avec son patron puisque, la porte refermée, on s'embrasse gentiment sur les deux joues : "salut, ça va ?". Elle reste discrète, s'enquiert seulement de savoir si je suis musicienne. Non, je réponds en souriant. Pas de détails, restons dans le mystère. Nouveau Dentiste l'Optimiste se dissimule aussi, parlera surtout de ce qu'il conviendrait de faire maintenant. Je me sens gênée, de le connaître dans son environnement professionnel, sa blouse blanche doucement appuyée contre mon pull bleu ; je préférais quand on buvait un verre la semaine dernière. Peut-être que lui aussi se sent gêné, de connaître mes caries, mes couronnes, mon haleine de chacal, une intimité un peu dégoutante (existe-t-il des intimités qui ne soient pas un peu dégoutantes ?), tellement différente de la vie dehors.
On n'évoquera pas non plus ses états d'âme, ses textes mélancoliques ou ironiques qu'il m'est arrivé d'entendre chantés ou de lire, à la dérobée, par dessus une épaule familière. Dissimulation. Représentation.
A la prochaine, alors, Nouveau Dentiste, peut-être pas si optimiste.
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