Le genre est assez standardisé. En entendant une amie me conter son histoire, j'ai eu envie d'écrire une telle chronique. C'est une fiction, bien sûr, car je ne connais pas les aboutissants ultimes de l'histoire... peut-être y'aura-t-il un jour un Happy End, mon amie en rêve, je crois.
Premier jour
J'arrive au restau du quartier, on a prévu un repas entre collègues. Je ne le connais pas, c'est un nouveau venu qui vient d'arriver dans un autre service que le mien. Il est beau, doux, intelligent, je me sens en confiance tout de suite. On papote, je le trouve charmant. Les mois suivants, on a peu l'occasion de se croiser, mais sur certains sujets, on travaille ensemble. Sur un gros dossier difficile qu'il me faut absolument mener à bien, il s'investit, me donne des conseils judicieux. Parfois, au téléphone, on parle de choses plus personnelles, mais il s'interrompt brutalement, coupe la conversation, prétextant quelque chose à faire. Je ne sais pas si nous sommes amis, je crois que oui mais je ne suis pas sûre. Parfois, il disparaît de longues semaines de ma messagerie et de ma vie.
L'été qui suit, je pense à lui, même quand je suis en vacances avec mon mari. Cela commence à m'inquiéter, j'en parle à des amies qui se moquent gentiment de moi et me rappellent qu'à notre âge, après toutes ces années de vie commune, oui on fantasme, c'est bien légitime. Je me dis qu'en effet, c'est un fantasme, mais bon, le collègue est marié avec enfants, je prends quelques distances. On se voit de temps à autre, c'est amical, il a l'air de passer un moment difficile dans sa vie personnelle, il se confie, je l'écoute.
Un matin d'hiver, il me téléphone et me dit tout à trac qu'il ressent pour moi quelque chose qui s'apparente à un sentiment amoureux. Qu'il préfère que je le sache parce qu'il a de la difficulté maintenant à travailler sur les sujets que nous devons prendre en charge, qu'il vaudrait peut-être mieux qu'on ne se voie plus pendant un moment. Je tombe des nues. Je suis émue, bouleversée. Je suis amoureuse comme une gamine de 15 ans. Je le lui dis.
On commence alors à se voir, plus intimement, quand le travail et les vies familiales le permettent, c'est-à-dire pas très souvent. Dans l'intervalle, on se téléphone, on s'envoie des messages tendres. Il nous arrive de travailler ensemble, les collègues ne se doutent de rien. En revanche, la relation bouscule de plus en plus ma vie conjugale. J'annonce à mon mari que je m'installerai prochainement seule. Je ne vois pas que mon amoureux ne fait pas la même démarche, de son côté, il est si séduisant, je suis aveuglée par l'amour. On se voit encore de temps en temps, mais je comprends que la relation avec moi n'est pas sa priorité, il a d'autres soucis et souhaite préserver son cadre familial et conjugal.
Dernier jour
C'est un jour de semaine, je pleure car il a encore évoqué le compartimentage de ses vies. Je lui crie et lui écris que je suis triste et en colère, je souffre de la situation, je souffre qu'il n'y ait pas d'avenir ensemble, je souffre de ne partager que des rendez-vous à la sauvette. Je suis tellement fatiguée. Je me sens tellement triste. Ma vie, ça ne peut pas être celle de la maîtresse qui attend en vain que son amant se libère de ses autres contraintes. Je suis en colère de me voir aussi naïve, prise dans un double triangle (un rectangle ?) qui heurte mes valeurs de cohérence et de loyauté. Je me rends compte que toutes les limitations étaient là depuis le début, que je n'ai pas voulu les voir parce que j'avais envie de croire que l'histoire serait longue et belle, qu'elle se vivrait au grand jour. Je me suis trompée. Finalement, je ne suis qu'une maîtresse de plus, de passage dans la vie d'un amoureux qui protège avant tout sa compagne de toujours. C'est très bien décrit dans le livre de la sociologue Marie-Carmen Garcia, Amours clandestines, Sociologie de l'extraconjugalité durable.
Comme souvent, l'amant répond avec retard. Lui aussi est fatigué et découragé, peut-être a-t-il cru un moment en cet amour, puis a perçu que c'était impossible. Le silence s'installe, c'est sans doute préférable, le chagrin étouffe les mots. Au travail, je fais le maximum pour continuer comme si de rien n'était, même si j'ai de la peine et plus de goût à rien. J'ai du mal à aller à la cantine ou en salle de réunion, je crains de le croiser.
Avec mon mari, c'est toujours le flou. Il m'a vue triste, il est resté à attendre que ça passe, je lui en suis reconnaissante. Mais je sens que je me suis détachée. J'essaie de me dire que c'est à ça qu'a servi cette histoire, me détacher. Formuler que j'ai envie de vivre seule.
De temps en temps, dans la vie, l'amour débarque et emporte tout sur son passage, c'est comme un tsunami, une grande vague sur laquelle on a du mal à surfer, on se noie, ca fait peur. Puis, quand le calme revient, on y repense avec nostalgie. Et la vague est toujours là, longtemps, dans le coeur et dans la tête. Toute cette eau fait pleurer, mais elle a coulé, purifié, élagué, redonné vie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire