samedi 10 août 2013

Lire Lolita à Téhéran

Lire Lolita à Téhéran C'est un livre largement autobiographique et un peu austère d'Azar Nafisi. Le totalitarisme y est décrit comme une interdiction faite par l'Etat aux individus de  s'évader dans la fiction et à d'y puiser des forces de résistance. Le régime totalitaire produit sa propre fiction à laquelle tous sont sommés d'adhérer sans condition. Parallèlement et pour se protéger, il interdit l'accès à toute autre fiction et donc à toute liberté intérieure. C'est comme ça que lire de la littérature occidentale devient un acte subversif dans l'Iran des Mollahs.
 
Le livre n'est pas très bien écrit mais il me donne envie de lire Nakokov. L'auteure propose une relecture étonnante de Lolita : selon elle, Nabokov ne cherche pas à justifier ou approuver Humbert le pervers, ni plus généralement la pédophilie. Au contraire, Nabokov expose la construction par Humbert d'une fiction, d'une fausse histoire d'amour avec une gamine de 12 ans. Lolita résiste puis est contrainte de céder à Humbert. En inventant cette histoire d'amour, Humbert extrait Lolita de son histoire à elle, de sa fiction à elle, et la transforme en papillon épinglé, mort dans la nature morte et fausse d'Humbert plutôt que vivante et vraie dans sa vie à elle.  On serait donc face à ce qui peut s'entendre comme une sorte de métaphore du totalitarisme, Humbert figurant l'Etat, Lolita l'individu contraint de lui céder.

Cette lecture m'a paru très étrange, mais donné envie de lire Nabokov, sans doute encore davantage Invitation au supplice qui semble plus directement relié à l'oppression politique.
"Invitation au supplice est écrit du point de vue de la victime, de celui qui finit par comprendre l'absurde simulacre de ceux qui le persécutent et doit, s'il veut survivre, se retirer en lui-même.
Ceux d'entre nous qui ont vécu dans la république islamique d'Iran savent que la cruauté à laquelle nous étions soumis était à la fois tragique et absurde. Nous devions, pour continuer à vivre, tourner notre malheur en dérision. Nous devions aussi reconnaître d'instinct le pochlost* - et pas seulement chez les autres mais aussi en nous-mêmes. Voilà une des raisons pour lesquelles l'art et la littérature nous sont devenus si essentiels, non pas un luxe, mais une nécessité. Ce que Nabokov a su saisir de la vie dans une société totalitaire était sa texture même, cette solitude complète au sein d'un monde illusoire et rempli de fausses promesses où il vous devient impossible de faire la différence entre celui qui vous sauve et celui qui vous exécute."
Lire Lolita à Téhéran, Plon/10-18, p. 43-44.

* pochlost : lien entre la banalité et la brutalité ; recouvre selon Nakokov tout ce qui est faussement important, faussement beau, faussement intelligent, faussement attirant... dans la fiction du totalitarisme (ibid p. 42).

Je vois sur Wikipédia que ce livre a créé une polémique, que l'auteure a été accusée de néo-conservatisme et néo-colonialisme. Il est vrai que sa prose a des accents parfois condescendants avec la foule, le peuple (ignorant) qui a fait sa révolution et déposé les anciens dirigeants. Elle prône la résistance par la littérature occidentale, particulièrement anglo-saxonne, autant dire le grand Satan. En outre, elle a un côté professoral un peu pénible, son livre est comme une succession de fiches de cours (qui me rappellent quelqu'un). Accessoirement, elle ne se prive pas de rappeler ses études aux Etats-Unis ainsi que son appartenance à une famille persane illustre, qui s'est distinguée dans les arts et la politique pendant plusieurs siècles.

PS : dans un tout autre genre, Marjane Satrapi sait nous faire découvrir les travers de la révolution iranienne sans pédantisme et avec le sourire. Poulet aux prunes est celui que je préfère, mais ce sont les volumes de Persepolis surtout qui évoquent la révolution.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire