vendredi 2 août 2013

A moi seul bien des personnages

John Irving, A moi seul bien des personnagesLe titre est excellent, meilleur il me semble que l'original In One Person (traduction de Josée Kamoun et Olivier Grenot). Le livre l'est moins.
 
Quand j'ai lu Le monde selon Garp, à la fin des années 80, j'avais adoré la fantaisie d'Irving. Le monde selon Garp raconte l'histoire d'un type né de la volonté farouche d'une infirmière féministe et d'un soldat en état quasi-végétatif. Garp est élevé dans l'école où sa mère travaille. Il apprend la lutte, devient écrivain, fait un voyage initiatique à Vienne, épouse après moult péripéties celle qu'il aime, fonde  une famille. Une de ses amies est transsexuelle. Puis , il y a ce terrible accident (dont on ne peut s'empêcher de rigoler, rapport aux circonstances dans lesquelles il se déroule. Moment jouissif où le lecteur se sent au bord du rire tout en étant envahi d'effroi). La famille continue avec peine, mais les péripéties sont toujours racontées avec drôlerie et finesse. J'ai retrouvé le même plaisir souriant avec L'hôtel New Hampshire, Une prière pour Owen ou L'œuvre de Dieu, la part du diable.

Dans A moi seul bien des personnages, on se replonge dans cet univers. C'est le récit autobiographique d'un jeune homme élevé dans un pensionnat, qui découvre sa sexualité, voyage à Vienne, devient écrivain, rencontre comme il se doit des lutteurs sur son chemin. Mais pour une fois dans un roman d'Irving, le héros est bisexuel. Cela fait la trame de l'histoire, avec un message plein de bonnes intentions : acceptons les sexualités différentes, le transgenre (comme il le remarque lui-même, autrefois le transgenre n'existait pas ; on parlait de transsexualisme voire de travelot).

Le héros du roman s'accommode plutôt bien de son identité sexuelle ambigüe. Par une série de hasards et de coïncidences habilement emboîtés, il fait des rencontres qui lui révèlent son désir d'être écrivain en même temps que sa capacité à vivre et assumer sa sexualité. Du Irving, quoi. A certains passages, j'ai souri, par exemple quand Bill le héros parle avec tendresse de "l'amour des amis" avec son amie d'enfance, Elaine (il y a souvent une amie d'enfance, chez Irving...) :

"Elaine et moi allions tenter la vie commune, bien des années plus tard, après avoir tous deux essuyé assez de désillusions dans nos vies respectives. Ca ne marcherait pas - du moins pas très longtemps - mais nous étions trop bons amis pour ne pas essayer. Et puis nous étions assez grands, quand nous nous sommes embarqués dans cette aventure, pour savoir que les amis valent mieux que les amants - et surtout que l'amitié dure généralement plus longtemps que les amours.  (...).
- Ca veut dire quoi ? demandai-je à Elaine, allongé à côté d'elle dans notre appartement miteux de Post Street.
- Adagio signifie lentement, en douceur, me répondit-elle.
On n'aurait su mieux définir nos travaux d'approche érotiques. Parce que nous avions essayé de faire l'amour, aussi - expérience tout aussi infructueuse que celle de la vie commune - mais nous avions essayé. "Adagio" disions nous, avant l'amour, ou après, quand nous cherchions le sommeil. Le mot s'était installé : nous l'avons dit en quittant San Francisco, et nous l'écrivons encore aujourd'hui au bas des lettres ou des e-mails que nous échangeons. Tel est l'amour, pour nous - adagio -, lentement, en douceur. L'amour des amis, en somme." (p. 188-189).

Pourtant, le roman me semble sonner assez faux, comme si Irving restait prisonnier de ses bonnes intentions. Pouvait-on vraiment être bisexuel dans l'Amérique des années 60, dans le Vermont qui plus est, vivre dans une certaine joie, entouré d'un grand-père qui aimait s'habiller en femme, d'une cousine lesbienne et d'un beau-père très ouvert d'esprit ? Ca manque d'épaisseur, de souffrance, d'introspection. L'absence de crédibilité des histoires ne m'a jamais gênée chez Irving, mais là c'est un défaut de profondeur du (et même des) personnage(s), Bill surtout qui apparaît comme indifférent, uniquement préoccupé de lui-même. J'ai l'impression qu'Irving a également du mal à y croire, il se singe, nous refourgue ses procédés habituels de séjours viennois et de transsexuels faute de mieux. Ou bien c'est moi qui ai changé et qui suis devenue plus sombre, ou plus exigeante... 

jeudi 25 juillet 2013

Tartes maison

Tartes maison
C'est la saison des tartes maison. L'idéal pour les pique-niques, à côté des cakes et des cubes de melon. On s'asseoit dans l'herbe, on débouche le rosé. Je sors ma tarte : chèvre-tomates, courgettes-anchois, un plat d'été. J'ai passé l'après-midi dans la cuisine à pétrir et cuire mais je me la joue humble, c'est le bouquin surtout qui va bien, les recettes simples et familiales de Delphine de Montalier. Il y a des astuces pour réussir les tartes salées et sucrées, faire la pâte soi-même plutôt que l'acheter au supermarché, précuire pour éviter de détremper, poser sous la garniture un coulis qui donne de l'épaisseur. Un livre à recommander.
Dans ma tête, je pense que je possède aussi la recette de la meilleure tarte que j'ai jamais mangée. Pas dans un livre, non ; écrite à la va-comme-je-te-pousse de la main de ma grand-mère. Elle n'écrivait pas ses recettes puisqu'elle les avait dans la tête. Sa tarte, c'était fromage de la ferme, crème entière, œufs de ses poules, une pointe de sel. Cuite au four à bois. J'espérais toujours en avoir une deuxième fois mais ce n'était pas souvent possible, les enfants passaient après les adultes en ce temps là. Alors, je me souviens de la frustration en même temps que du goût. En ravoir, juste une petite part ; c'est un peu l'histoire de ma vie, aussi.
J'ai essayé de la refaire, cette tarte, mais je n'ai jamais pu reproduire le petit goût de brûlé du dessus mêlé au salé du fromage frais et à la pâte brisée maison en-dessous. Proust a sa madeleine, ben moi c'est ma tarte au fromage. De la recette, je ne peux plus rien faire, à part la regarder avec nostalgie, je ne vais quand même pas écrire un roman.

lundi 22 juillet 2013

Patchwork de livres pour les vacances


livreConseils d'amis :
 Paul Auster, Sunset Park
Joël Decker, La vérité sur l'affaire Harry Québert
Georges Hyvernaud, Le wagon à vaches
John Irving, A moi seul bien des personnages
Marin Ledun,  Les visages écrasés
Linda Lê, Personne (et autre romans)
Sandor Marai, Les braises
Azir Nafsi, Lire Lolita à Téhéran
Stephan Zweig, Trois poètes de leur vie


Et glanés à la radio :
Santiago H. Amigorena, La Première Défaite
Julia Deck, Viviane Elisabeth Fauville
Patrick Deville, Peste et choléra
Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome
Peter Heller, La Constellation du chien
Jean-Luc Montel, Motus et Melancolia (cf. rediffusion d'un documentaire radiophonique de 2001)
 

jeudi 11 juillet 2013

La femme qui valait trois milliards

L'homme qui valait trois milliards
Je lis de plus en plus sur écran, ordinateur ou téléphone. Je lis des mails, des tweets, des alertes Facebook, des fichiers attachés à des mails, des liens transmis sur Twitter ou Facebook, des sms, des numéros de téléphone ou des adresses, des blogs, etc.
A la longue, ça me déforme, physiquement (cérébralement aussi). Tout en moi se raidit. Je suis en train de devenir un montre. Déjà mon dos est une plaque métallique douloureuse. Mon cou est aussi rigide qu'un poteau électrique. Ma mâchoire ne se détend plus. Bientôt peut-être mes jambes s'endurciront et je me transformerai en femme qui valait trois milliards. Sauf que ça ne décuplera pas mes possibilités physiques, car je suis l'anti-Steve Austin. Non, ce sera un processus d'arthroïsation inéluctable. Peut-être, un jour, ne pourrais-je même plus taper sur le clavier tant mes mains et mes avant-bras pèseront des tonnes. Ni ouvrir les yeux pour lire, à force d'avoir les paupières lourdes. Je serai un monstre de métal immobile, incapable de bouger, incapable de vivre.
 
Aomamé fait de son mieux ainsi que les tasses de thé, mais ça ne suffit pas. J'ai peur de devenir un montre digital. Je le suis déjà.