lundi 29 mai 2017
jeudi 25 mai 2017
La tête en friche
Pendant que j'y suis, une autre petite chronique sur un livre touchant dans sa naïveté, La tête en friche. C'est l'histoire d'une dame âgé et très cultivée, Margueritte, qui rencontre un jeune homme pas très fûté, Germain. C'est qu'ils partagent le même banc, au parc, et se livrent à la même activité de comptage de pigeons.
Elle lui apprend des choses, des mots, des expressions. Lui, il lui tient compagnie, il prend soin d'elle et de sa vue qui baisse. C'est une autre histoire d'amitié, moins sophistiquée que L'amie prodigieuse, mais mignonne, distrayante. Germain, enveloppé de mots et respecté, va devenir plus humain et plus heureux. Et elle, elle va exister pour quelqu'un.
Le narrateur, c'est Germain, il écrit comme il parle et parle comme il pense. Ca donne ça :
Elle lui apprend des choses, des mots, des expressions. Lui, il lui tient compagnie, il prend soin d'elle et de sa vue qui baisse. C'est une autre histoire d'amitié, moins sophistiquée que L'amie prodigieuse, mais mignonne, distrayante. Germain, enveloppé de mots et respecté, va devenir plus humain et plus heureux. Et elle, elle va exister pour quelqu'un.
Le narrateur, c'est Germain, il écrit comme il parle et parle comme il pense. Ca donne ça :
"Avec Margueritte aussi, j'ai fait gaffe au début. Je ne voulais pas lui montrer tout d'un coup qu'elle me faisait marrer, qu'elle m'apprenait des trucs. Pas me montrer trop familier, non plus, ce qui tombait très bien, parce qu'elle restait un peu sur sa réserve défensive, elle aussi. Gentille, vous voyez ? Mais polie.D'habitude, les gens comme ça, je m'en méfie. Ceux qui ressemblent à Jacques Devallée, ou bien à Berthaulon, le nouveau maire, qui parlent de façon tellement compliquée qu'ils te noient le poisson dans de la fioriture. Ces mecs, le jour où ils leur prend l'envie de se foutre de toi, c'est fait si poliment que tu les remercies.Moi, je n'ai pas été "bien élevé". On m'a dressé à coup de pierres, comme on fait aux clébards qui traînent dans la rue. (C'est façon de parler. Ma mère était barjot, mais pas à ce point là.) Enfin, disons que je n'ai pas eu une enfance facile.Du coup, je ne fais pas toujours dans la dentelle, les gens me trouvent un peu raide, je sais. Quand je veux m'exprimer, je sens bien que je choque, rien qu'à voir leur façon de tordre un peu la bouche, ou de plisser le nez à croire que ça pue".
Marie-Sabine Roger, La tête en friche, p. 122-123
J'ai énormément pensé à quelqu'un que je connais et qui aurait ressemblé à Margueritte en vieillissant, si elle avait eu cette chance...
L'amie prodigieuse
C'est le premier tome d'une trilogie italienne. Napolitaine. On est en Italie, dans les années 50 ou 60. C'est la galère économique, la mafia est un peu partout dans le quartier, et ça se bagarre beaucoup. Mais là n'est pas l'essentiel. L'histoire est surtout celle de la relation de Lila, l'amie et de Lenù, ou Elena, la narratrice.
Lila, c'est la fille qui a tout pour elle, à part ses parents qui sont de sombres abrutis : elle est super intelligente, curieuse, effrontée, pleine de vie et d'originalité, avec un sens de la répartie sans pareil. De nos jours, on dirait qu'elle est populaire. Elle est sans y penser dans la supériorité.
Lenù, la narratrice, c'est celle qui est à côté, la discrète, la studieuse à l'école, celle qui a toujours besoin de se comparer. Mais elle est assez orgueilleuse aussi, alors elle suit Lila dans ses délires. C'est comme ça qu'elles deviennent amies, dès la petite enfance.
Le livre nous permet de les voir grandir, se rapprocher l'une de l'autre, s'éloigner, se rapprocher à nouveau... et prendre des chemins différents. Lila, à cause de ses parents, ne peut pas continuer ses études, alors elle travaille à la cordonnerie du père. Elle se passionne pour les chaussures, rêve de richesse, finira par se marier avec Stefano, le fils de l'épicier-mafieux Don Achille (désolée de spoiler). Lenù, on sent chez elle la future intello, un peu malgré elle puisqu'elle est de ce quartier où généralement, on ne fait pas d'études. Lenù, toute jeune, franchit les limites du quartier devenu trop petit, d'abord avec Lila, puis rapidement seule. On devine qu'elle finira par mépriser, ou du moins regarder avec distance, tous ces gens de son enfance.
J'ai trouvé le style enlevé, il y a des phrases formidables comme par exemple, à propos de l'adolescence : "cette année-là, j'eus l'impression de me dilater comme une pâte à pizza. Je devins de plus en plus ronde - ma poitrine, mes cuisses, mes fesses." (p. 140).
Ou bien, concernant le silence épistolaire de l'amie : "C'était une vieille crainte, une crainte qui ne m'était jamais passée : la peur qu'en ratant des fragments de sa vie, la mienne ne perde en intensité et en importance. Et le fait qu'elle ne me réponde pas accentuait mon inquiétude. Si je m'efforçais dans mes lettres de lui communiquer ma joie d'être à Ischia, mon flot de paroles et son silence me semblaient démontrer que, si ma vie était splendide, elle était aussi pauvre en événements, au point que j'avais le temps de lui écrire tous les jours, tandis que sa vie était sombre mais mouvementée." (p. 271).
Ou encore, sur l'arrogance : "Signe que Lila avait peut-être raison : les gens de cette espèce il faut les combattre en s'inventant une vie supérieure, telle qu'ils ne sont même pas capables de l'imaginer".
C'est un livre à la fois très ancré, très napolitain, et en même temps universel comme l'amitié est universelle, fait du bien et fait du mal. Chouette livre. Je lirai peut-être la suite, histoire de prendre des nouvelles des deux filles.