mercredi 30 octobre 2013

La lecture abandonnée

Valloton, La lecture abandonnée Aujourd'hui, je n'ai pas lu.
 
J'ai visité l'atelier. Des violons, des violoncelles, des archets, des morceaux de violes de gambe mélangés à des peintures et des gravures. Les violes de gambe sont fascinantes,  jamais identiques, parfois au sommet il y a une tête de lion. Quelque part à Paris se trouve une viole avec une belle tête de lion, pas n'importe quel lion, un beau lion bien sculpté, un lion en forme,  un lion prêt à rugir. Une viole peut-être oubliée dans un coin, allez savoir ce qu'ils en ont fait.
 
C'est une viole qui manque à son luthier. Il y tenait, le luthier, à son lion bien sculpté. Puis à Jacquemin, les gravures de Jacquemin, je préférais la première, elle était plus simple, plus belle, forte et douce. On est tombé d'accord.
 
Il est passé dans la pièce à côté, a essayé un violoncelle, le son était magnifique, ça vibrait, il a dit : je crois que c'est pas mal, comme ça.

En attendant, je feuilletais sur l'escalier un livre sur Valloton en pensant à son Verdun. Je suis tombée sur une femme pulpeuse, d'une collection privée à Montréal. Puis sur "la lecture abandonnée". Je ne savais pas que Valloton avait peint autant de nus, aussi sensuels. Des femmes qui ont vécu, aux seins lourds, aux ventres ronds. Quand je pense qu'étant jeune je préférais les nus torturés de Schiele,  la raideur géométrique et angoissée, j'étais bête. Il n'y a rien de plus beau que la courbe et la lascivité. L'abandon.

J'ai voulu payer mais je m'appuyais sur un violon, alors il a dit: "hey, touchez pas à mon Vasymarius!" On a ri. On a parlé des clients mauvais payeurs et mauvais loueurs, ils disparaissent mais ne meurent pas, on n'est pas dans un roman, c'est juste qu'ils ne veulent ni payer ni restituer les instruments. Ah bon, mais pourquoi donc. Après on est passés aux jardins, le temps change, il faut mettre les plantes à l'abri. Il a conclu, je vais travailler un peu, et vous, rentrez vos geraniums !

lundi 28 octobre 2013

Un été sans les hommes

Un été sans les hommesComme d'habitude chez Siri Hustvedt, Un été sans les hommes combine ce qui m'apparaît comme des propos plein de sagesse avec des platitudes absolues. Siri fait du puzzle, pour ne pas dire du copié-collé. Elle rend compte avec finesse de ce qui la travaille sur le plan personnel, ses relations, son travail, sa fille, mais elle se fourvoie souvent quand elle cherche à rattacher cela à des travaux plus ou moins savants, scientifiques, philosophiques, essayistes : on n'y croit plus, cela semble plaqué. En même temps, c'est pour ça que je l'aime bien, Siri, pour cela que je l'appelle Siri et pas Hustvedt. Parce que je la comprends, je me sens tellement comme elle, à lire et copier-coller des citations, des situations, des témoignages, qui me donnent l'illusion de domestiquer ce qui autrement ne serait qu'un torrent débridé d'angoisses, de confusions, de débordements hystériques, de rêves et de joies aussi. Elle vit dans l'illusion et avec la volonté de comprendre, Siri, comme moi. C'est une sensible qui cherche la rationalité, ça la rassure peut-être.
Contrairement à Paul Auster son mari, Siri n'utilise pas d'histoire bien huilée, de coïncidence, d'invraisemblable qui emporte dans une littérature extérieure à soi-même et tellement confortable. Pas du tout. Elle se plante devant vous et vous fait un discours sur ce qui l'occupe et la préoccupe, ses tremblements, le mari infidèle ou le vieillissement de sa mère et le sien. Brut de décoffrage, pas de fiction, de faux-semblant, des prises de parole directes, à mi-chemin entre une conversation et un cours (elle enseigne ou a enseigné).
 
Elle réfléchit à des trucs qui me parlent.

Elle dit ce que je n'arrive pas à formuler ou que je n'ose pas dire.

C'est pour ça que je l'aime bien, même si parfois elle m'ennuie.

Et puis, elle est belle, Siri, une Scandinave immense, avec des jambes d'1m50, paraît-il.

Extraits :

"Le caractère éphémère du sentiment humain est proprement risible. Les fluctuations de mes humeurs dans le courant d'une seule soirée me donnèrent l'impression d'avoir un caractère en chewing-gum. J'étais tombée dans les profondeurs déplaisantes de l'attendrissement sur soi-même, un terrain situé à peine au-dessus des basses terres plus hideuses encore du désespoir. Et puis, sotte facile à distraire que je suis, je m'étais, peu à peu, retrouvée en plein délire maternel, prenant un plaisir fou à faire danser et à cajoler le petit d'homme emprunté à la voisine. J'avais bien mangé, bu trop de vin et embrassé une jeune femme que je connaissais à peine. Bref, je m'étais splendidement amusée, et j'avais bien l'intention de recommencer." p. 75-76

"Le temps nous embrouille, ne trouvez-vous pas ? Les physiciens savent jouer avec mais, en ce qui nous concerne, il faut nous accommoder d'un présent fugace qui devient un passé incertain et, si confus que puisse être ce passé dans nos têtes, nous avançons toujours inexorablement vers une fin. En esprit, cependant, tant que nous sommes vivants et que nos cerveaux peuvent encore établir des connexions, il nous est possible de sauter de l'enfance à l'âge adulte, puis en sens inverse, et de dérober, dans l'époque de notre choix, un petit morceau savoureux ici, un autre plus amer, là. Rien ne peut jamais redevenir comme avant mais uniquement comme une incarnation ultérieure. Ce qui était autrefois l'avenir est maintenant dans le passé, mais le passé revient à présent à l'état de souvenir, il est ici et maintenant dans le temps de l'écriture. Une fois encore, je m'écris moi-même ailleurs. Rien n'empêche qu'il en soit ainsi, n'est-ce pas ?" p. 208-209.

vendredi 25 octobre 2013

Rêves

Hier, je n'ai pas réalisé un rêve d'enfant. Le rêve d'aller dîner quelque part où règnent l'apparence et la cuisine bourgeoises qui tentaient tellement la petite fille d'autrefois. Une de mes proches amies s'y rendait régulièrement avec ses parents, au retour des vacances, et nous racontait dans la cour de l'école à quel point c'était bien. Moi, je rongeais mon frein, espérant qu'un jour j'irais aussi dans ce restaurant tellement chic de la capitale (chic à mes yeux de gamine de 10 ans jamais sortie de sa ville natale).
Hier donc, je n'ai pas réalisé un rêve d'enfant, me suis contentée d'admirer l'endroit de l'extérieur, ses lampions et ses serveurs en livrée. Ca pouvait rester un rêve, je n'y tenais pas tant. Ca avait l'air bruyant et pressé. Je me suis extirpée de ma ville natale autrement et depuis belle lurette.
 
rêveHier, par hasard, s'est réalisé un autre rêve, un rêve de lectrice. Ce n'était pas un rêve longuement élaboré, rien ou presque n'en avait été pensé ni formulé. Pas un mot, les mots ne venaient pas. Mais tout déjà tourbillonnait dans mes pensées, prêt à s'agglomérer en séquence. Souvent les rêves, les souvenirs et les fantasmes cheminent et voisinent et finissent par se mélanger. C'était comme une hallucination, un songe éveillé, une plongée dans quelque chose d'étrangement familier.
Je me retrouvais dans un décor jusque là seulement idéel. Je reconnaissais le lieu pour l'avoir imaginé et imagé, comme une abstraction assez lointaine. Maintenant, j'y étais, concrètement, entièrement, immergée dans la réalité sensible. Je pouvais regarder, toucher, sentir la présence des personnages qui y étaient passés, leurs histoires.  J'y étais. Et même impliquée dedans, participant. Je regardais un film que j'avais espéré voir dans ce décor là avec cette personne là, lisais des bribes de livre, m'emmitouflais dans une couverture en écoutant des paroles et des musiques. Il faisait chaud mais j'étais bien dans cette couverture. Peut-être même y laissais-je une infime trace de mon passage, qui sait.

Un instant, je vivais dans le livre dont j'avais lu les pages. Je l'entendais vivre. Cela m'intimidait, me rendait muette, comme dissociée de moi-même, car ce n'est pas mon livre et cela me reste étranger malgré la familiarité et c'est peut-être là qu'est le bonheur pour la lectrice, dans cette intimité comme distanciée, dissociée, car le livre qui ouvre un univers et le rend mien fait à la fois obstacle à l'entrée dans le réel, le réel de l'autre et le mien, que je fuis en même temps que j'y aspire et qu'il m'aspire. Un voyage doux et sidéré dans la fiction qui me faisait perdre les pédales et les mots. Heureusement qu'une question bienvenue sur mon programme du lendemain m'en a rappelé le caractère provisoire, sinon j'y serais encore.

J'étais heureuse et je ne le savais pas, ai-je pensé au réveil, quand je suis revenue à la réalité, regardant le ciel et reprenant le cours de ma vie.

vendredi 18 octobre 2013

Insolite

insolite
Bizarre, baroque, biscornu, curieux, anormal, inaccoutumé, étrange, inhabituel, incompréhensible, rare, singulier, saugrenu, étonnant, abracadabrant, cocasse, comique, drôle, original, hétéroclite.

 
C'est beau les synonymes. Même si les moteurs de recherche eux sont affreux.
 
Au lycée, une copine m'avait demandé quel était mon mot préféré, dans la langue française. Je ne savais pas, aucune idée. J'avais peut-être pensé : bleu ou noir, mes couleurs. Ou tomate, je les aime tellement dans mon assiette. Les oranges aussi.
 
Mais elle, Corinne, elle a dit un mot que je n'ai plus jamais oublié. Après, j'ai cherché un synonyme pour avoir un mot préféré différent du sien. Mais je n'ai pas pu, son mot préféré est devenu le mien.



PS: In English I love chasm that I just discovered. Even though it sounds like orgasm, chasm is a gap, an abyss, a hole, a cavity. It's what is inside, secretly hidden in the sand.

mercredi 9 octobre 2013

Lire des épreuves

Martine n'a plus que 438 copies à corriger
Il m'arrive d'écrire dans des livres alors bien sûr on me demande de relire les épreuves avant impression définitive.
 Une fois on m'avait prénommée Martine dans le communiqué de presse précédent la sortie éditoriale. Ca s'était diffusé partout, d'Amazon à Chapitre.com, je ne me reconnaissais plus. Je me demandais si je devais envisager de me rebaptiser de ce pseudo inattendu.
Surtout que Martine est une de mes héroïnes d'enfance. Souvent je pense à elle, à elle petit rat, à elle qui apprend la natation, à elle en metteure en scène de théâtre, à elle qui corrige même des copies sur Facebook, à elle qui fait toujours tout bien, tandis que moi je ne fais jamais rien bien. J'ai toujours adoré le chic de Martine, sa peau saine, ses cheveux bien coiffés et son chien Patapouf. Gamine, je me battais contre mes sœurs pour conserver ses albums près de mon lit.

Cette fois dans les épreuves, quand dans l'introduction les directeurs de l'ouvrage s'emploient à faire mousser les contributeurs, il est écrit "pour parler conne" suivi de mon nom.
 
La vie est pleine de surprises. D'épreuves.